Exposition / „Dancing with my Camera“, de Dayanita Singh au Mudam
Ce n’est pas la photo unique, légendée, située, qui intéresse la photographe indienne Dayanita Singh, mais l’image dans son rapport avec d’autres images et dans le tout narratif auquel l’ensemble donne naissance. L’exposition „Dancing with my Camera“, présentée au Mudam jusqu’au 10 septembre, montre un souci constant de la scénographie et de son renouvellement.
„Imaginez que vous puissiez apprendre à danser autour de votre sujet; imaginez la diversité des images qui en résulteraient.“ Née en 1961 à New Delhi, Dayanita Singh associe sa pratique de la photographie à la danse aussi bien qu’à la musique. Si à la première, elle reprend une générosité dans le mouvement et dans la variété des points de vue, à la deuxième, elle soutire des termes pour désigner sa pratique. L’exposition que présente le Mudam aurait pu s’appeler tout aussi bien quelque chose comme „Let the picture play“, que „Dancing with my Camera“.
Les deux ailes du rez-de-chaussée du musée du Kirchberg donnent l’impression d’une abondance de photos à scruter. Il est vrai que cette première rétrospective sur une œuvre pléthorique, couvrant quatre décennies – montée avec le Gropius Baus de Berlin, la Villa Stuck de Munich et le Serralves Museum de Porto – ne pouvait échapper à une certaine densité. Mais, c’est en fait de bien moins nombreuses installations dans lesquelles sont enchâssées les photos qui sont au cœur de l’exposition. Dayanita Singh est une photographe, particulièrement soucieuse de la présentation de ses photos. Son medium de prédilection est le livre, et la scénographie son lieu d’expérimentation.
Pour elle, la photographie est une matière première avec laquelle elle compose des ensembles plus grands qui la dépassent. C’est pourquoi elle indique ni date ni lieu aux endroits et époques qu’elle documente. L’image vaut pour l’effet direct qu’elle produit et sa relation avec les autres auxquelles elle est associée dans l’espace d’exposition. Ce sont en fait les installations, baptisées photo-architectures, qui sont nommées et datées, de l’année où l’artiste a forgé la nouvelle déclinaison conceptuelle de la scénographie. L’artiste, comme le visiteur, peut changer les photos et manipuler ces structures en bois, très agréables au toucher et à l’odorat.
Le goût de l’archive
On trouve aussi des livres dans les expositions de l’artiste indienne. Le livre et sa publication sont des éléments essentiels de son activité de la photographe. Tout a commencé avec un livre-maquette consacré à Zakir Hussain, réalisée à la main en 1986 en tant qu’étudiante en design, après avoir suivi durant six hivers consécutifs ce joueur réputé de tabla, auprès duquel elle dit avoir davantage appris sur la vie que sur la musique. Elle a publié quatorze livres depuis – dont neuf depuis 2004 auprès de la maison d’édition allemande Steidl.
Le prochain ouvrage sera une réédition de son livre „File room“ qui a pour thème l’archivage et sa réflexion sur la construction de la mémoire et la narration de l’histoire. Cette série est visible dans l’aile 1 du Mudam. Dayanita Singh y soulève les paradoxes qui entourent l’archive. Ainsi, si la classification présente un caractère impersonnel, elle est pourtant réalisée par une personne en chair et en os, gardien méconnu de l’histoire et producteur de savoir scrupuleux. Ensuite, les archives sont „des vaisseaux de faits orthodoxes“, mais aussi le lieu d’entreposage de détails négligés et de documents oubliés capables de renverser le statu quo, dit-elle.
Elle développe une poésie de l’archive, monument de savoir classé dans un ordre brinquebalant, en photographiant toutes sortes de lieux d’archivage qui ne suivent pas une règle unique de classement. Elle offre ainsi, avec son „File Museum“ une relation tactile face à ce que le romancier Orhan Pamuk a qualifié de „texture du temps“. Dans la très belle série „Time measures“, elle photographie des liasses d’archives conservées dans des linges d’un tissu rouge. La couleur de ces derniers s’est estompée pour virer au rose, en fonction des conditions de conservation, de l’exposition à la lumière et de la manière dont le linge est noué. On lit le passage du temps sur l’enveloppe plutôt que sur les archives conservées à l’intérieur.
Des musées au musée
Dans sa recherche scénographique, Dayanita Singh a développé l’idée de mini-musées qu’elle nous donne à voir sous différentes présentations dans cette rétrospective. A côté du Musée de l’archive évoqué plus haut, il y a un musée des hommes, un musée des vitrines, un musée des meubles, un musée de la chance, un musée des petites filles, un musée des photos. Y figurent aussi de plus abstraits musée de la perte (Museum of shedding) – qui rassemble des photos d’espaces d’où toute présence humaine a disparu – et musée de la chance, qui thématiquement pourrait contenir tous les autres.
Et chacun d’entre eux a été regroupé dans un projet éditorial, baptisée „Musée Bhavan“, un livre-boîte composé de neuf petits carnets – des leporello – qui sont autant d’exemplaires miniatures de ces musées qu’on peut déplier et exposer où l’on veut. Amoureuse des concepts et des symboles, Dayanita Singh a réutilisé pour façonner la couverture du livre des buvards servant à l’impression au tampon. Elle a fait de papiers voués à la poubelle des écrins uniques d’un livre qui a décroché le prix du livre de l’année à la foire Paris Photo en 2017.
L’architecture est aussi un centre d’intérêt de la photographe indienne. Parmi les autres formes d’exposition, on découvre notamment des séries consacrées à l’architecture présentées sur trois piliers, dont les quatre côtés sont recouverts d’étages de photos dans des structures en bois. A chaque fois, un lieu est le thème, comme le bâtiment de l’incroyable cité idéale bâtie par Le Corbusier à Chandigarh. Dans la série des Architectural Montages, composés entre 2019 et 2021, elle met cette fois en correspondance des photos représentant deux architectures en deux époques et deux endroits différents.
Prendre des photos, c’est 10% de son temps, le reste consistant à tisser des liens, éditer et séquencer, aime dire l’artiste. Durant le Covid, elle a pu revisiter ses propres archives photo d’une époque, années 80 et 90, à laquelle elle ne se considérait pas comme photographe. Elle fut surprise de constater la tendresse et la précision qui s’y cachaient derrière des images évoquant la profusion. Elle en a tiré le livre „Let’s see“, dont les photos sont présentées ici dans une pièce à part. Cela s’appelle „Let’s see“, parce qu’il y a ce que l’on voit, mais aussi ce que seul l’appareil photo voit. C’est à une danse du regard que le Mudam nous convie.
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