La devise „Mir wëlle bleiwen, wat mir sinn“ / Des mots en quête de sens
„Mir wëlle bleiwen, wat mir ginn“, clame le collectif d’artistes retenu pour représenter le pays à l’exposition universelle de Dubaï. Cet énième détournement de la devise populaire montre que ses mots d’une époque révolue ont du mal à résister au poids des années, sans un sérieux renouvellement de leur sens.
Le projet artistique et culturel qui investira le pavillon luxembourgeois à l’exposition universelle de Dubaï s’intitulera „Mir wëlle bleiwen, wat mir ginn“. C’est ce qui est ressorti des échanges au sein du collectif de huit artistes sélectionnées pour l’événement. Le point commun de leur quête était l’identité. A savoir, „ce qu’on montre de soi-même, ce qu’on aimerait être, ce qu’on aimerait changer …“, précisait l’artiste Julie Conrad dans Le Quotidien la semaine dernière. En insufflant du futur et de la transformation à une devise populaire empêtrée dans le passé, les artistes ont voulu à la fois se confronter à la thématique de l’exposition globale, la très convenue „Connecting Minds, Creating the Future“, mais aussi au discours officiel national.
Des mots contre
Artiste du collectif en question, Karolina Markiewicz ne cache pas une certaine tendresse pour le „Mir wëlle bleiwen, wat mir sinn“, à condition qu’on le recontextualise. „Aujourd’hui, on peut ressentir cette devise de manière beaucoup plus conservatrice qu’elle ne l’était à l’époque“, explique-t-elle. „Je trouve toujours absurde le nationalisme avant et après, mais il y avait alors un besoin de construction, pour des individus de se reconnaître dans une nation, des couleurs, une devise, des drapeaux.“ Cette époque, c’est celle qui voit le train à vapeur atteindre enfin le Grand-Duché. En octobre 1859, le poète Michel Lentz célèbre avec le „Feierwon“, le progrès technique qui rapproche encore plus le Luxembourg de ses voisins pour lesquels il est d’un intérêt plus souvent politique que touristique. La phrase qui prévient les nouveaux venus que les Luxembourgeois veulent rester ce qu’ils sont; citoyens d’un pays indépendant, fait rapidement florès.
Dix ans plus tard, elle trouve tout son sens quand le Luxembourg devient objet de convoitise entre France et Prusse. Elle gagne même une variante plus explicite „Mir wëlle keng Preise ginn“. C’est la particularité de cette devise officieuse que de ne pas être une affirmation de valeurs mais une négation. „Dieses Wort hat keine andere Bedeutung als diese: Wir wissen was wir nicht wollen, d.h. nicht preußisch werden, aber was wir wollen, wissen wir nicht. Mir welle bleiwen wat mir sin, ist keine Affirmation, fondert im neutral Luxemburgischen Sinn die reine Negation“, observait déjà en mars 1871 „un citoyen du monde“ qui prend la plume dans le journal satirique D’Wäschfra.
C’est sans doute au fait qu’elles forment une phrase contre que ces mots doivent le succès populaire que constate Marcel Noppeney dans un éditorial paru dans l’Indépendance luxembourgeoise le 14 juin 1914, au lendemain d’une manifestation contre l’élection de l’ancien officier prussien, Lamoral De Villers, à la Chambre des députés. „La perception anxieuse du grand péril national, toujours imminent, exprimée par une formule lapidaire, énergique et naïve, fit tressaillir soudain l’âme populaire: un vers chevillé, plaqué par un anonyme sur un couplet de circonstance, et il n’en fallut pas plus pour doter un peuple de cette chose frémissante, ailée, aérienne où gronde son âme et d’où jaillit le cri, éperdu ou triomphant, de sa colère: son chant national!“, écrit-il. „Né de l’angoisse populaire aux jours sombres où se jouait sur l’échiquier de l’Europe notre jeune indépendance, il revit chaque fois que semble descendre sur nous la grande ombre menaçante de l’Est et clame magnifiquement, par les deux cent mille voix de notre peuple, notre haine du servage, notre volonté obstinée de vivre.“
La devise me semble vraiment indiquer l’une de nos caractéristiques essentielles, qui est justement de ne pas en avoirpsychanalyste
„Injonction vide“
Depuis que l’intégrité du territoire est garantie, par l’appartenance à l’Union européenne, la devise du pays a perdu sa raison d’être. Il en reste une coquille vide que l’on réinvestit à sa guise. Pour le psychanalyste Thierry Simonelli, une telle devise, hors de tout contexte historique ou textuel, présente une belle illustration de ce qu’en psychologie l’on nomme une „injonction paradoxale“. „La devise semble proposer une incitation, une orientation, voire un idéal à suivre en omettant de dire quelle est cette orientation ou cet idéal. Si l’on vous dit ‚soyez qui vous êtes‘ ou restez qui vous êtes, on vous invite à adopter une attitude ou un comportement tout en omettant de vous indiquer de quelle attitude, de quel comportement il s’agit. L’on pourrait donc penser que la caractéristique de l’identité nationale, c’est l’injonction vide.“
Elle caractérise un aspect profond de la „culture“ nationale. „Nous sommes, par pure différence, toujours meilleurs ou pires conjointement, mais en comparaison avec et en référence à. Pardonnez-moi, mais la devise me semble vraiment indiquer l’une de nos caractéristiques essentielles, qui est justement de ne pas en avoir“, pense le psychanalyste avant de citer le poète T.S. Eliot: „Nous sommes les hommes creux, Les hommes empaillés, Cherchant appui ensemble, La caboche pleine de bourre …“, avant d’en faire l’exégèse: „Les hommes empaillés, ce sont ceux qui cherchent le plus à briller, de par leurs joyaux, de par leurs mises en scène. Ce sont les plus anodins, les plus pitoyables aussi qui soient, mais par certains biais aussi, et pour cette même raison, potentiellement les plus dangereux, les plus enclins à tous les extrémismes, pourvu qu’ils ne troublent pas l’image.“ Leurs mécanismes de défense consistent dans des „tentatives effrénées de remplir ce vide par de l’argent, par du pouvoir, par le prestige et la prestance“.
Identités restrictives
Pour qui souhaite une culture qui se renouvelle, la tentation est grande de contester cette appropriation en rechargeant la devise d’un sens nouveau. En 2007, l’artiste Birgit Ludwig a souhaité lui redonner du possible et du mouvement, à l’occasion de l’année européenne de la Culture. Dans le cadre d’une exposition développée par l’agence Borderline, elle a, sur le poste douanier abandonné de Mondorf, converti la devise populaire en un mot d’ordre quasi-nietzschéen. „Mir wëlle gin wat mir sin.“ „L’installation (…) voulait suggérer une conception de l’identité (ainsi que de l’histoire) en tant que procédé, en devenir, plutôt qu’acquis, en tant qu’évènement créateur de sens, continuel, vivant et interactif, d’un point de vue individuel ainsi que collectif“, se rappelle-t-elle. C’était une époque où l’on parlait beaucoup de la montée des nationalismes et du repli identitaire. Cette époque n’est toujours pas révolue et l’artiste a pu, depuis, en ressentir de près son principal soubresaut que fut le Brexit. „L’incertitude économique, la dissolution du lien social et de représentations cohésives, entraînent évidement inquiétudes et attitudes défensives envers tout ‚extérieur‘; fragilité très bien mise à profit et utilisée par diverses idéologies de droite et maintes figures du pouvoir“, constate-t-elle. „L’identité peut être un repli et une construction imaginée (fantasme ou idée fixe), qui fait barrage à la réalité des ‚autres‘ et à ce qui est ‚autre‘/étranger, et ‚autre‘ aussi en nous-même. De telles positions peuvent et continuent – on le sait – à engendrer des brutalités inouïes …“ Son installation pouvait se lire „comme un appel à ne jamais cesser d’être curieux; à interroger les bords réels de qui nous sommes, l’étranger/ère en nous-mêmes“.
L’identité peut être un repli et une construction imaginée (fantasme ou idée fixe), qui fait barrage à la réalité des ‚autres‘ et à ce qui est ‚autre‘/étranger, et ‚autre‘ aussi en nous-mêmeartiste
Refuser le changement, c’est souvent refuser aussi la différence, refuser l’autre. Quand Ana Corrreai Da Veiga a entendu pour la première fois „Mir wëlle bleiwen, wat mir sinn“, c’était en cours d’histoire, au sujet de la Seconde Guerre mondiale. Dans ce cours, dans lequel elle désespérait de retrouver l’histoire de ses ancêtres ou des figures auxquelles se raccrocher, dans la crise identitaire qu’elle traversait, cette devise ne lui a pas semblé la sienne. Par contre, elle aimait ce qu’elle racontait, la résistance à l’injustice, à la domination. La trentenaire estime d’ailleurs en avoir repris le flambeau, depuis lors, par son engagement politique. Dans le groupe des afro-descendantes réunies au sein du cortège de la grève des femmes en mars 2020, elle s’était choisie pour slogan „Mir wëllen och bleiwen, wat mir sinn“. Elle manifestait ainsi sa lassitude aux injonctions à l’intégration des enfants d’immigrés, quand il faudrait parler d’inclusion. „Je suis née ici, je ne me vois pas habiter dans un autre pays, je contribue par mon engagement à la société. Je veux briser cette image du Luxembourgeois pur. Je ne peux pas et ne veux pas me cacher derrière une peau blanche“, explique-t-elle.
Employer cette devise n’était pas une manière de la réhabiliter. Son sens lui semble trop limité. „La société ne change pas, l’identité ne change pas, les coutumes ne changent pas. Il y a un côté stagnant. Une personne qui se réfère toujours à son identité, je lui trouve un côté triste, car je me dis qu’il n’a rien d’autre à quoi s’identifier. La nationalité ne fait pas ton identité. Il y a plus: le vécu, les centres d’intérêt, les actions.“ Il lui arrive d’ailleurs que des gens, d’origine cap-verdienne comme elle, lui lance sur les réseaux sociaux „Mir wëlle bleiwen, wat mir sinn“, quand elle partage les projets de République de son parti „déi Lénk“. Ils associent ces mots à la monarchie, qui depuis que le Grand-Duc Adolphe les a prononcés en 1890, ces mots sont une assurance pour son maintien. En pareil cas, Ana Correia Da Veiga s’amuse à relancer le débat par la question „Mä wat si mär iwwerhaapt?“ que le groupe de rap De Läb posait en 2011 dans sa chanson „Den Daag vun der Oppener Dier“. On ne risque pas la voir répéter, par opportunisme, la devise au conseil communal de Luxembourg où elle siège depuis un an. „Ah non. On ne veut pas rester DP“, s’amuse-t-elle. Quand on est une personne de gauche, le statu quo, c’est l’inverse de ce qu’on veut.
Etre et avoir
Changement et conservation ne sont toutefois pas toujours antinomiques. Le groupe d’activistes du patrimoine qu’a cofondé Peter Kleijnenburg en est la preuve. Sous le slogan „Mir wëllen halen, wat mir hunn“, il demande à ce que les destructions de maisons victimes de la spéculation immobilière cessent. Ce mot d’ordre percutant n’est pas étranger à la réussite d’une pétition qui a permis à ses membres d’exposer leurs griefs et leurs idées à la Chambre des députés. C’est Peter Kleijnenburg, Néerlandais de son état, qui en a eu l’idée pour souligner l’écart entre l’être et l’avoir, entre la posture, ne rien vouloir changer, et la réalité, un enrichissement par la spéculation immobilière qui lui change le paysage. Il explique: „J’avais entendu parler de cette devise et après une petite recherche, j’avais compris que c’était LA devise luxembourgeoise qui date depuis des siècles et a été utilisée pendant l’occupation durant la Deuxième Guerre mondiale et déjà lors d’autres guerres plus anciennes. En plus la version avec ‚halen‘ correspond exactement à ce que nous voulons: garder ce qu’on a encore (en bâtiments historiques). Apparemment à ce sujet le Luxembourg ne veut pas du tout préserver son identité. C’est l’argent avant tout …“
Quand on feuillette l’histoire des usages de cette devise qui reste à faire, on remarque que la renvoyer à son expéditeur est déjà une habitude ancienne. En 1899, la population du bassin minier en avait fait son cri de ralliement pour s’opposer au coup de force des députés catholiques qui voulaient redécouper le canton d’Esch pour enrayer les progrès électoraux des socialistes et réduire l’influence naissante dans la vie politique luxembourgeoise. Dix ans plus tard, dans son brûlot anticlérical baptisé „Lettres sur l’éducation“, publié sous le pseudonyme Ignotus, l’enseignant libre-penseur, Mathias Tresch, ironisait sur la vision homogène – et catholique – de la nation que laisse entendre cette devise. Il écrivait: „Voilà dans sa beauté une race privilégiée qui a gardé intact, comme on dit aussi, le patrimoine sacré des traditions, et dont l’ambition est de rester ce qu’ils sont! En réalité, du haut au bas de l’échelle sociale, c’est le même égoïsme foncier, c’est-à-dire la négation de toute morale. En bas, grouillant dans l’incurie et l’ignorance des grandes questions vitales, les classes déshéritées, cherchant l’oubli dans l’abrutissement et la satisfaction des instincts immédiats, boire, manger, procréer, ne rien faire! En haut, cherchant à paraître, les classes dirigeantes, en place, ne voulant pas troubler leur digestion par des questions inopportunes, mais cherchant à se distraire et à se distinguer du populo par une vie de parade et de surface.“ En pareil cas, il est certain qu’il est souhaitable de ne pas rester ce que l’on est.
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Genau. Wien wëll bleiwen wat en ass dee kënnt haut net méi mat.
Deen stagnéiert,sou ze soen.Sou wéi deemools deen onméiglechen kathouleschen Clibbchen “ Fir de Choix“.Do sinn Dieren opgerannt ginn déi grouss opstoungen. Jiddereen huet de Choix,säit laangem.Do ass et just drëm gaangen engem Veräin de Monopol ze behalen,also ze bleiwen wéi en ass.An do hun Figuren wéi Wiseler an Hollerich mat demonstréiert,klaro.Incroyable mais vrai?! An haut an eiser Multi-Kulti-Gesellschaft stellt dach keen sech méi op d’Strooss a rifft “ Ech well bleiwen wat ech sinn.“ Traditiounen mussen net ëm all Präis verdeedegt ginn.Zemools wann se kee Sënn méi maachen
@HTK: »Ouni Traditiounen ass en Land keen Land , en Vollék keen Vollék. « Ech bleiwen léiwer , wat mir woren , och dir gleewen dot et géng een net matkommen.Wieren dogéint ass nach emmer erlaabt an et muss een net all Leithammel norennen , all moudeschen virgeknaaten Spunz mat maachen.
@HTK, Un den « onmeiglechen katholischen klinbchen » erenneren mech Haut emmer mei Dei Greng mat hiren Priedeger.
Wat si mer dann?
@Wieder Mann,
“ Ouni Traditiounen ass ee Land kee Land“ Oh mei. Dann didd dir mir echt leed. Wann ech mech nëmmen als Lëtzebuerger kann fillen well ech all Joer op d’Schlussprozessioun an op de Mäertchen ginn,villäicht nach op Iechternach bei de Willi,dann ass ëtt ëm méch schlecht bestallt.Ech erënnere méch u Leit déi sinn géint Halloween Stuerm gelaaf.Haut ass dat „Fest“(Irland) méi populär wéi de Goldfësch um Mäertchen. Tempi passati. Also bonne Chance matt ären Traditiounen
Mir wëllen bleiwen wat mir sin ,dat heescht
„Letzeburger „.
@HTK:Dir nennt een vun denen neien importéierten friemen Deeg , déi vum Kommerz erfonnt, awer guer naischt mat Letzebuerg ze din hun.Ech sin Letzebuerger, keen Irläenner, keen Amerikaner,…an well och naischt aneschtes sin.Hir Traditiounen sin hir Traditiounen, méng Sprooch ass méng Sprooch,den Kleeschen an Houséker bleiwen mat ménger Traditioun verbonnen an wen méngt et wier net esou kann wéinst ménger déi Zait jo an d’Vakanz fueren wou den Peffer wuessen deet .