Mémoire / Deux nouvelles plaques sur le Parcours mémoriel de la Shoah: Adresses de la souffrance
Deux plaques commémoratives et une nouvelle station du parcours mémoriel de la Shoah ont été inaugurées le jour du 85e anniversaire de la nuit de cristal.
„Vous aurez à l’avenir des petits groupes de touristes et de classes qui s’arrêteront devant votre porte, auxquels leur enseignant ou leur audioguide donneront des explications“, signalait jeudi matin, à l’abri de la pluie, Mil Lorang, président de MemoShoah, à l’arrière-petite-fille de l’entrepreneur Michel Perrin, Géraldine Schommer. Une plaque mémorielle vient d’être apposée à l’entrée de l’hôtel que son aïeul a fait construire en 1932-33 au 9, rue de Strasbourg, et qu’elle gère aujourd’hui. L’hôtel Perrin forme désormais la deuxième des neuf stations du parcours mémoriel de la Shoah, inauguré un an auparavant, à la même date, anniversaire de la nuit de cristal du 9 novembre 1938.
Sur la plaque, on apprend qu’à cet endroit, dans les années 30, l’hôtel a accueilli plusieurs centaines de réfugiés juifs étrangers fuyant les mesures antijuives du régime nazi. Cet accueil, on le doit à celui qui a loué le bâtiment à Michel Perrin pour en faire l’hôtel Select, doté de 40 chambres. Il s’agit de Jean Heiser, un ancien sportif devenu restaurateur, un antinazi notoire. Jean Heiser avait ouvert le restaurant Select à Esch de 1925 à 1930, avant qu’il ne le transfère à Luxembourg, puis finalement le transforme en hôtel restaurant en ces lieux. L’hôtel avec sa grande salle qui servait aussi de dancing est devenu un lieu incontournable, aux prix abordables, pour les Juifs de passage au Luxembourg, dans l’espoir de pouvoir fuir plus à l’ouest.
Une cuisine populaire
La plaque indique aussi qu’une cuisine populaire avait été mise en place en ces lieux, à l’initiative de l’organisation d’aide juive ESRA. Fondée en 1923, l’ESRA a d’abord assisté les foyers les plus démunis, notamment ceux de Juifs de l’Est ayant fui la misère et les pogroms. „Son rôle était important depuis sa création. Il s’est révélé capital à partir de la prise de pouvoir des nazis en Allemagne et l’expulsion des Juifs allemands hors du IIIe Reich“, a expliqué José Hertz, l’actuel président de l’association, lors de l’inauguration de la plaque. C’est surtout à partir de 1937 et l’exclusion des Juifs des services publics et des professions libérales, ainsi que le boycott des magasins juifs, que les Juifs ont fui massivement, a-t-il rappelé. À cette époque, le trésorier de l’ESRA, Albert Nussbaum, négociait avec le ministère de la Justice luxembourgeoise des permis de séjour limités dans le temps. À partir du mois d’août 1938, un accord secret le liait même au ministre René Blum, pour organiser des convois de réfugiés vers la France.
Après l’invasion de la Pologne par les nazis en automne 1939 et un nouveau fort afflux de Juifs au Luxembourg, l’ESRA en accord avec la veuve de Jean Heiser, Marie Manderscheid, y a créé une cuisine populaire pour 300 exilés juifs. C’est là aussi qu’en octobre 1939, 200 Polonais sur le départ vers la Belgique pour aller combattre dans Légion étrangère française se sont réunis. L’intérieur de cet hôtel construit par Louis Rossi – à qui on doit aussi l’hôtel du parc à Esch – se prêterait particulièrement bien pour une mise en images de cette période. Rénové en 2020, il conserve beaucoup des charmes qui ont fait sa réputation lors de son ouverture et que Germaine Goetzinger a énumérés dans une séance académique à la villa Pauly, ancien siège de la Gestapo.
Durant cette même séance, Dan Thilman, de l’Université du Luxembourg, a évoqué l’histoire du deuxième lieu honoré ce jour-là par la pose d’une plaque mémorielle, à savoir le centre communautaire des juifs d’Europe de l’Est installés au Luxembourg: le Beth Am Ivri (Maison du peuple hébreu) au 72, boulevard de la Pétrusse. Cette institution, créée en 1930 par Max Rosenfeld, un „Sioniste convaincu“, a fonctionné de 1930 à 1940. Il a rempli plusieurs fonctions. Ce fut un centre culturel fédérant les Juifs de l’Est, un lieu de pratique du culte orthodoxe, un endroit doté de salles de lecture et de conférences, dans lequel 80 enfants et 50 adultes suivent des cours, mais aussi un lieu d’activités d’associations sionistes. Ce fut enfin, à partir de novembre 1940 et l’exclusion des enfants juifs des écoles publiques, une école provisoire, dirigée par Ernst Ising, ancien directeur d’école près de Potsdam, arrivé au Luxembourg en 1938. Elle est restée ouverte jusqu’en novembre 1942.
MemoShoah a prévu d’ajouter une dixième station à son parcours mémoriel, avec le mur des noms qui doit être érigé à côté du monument kaddish inauguré en 2018 à côté de la cathédrale. Sur ce mur seront inscrits les noms de 1.225 personnes victimes habitant au Luxembourg quand la Wehrmacht est arrivée. Ce sera une assurance supplémentaire que les souffrances infligées aux Juifs au Luxembourg apparaissent dans l’espace public, pour ne pas être oubliées.
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