Interview / Dany le Loup remporte le concours de chanson de l’OGBL avec „Le chant des travailleurs“
Le rappeur Dany le Loup a remporté l’Eurovision des travailleurs aka le concours „La musique, c’est nous“ lancé par l’OGBL. Sa chanson „Le chant des travailleurs“ donne immanquablement envie de réclamer son dû.
En collaboration avec la Fédération luxembourgeoise des auteurs et compositeurs (FLAC), l’OGBL avait lancé un concours baptisé „La musique, c’est nous“, pour se doter d’une chanson à texte „facilement reconnaissable et chantable“ à ses manifestations et événements. Le rappeur Dany le Loup a réussi à s’imposer face notamment à Serge Tonnar (associé à Georges Urwald), qui avait pourtant, en 2015, livré un très puissant et très prenant titre pour le documentaire „Streik!“, retraçant l’histoire de l’OGBL et du syndicalisme.
Avec „Le chant des travailleurs“, Dany Coimbra aka Dany le Loup a trouvé la bonne formule, troquant le je pour le nous, atteignant l’universel sans passer par l’introspection („On se lève tous les jours et on part au boulot/Pour aller gagner notre vie et remplir le frigo“). C’est un texte qui a tout pour gonfler les rangs des manifestants, défiant comme il se doit („on veut le respect qu’on mérite et crois-moi on l’aura“) et doté d’un refrain chanté et simple („C’est le chant des travailleurs/Ceux qui construisent la nation/C’est le chant des travailleurs/Les parents de nos enfants“), capable de rassembler autour d’un texte en français. Habilement, il a aussi ajouté un texte en luxembourgeois, fort (qui finit ainsi: „Hei ze schaffen an hei ze liewe gëtt ëmmer méi schwiereg oder praktesch onméiglech fir de normal Stierflechen. Mir ginn nach just benotzt, fir dass et enger Elite hei am Land ëmmer soll besser goen.“).
Du punk au rap
La musique est produite par son vieil accolyte MC Headmasta, qu’il connait depuis l’époque où Dany faisait de la musique punk, avec le groupe Los Duenos (2010-18), lequel a connu un certain succès au pays comme hors des frontières. Depuis 2018 et „Mon premier EP“, Dany Coimbra est devenu Dany le Loup, a publié deux albums avec le rappeur de Bristol Drapes, avant de présenter son propre disque, début 2023, „La tête qui explose“. Entretien.
Tageblatt: Ton passage du punk au rap a-t-il un rapport avec la volonté de porter un message plus politique?
Dany le Loup: Non, pour moi le rap peut être utilisé aussi bien pour parler d’amour, de poésie, de folie, que de politique. Je ne le réduirais pas à une musique négative, enragée ou politique. La musique en général est là pour exprimer la rage. Le rap m’a d’abord permis de m’exprimer tout seul, sans devoir attendre tout un groupe. Et puis, j’avais beaucoup de thèmes dans la tête qui demandaient plus de développement. Le texte de rap est beaucoup plus long, on a de la place pour exprimer des choses plus profondément.
Le texte de rap est beaucoup plus long, on a de la place pour exprimer des choses plus profondémentauteur du „Chant des travailleurs“
Avais-tu déjà écrit une chanson de revendications, comme tu l’as fait pour l’OGBL?
L’exercice est nouveau car d’habitude, quand je commence un texte, je ne sais pas encore ce que je vais écrire, les idées viennent l’une après l’autre, et il y a souvent plusieurs thèmes qui se chevauchent dans un même texte. J’ai souvent revendiqué des choses, mais jamais sur toute une chanson. Là, dès le début, j’avais un concept, et je l’ai suivi à la lettre. Parfois, il me faut plusieurs semaines pour finir un texte. Celui-là, je l’ai fini en deux jours. J’étais très inspiré.
Comment tu t’y es pris?
Je me suis senti visé par le concours car je suis une personne de tous les jours. L’OGBL voulait un artiste qui représente le peuple, en qui il puisse se retrouver. Même si ça a toujours été un rêve de vivre de la musique, je suis toujours allé travailler tous les jours. Avec l’âge, je pense d’ailleurs que la musique seule ne m’aurait pas entièrement satisfait. J’aime mon travail d’éducateur. C’est un métier avec lequel je peux aussi avoir un impact dans la société.
Dans mon morceau, je ne parle qu’indirectement de la lutte syndicale. Pour les paroles, je suis resté dans un flow rap, mais pour le refrain, je suis sorti de ma zone de confort, en essayant de chanter en m’imaginant les gens en train de le chanter à leur tour dans les manifestations.
Quel message veux-tu faire passer avec ta chanson?
Qu’il ne faut pas se taire. Si on se sent oppressé, il y a des possibilités, il y a des choses à faire. Je l’ai vu avec l’OGBL. Ils sont à fond dedans, ils ne font pas ça pour gagner leur vie, mais parce qu’ils sont passionnés de cela. Et s’il y a une cause, ils vont la défendre jusqu’à ce qu’il y ait un changement. Donc s’il y a quelque chose, n’allez pas au travail vous faire piétiner, faites entendre votre voix. Il faut le dire: „On est là et on veut avoir ce qu’on mérite. Et s’il le faut, on ira marcher dans la rue le poing en l’air.“
Dans ta chanson, tu dis qu’au Luxembourg, il ne devrait pas y avoir de place pour l’exploitation. Tu penses qu’un pays riche devrait être un pays juste?
Bien sûr, surtout un pays petit. Il ne devrait pas y avoir de place pour l’injustice. Dans des pays comme la France et les Etats-Unis, on peut comprendre. Mais nous on se connaît presque tous. Pour moi, il n’y a pas de place pour la compétition. Il faudrait davantage s’entraider.
Quelle est ta chanson politique préférée?
„La rage“ de Kenny Arkana. D’ailleurs, mon ami V.I.C., qui rappe, aussi trouve que la chanson que j’ai écrite lui ressemble. Je ne m’en suis pas directement inspirée, mais il est possible que cette chanson m’ait influencé, puisque je l’ai beaucoup écoutée.
Quelle place a eu et a le syndicalisme dans ta vie?
J’ai grandi dans la culture punk. J’ai participé à beaucoup de manifs. Parfois en ne sachant pas pourquoi je manifestais (rires). Aujourd’hui, j’ai davantage à voir avec l’OGBL. J’ai fait un concert pour les grévistes d’Ampacet. Et dans le futur, je répondrai aussi présent, pour donner, si besoin, un concert gratuit pour les grévistes, car je respecte beaucoup ce qu’ils font, d’autant plus en hiver, quand ils sont dans le froid et la pluie tous les jours, sans être payés. Je suis très fier de pouvoir utiliser mes rimes et mes phrases pour soutenir des gens qui sont en train de se battre pour les droits humains.
Et toi, tes conditions de travail sont-elles bonnes?
On peut dire que j’ai de la chance. J’ai un bon patron. J’ai un bon travail. Mais ce n’est pas le cas pour tout le monde malheureusement.
Peut-on vivre de la musique au Luxembourg?
Oui, la preuve est que beaucoup de gens le font. Mais c’est impossible de vivre de sa musique, comme le font des stars en France et en Amérique. Si on fait plusieurs projets (workshops, événements), on arrive à vivre de sa passion. Mais seulement en écrivant et en vendant sa musique, c’est très difficile. Surtout avec le rap. Surtout avec le rap français.
Sinon, qui est la personne que l’on entend lire un discours à la fin de ton morceau?
Tout le monde se pose la question. (rires) C’est mon beau-père. Il a écrit lui-même le texte. Je lui ai demandé pendant un dîner si’l voulait écrire un petit discours car je voulais avoir quelque chose de luxembourgeois dans la chanson, et avoir la voix d’un homme plus mûr, quelqu’un qui en a vu plus. Et il m’a vraiment épaté. Ça a arrondi la chanson. Avec sa contribution, la chanson était complète.
Joueras-tu cette chanson dans tes concerts?
Bien sûr, je la mettrai sur mes réseaux et je la jouerai dans les concerts. Ce n’est pas difficile car ça sonne Dany le Loup. Ce n’est pas étonnant que je fasse une chanson sur la lutte syndicale. Les gens ne sont pas choqués.
Cette expérience va-t-elle faire évoluer ta pratique?
Je suis longtemps resté bloqué dans le ‚boom bap’ traditionnel. Avec cette chanson, j’ai goûté au chant. Je suis en train de considérer de prendre des cours de chant et d’en ajouter dans mes textes. Je vais aussi peut-être revendiquer encore plus de choses à l’avenir dans mes textes, car ça m’a plu et je constate que le public aime.
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