/ Au chevet des litiges: Une clinique universitaire veille sur le droit des clients
Dans la clinique du droit de la consommation, des étudiants de master informent des citoyens de leurs droits et de leurs possibilités d’action en cas de litige.
Une séance de la clinique du droit de la consommation commence comme un cours, avec ses mises au point administratives et ses discussions sur les dates de rendus de travaux. L’exercice sera sanctionné par une note et donnera droit à des crédits ECTS. Mais c’est bien plus que cela qui se joue dans cette salle atypique, avec vue sur le temple de la consommation du Kirchberg.
Ouverte depuis printemps 2015, cette clinique entend transmettre des compétences professionnelles aux élèves de trois masters de droit de l’université du Luxembourg. Ce faisant, elle les empêchera de ressentir la frustration qui fut celle de sa fondatrice et non moins professeure de droit, Elise Poillot, qui regrette encore que sa formation universitaire ait été trop centrée sur les connaissances.
„On ne laisse pas le consommateur repartir sans information“
Le cours a lieu tous les mardis. Pour la dernière séance d’octobre, les treize étudiants achèvent l’analyse collective de cas soumis en ligne par des consommateurs. La clinique du droit ne doit traiter que de cas relevant du code de la consommation, opposant un consommateur à un professionnel. Ainsi, l’affaire d’une dame qui se plaint que son bailleur, retraité, souhaite qu’elle quitte la maison qu’elle loue à la fin de son bail, est l’occasion de réfléchir sur la définition d’un professionnel dans le Code de la consommation. Avec les informations du consommateurs, les étudiants ne sont pas parvenus à déterminer si le propriétaire répondait à cette définition. La professeure suggère la lecture de l’arrêt Kamenova de la Cour de justice de l’UE.
Pierre Hurt intervient pour leur signaler que rien dans le contrat ne s’oppose au non-renouvellement du bail et que l’affaire semble pliée d’avance. C’est l’un des cinq avocats qui accompagnent à tour de rôle (et bénévolement) la clinique, afin de partager leur vision plus large du droit et leur connaissance fine des procédures. „On ne laisse pas le consommateur repartir sans information“, d’autant plus quand il est en situation d’urgence, dit Elise Poillot, en proposant un renvoi vers l’Union luxembourgeoise des consommateurs (ULC).
5.000 euros maximum
La clinique du droit ne traite que de cas dont le montant en jeu est d’une valeur inférieure ou égale à 5.000 euros. Parmi ces cas, il y en a qui ne finiraient jamais à la barre du tribunal. Comme celui traité par un second binôme d’étudiants qui fait sourire sinon exaspère l’assemblée, tant le montant en jeu est infime. Un passager de tram se plaint d’avoir pu acheter un billet à une borne en pleine semaine de la mobilité, durant laquelle les transports en commun sont gratuits. La méprise lui a coûté 4 euros.
„Tout cas mérite d’être traité“, dit la professeure. Le consommateur qui a soumis ce cas semble en faire une affaire de principe. Et quelques étudiants, à y réfléchir de plus près, partagent son courroux et son expérience d’une information insuffisante dans les transports publics. Comme le fait d’ailleurs remarquer l’usager, la question se pose même tous les samedis, où les transports sont gratuits et où rien n’empêche d’acheter ou de valider un billet. On peut évoquer un manquement à l’obligation d’information.
Pratique commerciale déloyale
Toutefois, „le consommateur moyen est censé être normalement informé et raisonnablement avisé et attentif“, souligne Elise Poillot. Plus qu’un manque d’information, la professeure se lance sur la piste de la pratique commerciale déloyale. L’affaire du billet à 4 petits euros livre en tout cas une leçon de modestie. Les petits dossiers peuvent cacher de grandes questions, que seul un passage par la clinique du droit permet parfois de soulever.
Il n’est pas rare que les jeunes cliniciens, en s’intéressant au droit de la consommation, soulèvent des problèmes qui vont bien au-delà, comme un interne en clinique pourrait déceler une maladie bien plus grave derrière un symptôme en apparence bénin. Plus souvent, leurs discussions mettent au jour des dysfonctionnements dans la législation. Et c’est la vocation de la clinique du droit d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur ces problèmes d’autant plus probables que le Code de la consommation souffre d’un „déficit d’effectivité“. „Il y a beaucoup de droits mais des droits qui en pratique s’appliquent peu“, observe Elise Poillot.
Informer et non conseiller
Avec la non-conformité du produit, le manque d’information est un sujet récurrent de litige. Un cas vient de passer dans les mains de son troisième binôme. Un conducteur âgé, comprenant mal le français, se plaint d’avoir dû payer une franchise de 1.500 euros, en vertu d’un avenant à son contrat d’assurance, auquel il dit ne pas avoir donné son accord. La rupture d’une relation de confiance entre l’assuré et l’assureur est au centre des discussions. Informé sur la possibilité d’un non-respect du devoir d’information inscrit à l’article 111-1 du Code de la consommation, ce dernier est dirigé sur la voie d’une pratique déloyale par omission.
La clinique du droit a informé le plaignant qu’il pouvait intervenir auprès du Commissariat aux assurances, mais celui-ci fait la sourde oreille depuis un an, n’ayant pas encore mis en place de procédure de règlement de tels litiges. Désormais, c’est l’option d’une mise en demeure adressée à l’assureur de présenter la signature de l’assuré qui est retenue pour faire avancer ce cas qui vit son troisième semestre à la clinique.
Informer le plaignant et non le conseiller. La nuance est importante. C’est à cette condition que la clinique du droit s’est fait une place entre les avocats et l’ULC. Cette dernière participe à la clinique en lui posant des questions qu’on qualifierait en d’autres lieux de préjudicielles. En ce mois d’octobre, c’est l’affaire de l’acheteur d’une machine à gazéifier qui voudrait savoir s’il peut forcer le vendeur à continuer à distribuer les recharges, que le fabricant produit encore et qu’il ne veut pas acquérir sur internet.
Médecine légale
La question de l’obligation d’informer semble primer à nouveau, sur une hypothétique obligation de fourniture cette fois. Elise Poillot évoque la fracture digitale, qui exclue certains consommateurs, et le manquement possible dans l’information d’un consommateur qui pourrait entrer dans la catégorie du consommateur vulnérable, à distinguer du consommateur moyen. Le principe selon lequel „si le consommateur avait su, il n’aurait pas acheté“, qui caractérise une pratique commerciale déloyale, semble pouvoir s’appliquer.
Par l’étude de cas, la clinique du droit rend les étudiants attentifs à la nécessité d’employer un langage juridique clair. Elle les prépare aussi aux rencontres avec des consommateurs, en présence d’un avocat passif, par des simulations soumises au regard d’une psychologue, afin de les aider à gérer au mieux l’entretien.
De quoi les projeter après les études, quand le droit deviendra pour eux une affaire de pratique.
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