Expo / Devenir plante au Casino Display: „Woven in Vegetal Fabric: On Plant Becomings“
Le projet artistique et multidiscplinaire „Woven in Vegetal Fabric: On Plant Becomings“ œuvre à attirer l’attention sur les singularités du règne végétal, ce qu’elles nous disent et ce qui nous en rapproche.
Quand il n’est pas en cours de master en recherche artistique, Charles Rouleau aime arpenter les parcs du centre d’Amsterdam, des endroits privilégiés de contact entre les hommes et la nature. C’est dans les pelouses des populaires Vondelpark et Oosterpark qu’il a creusé des trous pour y traduire en son les interactions entre les mondes végétal et humain qu’on peut y capter. Les plantes réagissent aux champs électromagnétiques. Alors l’artiste sonore a effectué des relevés bioacoustiques des champs magnétiques qui traversent le sol, ceux des arbres comme ceux des hommes. Ce n’est pas une reproduction fidèle, mais un exercice spéculatif sur le milieu sonore végétal avec la technologie comme médiatrice. Cet exercice de transduction est devenu une expérience immersive, une rencontre sensorielle entre l’homme et le végétal proposées au Casino Display jusqu’au 28 février, dans le cadre de l’exposition Woven in Vegetal Fabric : On Plant Becomings.
La technologie utilisée par Charles Rouleau n’est pas nouvelle. On pourrait y voir une déclinaison des electrical walks passées de l’artiste allemande Christina Kubisch. Ce qui est extrêmement présent, c’est son usage dans l’exploration artistique d’une branche nouvelle de la pensée, ouverte par les Critical plant studies. Quand Cleveland, le premier locataire en résidence du Casino Display, espace dédié à la jeune création, explorait par le champ électromagnétique les hétérotopies chères au philosophe Michel Foucault, Charles Rouleau décline l’art sonore dans un champ de pensée qui doit beaucoup à Gilles Deleuze, à ses réflexions sur les devenirs, ces zones de contact entre règne animal et milieu humain, tout comme celles sur le rhizome en tant que métaphore de l’horizontalité et de l’évolution permanente.
Charles Rouleau était déjà présent l’été dernier à la Triennale de la jeune création, où il présentait le projet Krystallochronologie, une installation sonore dans laquelle il enregistrait le bruit de la marée montante soumise au gel instantané, ce moment où la glace capture le temps et conserve une partie du passé en elle. Un triptyque photo rappelait le risque de sa fonte dans le contexte climatique. C’est encore l’urgence climatique qui sous-tend cette envie „de dialogue intergénérationnel et polyphonique“ que veut nouer l’exposition dont il est à la fois un des quatre artistes exposés et le commissaire.
„Avec le changement climatique, on fait face à un problème qui est tellement énorme, qu’on pourrait penser qu’il n’y a pas de solution“, dit-il. „Mais les plantes nous permettent de sortir de notre zone de confort de réflexion. D’un côté, on a toujours une fascination en observant comment les plantes peuvent s’adapter très rapidement à des changements. Par un effort de spéculation, on n’obtiendra jamais une réponse absolue. Mais par contre on peut prendre conscience qu’on n’est pas séparés, que tout est entrelacé.“
Remédier à une désensibilisation
Cette exposition veut rendre attentif à „l’aveuglement, l’assourdissement, en somme la désensibilisation face au monde botanique“ par le dialogue et créer des nouveaux liens entre les hommes et les plantes“. Mais des plantes, on peut aussi apprendre une plus grande variété dans le genre. Leur consommation peut même aider à l’altérer comme à le percevoir d’un œil nouveau. C’est à cette expérience que convie Catherine Duboutay au sous-sol. Dans l’endroit le plus froid de l’espace d’exposition, la jeune artiste invite les visiteurs à se servir une infusion de plantes aphrodisiaques, à s’asseoir confortablement et à entamer une discussion avec un chatbot sur les émotions qu’ils ressentent. Cette installation, parrainée par le CID Fraen a Gender, propose de sortir de la binarité du genre et de le penser loin des attentes sociales. Des entretiens réalisés dans le cadre de l’exposition à ce sujet sont projetés au rez-de-chaussée.
L’artiste suisse Leonie Brandner s’empare des vertus de l’onagre, cette plante jaune commune des bords des routes, mais qui a beaucoup plus de choses à nous raconter que des histoires de bitume. Elle fut importée d’Amérique et a colonisé toute l’Europe. En français, on l’a dit aussi „fleur du adhan“, du nom d’une prière des musulmans, à l’heure de laquelle, au coucher du soleil, elle s’ouvre en réaction aux vibrations des papillons de nuit. Son nectar devient alors plus sucré pour attirer les insectes. C’est une plante qui peut se manger de la racine jusqu’aux fleurs, et dans laquelle Leonie Brandner voit une métaphore de la capacité à s’éveiller la nuit, à rêver pour soigner les traumatismes vécus le jour.
Enfin, le quatrième et dernier artiste, l’étudiant sarrois, d’origine péruvienne, Carlos Molina, imagine ce moment futur de l’Anthropocène où les plantes auraient décidé de se défendre contre l’être humain pour protéger la biodiversité. Il s’agit de mettre en lumière les capacités d’adaptation des plantes en les imaginant muter en des armes dirigées contre l’être humain. Chacune des 37 plantes dessinées selon le modèle de l’herborium propose une description et un nom (en espagnol) scientifique. Les Critical plants studies soulignent souvent le constat que les plantes ne réagissent pas toujours comme les êtres humains le voudraient, comme le savent les jardiniers. Le philosophe Michael Marder, auteur de Plant-Thinking: a Philosophy of Vegetal Life qui a tenu une conférence en ligne dans le cadre de l’exposition décrit une rencontre manquée entre l’Occident et les plantes. Les travaux de Carlos Molina, réalisés en collaboration avec le Naturmusée peuvent être vus comme „une sorte de revanche de cette rencontre manquée“, observe le commissaire de l’exposition.
Dix chercheurs autant que des lycéens du Lycée Edward Steichen et du Lycée des Arts et métiers ont également participé à cette vaste réflexion sur les rapports entre monde animal et monde végétal dans un projet qui se voulait horizontal et transversal. Un livre reprenant de nombreuses contributions des participants à l’exposition sera publié par la suite.
A voir
Dans le cadre de l’exposition Woven in Vegetal Fabric; au Casino Display (12, rue de la Loge à Luxembourg): le 10 février à 19 h, performance de l’artiste Catherine Duboutay, et le 26 février à 19 h, performance musicale de l’artiste Sam Erpelding aka Dankwart (les deux au Casino Display et sur réservation : display@casino-luxembourg.lu).
Le Casino a par ailleurs dévoilé sa programmation des prochains mois. Fabien Giraud & Raphaël Siboni pour leur troisième exposition monographique, baptisée The Everted Capital (Katabasis) dans le cadre de leur projet The Unmanned du 2 avril au 4 septembre. C’est l’artiste marseilllais Adrien Vescovi qui leur succédera en octobre.
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