Politique / Eloge de la diversité: Vanessa Perez, dans l’arène anti-raciste
Devenue présidente de Lëtz Rise Up, Vanessa Perez occupe l’un des deux postes les plus en vue de l’anti-racisme politique au Luxembourg. L’Américaine de 29 ans défend un Luxembourg agréable à vivre pour tous, y compris les afrodescendant.e.s.
Il aura fallu à Vanessa Perez s’installer au Luxembourg pour devenir Américaine. „Aux Etats-Unis, beaucoup de gens s’approchaient de moi en me disant ,Tu es noire!‘ ou en me demandant ,D’où es-tu en réalité?‘. Je me sentais étrangère dans mon propre pays, alors que je suis Américaine“, raconte cette employée du secteur bancaire de 29 ans. Au Luxembourg, au contraire, personne ne remet en cause le fait qu’elle soit réellement Américaine. Mais par contre, beaucoup doutent qu’elle soit réellement noire. „C’est vraiment étrange pour moi. Ici, je ne suis pas assez noire. Aux USA, je ne suis pas assez américaine.“
En s’installant en Europe, comme l’a fait avant elle une de ses références intellectuelles qu’est James Baldwin, Vanessa Perez a vu comme lui d’un jour nouveau et plus ouvert les questions d’identité avec lesquelles elle se débat depuis sa tendre enfance. Mais, à la différence du penseur, elle n’a pas prévu de rentrer dans sa ville de Las Vegas ni même dans son pays. A l’heure où son américanité lui est reconnue, c’est Luxembourgeoise („une vraie“, dit-elle) qu’elle veut devenir. Vanessa Perez vient de franchir les cinq années de résidence qui lui donnent théoriquement droit à la nationalité. Elle étudie à cet effet le luxembourgeois et le français. Ses nouvelles responsabilités de présidente de Lëtz Rise Up qui sont les siennes depuis le mois de décembre vont lui offrir une formation accélérée. Elle saura bientôt réciter en trois langues son mantra: „Luxembourg est un très bel endroit où vivre. Et il doit un très bel endroit où vivre pour tous.“
„Elargir la notion de diversité“
C’est vraiment étrange pour moi. Ici, je ne suis pas assez noire. Aux USA, je ne suis pas assez américaine.
A vrai dire, comme beaucoup de résidents au Luxembourg, Vanessa Perez se sent plus qu’une seule et simple nationalité. „Je suis Américaine, mais je ne m’identifie pas seulement avec mon ethnicité d’Américaine, culturellement parlant non plus. Ce n’est pas seulement le pays d’où tu viens qui te détermine. Les gens peuvent être beaucoup plus de choses, et non seulement les ressortissants d’un pays.“ Elle est du côté maternel petite-fille de Philippins et de Mexicains qui ont migré aux Etats-Unis. Elle se sent aussi afro-américaine, comme la branche paternelle de sa famille l’est. Son père lui a souvent parlé de l’histoire des Noirs et l’a poussée à s’y intéresser, elle qui est née dans le Nord de la Californie qui a vu naître les Black Panthers. „Je n’ai pas l’air d’une chose ou d’une autre. Les gens peinent à me catégoriser. Mais, j’ai toujours été très désireuse de dire que je suis noire et d’en parler. J’en ai toujours été fière“, explique-t-elle.
Elle estime que le Luxembourg devrait lui aussi épouser une vision plus large de la diversité. „Les gens disent: ,Nous sommes divers, nous sommes un mix de nationalités‘, ce qui est le cas. Mais je pense que nous devons véritablement élargir la notion de diversité. Elle ne doit pas être basée sur la nationalité.“ Le Luxembourg manque encore de représentants de la diversité et d’afro-descendant dans les postes à responsabilité dans les entreprises et en politique. „Je crois que tout le monde aime le Luxembourg divers et mélangé. Alors nous avons vraiment besoin d’atteindre ce que nous voulons.“
Vanessa Perez n’irait pas jusqu’à dire que son métissage ne lui a pas offert une situation particulière, en termes d’exposition au racisme. „Je n’ai jamais vraiment expérimenté de formes violentes de racisme, mais plutôt des formes couvertes, de micro-agressions“. Elle se sent „privilégiée“ et entend bien en profiter: „Je sais que mon expérience n’est pas la même que d’autres afro-descendant.e.s, c’est pourquoi je veux les défendre.“ C’est d’ailleurs dans cet esprit qu’elle a découvert l’existence de Lëtz Rise Up. C’était en juin 2020, l’association avait alors neuf mois et les images de l’agonie de George Floyd glaçait le sang à tout le monde. Vanessa Perez a alors rarement autant senti la distance qui la séparait de son pays d’origine que durant ces jours-là. Elle était en colère et triste de ne pas être aux Etats-Unis, auprès des siens, pour réfléchir et agir au sein de sa communauté. Mais cette séquence durant laquelle elle s’est sentie d’abord „déracinée“ s’est achevée par un émerveillement. Une amie lui a fait rencontrer la présidente de l’association, Sandrine Gashonga, qui prévoyait la tenue d’une manifestation devant l’ambassade des États-Unis. Elle a participé au succès inespéré de l’organisation. Elle a pris la parole devant mille personnes que la pluie battante n’avait pas dispersées. Elle s’est réjouie de voir „tant de gens se donner de la peine pour comprendre notre douleur“, comme elle l’avait confié à L’essentiel, à chaud. „C’était une connexion émotionnelle de parler et de voir tous ces gens, pas tous américains, soutenir ce mouvement, en colère et tristes“, se souvient-elle.
La mort de George Floyd a apporté un nouveau souffle à Lëtz Rise Up. Mais Vanessa Perez en est l’arbre qui cache la forêt. Tous ne se sont pas comme elle, engagées durablement, en intégrant un projet pour aider les femmes entrepreneures racialisées au Luxembourg à surmonter l’obstacle du financement. Passé l’émotion, le nombre de bénévoles a fondu durant l’année 2021. Or, avant d’en arriver à pareille extrémité capable de soulever les foules, le racisme structurel fait un travail de sape quotidien, qu’il s’agit d’identifier et de combattre. Et pour mener cette lutte, il faut de nombreux bras.
Pour atteindre cet objectif, il existe aux Etats-Unis une expression „affirmative action“, moins oxymorique et plus ambitieuse que l’expression „discrimination positive“. Elle entend agir dans tous les secteurs-clé pour miner les effets du racisme structurel, que ce soit par une plus forte représentation afro-descendante dans les médias, l’organisation de workshops anti-racistes à l’adresse des associations et compagnies, une prise en compte de l’histoire coloniale ou encore une campagne en faveur d’excuses pour la participation du Luxembourg à la colonisation du Congo belge. Ce sont des idées politiques et c’est la raison d’être d’une association comme Lëtz Rise Up de les porter.
Prête au backlash
Il faut toutefois avoir parfois le cœur bien accroché quand on fait de ses origines un combat politique. Défendre l’anti-racisme de la sorte, c’est s’exposer aux retours de flammes racistes. Sandrine Gashonga en sait quelque chose. „On est exposée. Il faut souvent réagir à chaud sur des événements. C’est compliqué. Il faut maîtriser ses émotions, faire preuve de beaucoup de diplomatie et peser ses mots sur des sujets très sensibles comme la mort de Zuka, où même dans la communauté afro-descendante les avis étaient très mitigés.“ Cela explique des formes de burnout observable parmi les militantes de mouvements anti-racistes.
La sortie de Sandrine Gashonga invitant à prendre en compte la douleur de la famille de Zuka abattu par la police lui a valu un torrent d’insultes. A la différence des pays comme la France et la Belgique d’où viennent les modèles du mouvement (Bamko et Comité Adama), au Luxembourg, remettre en cause la police, c’est toucher au symbole d’une nation de propriétaires. Mais ces insultes qui visaient sa fonction n’ont rien à avoir dans leur violence avec les obstacles dans une recherche de logement qu’elle a déjà expérimentée en privé. Elles n’ont rien non plus à avoir avec le racisme que subit dans son coin une femme de ménage, sans pouvoir aussi facilement se défendre.
Quand Sandrine Gashonga lui a suggéré de reprendre la présidence, Vanessa Perez a trouvé cela „dingue“, mais elle n’a pas eu peur un instant. „Je sais que je subirai du backlash. Mais je suis très bien préparée. Je suis contente d’être dans cette position, car je veux aider les autres. Je ne suis pas ici pour parler de moi. Je souhaite entendre toute opinion qui n’est pas la même que la mienne, pour qu’on puisse apprendre ensemble.“ Quant à certaines idées haineuses qui ne méritent plus d’être discutées, Vanessa Perez les prend aussi avec l’esprit diplomate qui la caractérise: „Cela vient d’ignorants. Et la définition d’un ignorant est quelqu’un qui ne sait pas et a encore des choses à apprendre. Donc je ne le prends pas pour moi.“
Pour se donner de la force, Vanessa Perez aime réciter un aphorisme d’Angela Davis: „Je n’accepte plus les choses que je ne peux pas changer. Je change les choses que je ne peux pas accepter.“ Comme elle, elle a traversé l’océan. Comme elle, elle n’a pas oublié d’où elle vient.
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Daat as jo ganz löblech, mee dann muss ALL Form vun Rassismus beuecht gin.
@Gronk
Wat sin dann déi aner Formen vu Rassismus déi mer musse bekämpfen?