/ En quête d'émotions: les nouveaux centres commerciaux misent sur l'expérience
Zones de loisirs, d’expériences et de convivialité, les nouveaux centres commerciaux misent sur l’émotion pour attirer les clients.
Un papa prend en photo sa petite fille tout sourire devant une photographie de l’exposition Nanuk consacrée au travail de Michel Rawicki, spécialiste de l’ours polaire. C’est le genre de scène qui donne aux promoteurs de centres commerciaux le sentiment du devoir accompli. Pour tirer son épingle du jeu face à la concurrence, notamment celle de la vente en ligne, l’émotion et l’expérience sont les nouvelles valeurs cardinales. Elles comblent ainsi le vide que le seul acte de consommation fait autour d’elle.
C’est d’abord et avant tout par sa fonction que le centre commercial de la Cloche d’Or se détache. La société Ceetrus, émanation du groupe Auchan, dont elle est séparée depuis trois ans, conçoit son centre commercial, créé ex nihilo, dans un quartier à définir, comme un espace de sociabilité, quasi public. „Il endosse la fonction dévolue à la mairie, à l’église ou à qui vous voulez. C’est le centre commercial qui doit apporter cette dimension coeur de quartier, d’animation et constituer un endroit où les gens ont envie de se rencontrer“, explique le directeur de Ceetrus, Eric Mathieu. Le directeur des lieux, Raphaël Boucher, file la métaphore en qualifiant de „place du village“, l’endroit d’exposition et de concert où il est possible de réfléchir, avec l’exposition Nanuk actuellement, ou de se divertir. „Le centre commercial Cloche d’Or est un acteur citoyen, ouvert sur son environnement, engagé“, ajoute-t-il.
Pour ce faire, le centre de la Cloche d’Or rompt avec les vieilles habitudes des parcours obligés. Les possibilités d’entrée et sortie, comme celles de montée et de descente, sont démultipliées. Le flâneur comme celui qui file droit vers une course doivent pouvoir y trouver leur compte. L’esprit de la Belle Etoile, pionnier des années 70, semble bien loin. Celui du City Concorde, qui se présentait comme un lieu exotique d’excursion dans les années 80, tout autant.
S’alimenter, une expérience non dématérialisable
„On est dans cette historicité-là. Ce sont nos grands-parents. On ne renie pas cette ascendance. On a juste changé de génération“, observe Eric Mathieu. Ainsi, il n’est plus question que l’enseigne alimentaire fasse office de locomotive centrale. „Historiquement, on allait à l’hyper et après à la galerie. Les habitudes de consommation ont beaucoup évolué. La locomotive est le centre commercial dans son ensemble. Et chaque boutique est un wagon du train.“ A la Cloche d’Or, l’hypermarché Auchan est remisé à l’étage inférieur, bien séparé des deux autres plateaux du centre commercial. Il renie même son nom. C’est un „lifestore“, un lieu de vie, dans lequel les métiers traditionnels, du quartier ou du village, sont à l’honneur: le boucher, le poissonnier, le boulanger, le fromager. Au centre du magasin, une brasserie propose aux clients de consommer les produits du magasin et d’aller chercher dans la cave à vins la bouteille qu’il consommera sans supplément. Un lieu de conférence permet aussi d’y réfléchir.
Le centre commercial de la Cloche d’Or a pour particularité de laisser une grande place à l’alimentaire, avec une vingtaine d’offres de restauration. Victorine et Namur se sont chacun offert un grand plateau qu’on dirait flotter au-dessus du grand hall d’entrée. Au premier étage, les autres se côtoient en enfilade profitant d’un espace spécialement dédié qui offre un tour du monde gustatif. Si on ajoute à cela les salons de café et de thé, „du petit déjeuner jusqu’au dîner, vous avez une offre capable de vous accueillir“, souligne Eric Mathieu.
„Food & beverage“
Dans l’édition d’octobre de son magazine Retail Therapy, le bureau Cushman & Wakefield souligne l’intérêt croissant des centres commerciaux pour l’alimentaire. En quelques années, sa part y est passée de 3 à 10% de leur superficie. Le „food & beverage“ est ainsi considéré comme un „véritable facteur de résilience des centres commerciaux et une valeur sûre pour les années à venir, avec un réel potentiel de croissance de revenu à moyen terme“.
L’alimentaire a aussi l’avantage d’augmenter le temps de présence des clients dans le centre. A la Cloche d’Or, il est un argument de choix pour attirer les 25.000 à 35.000 personnes qui y travaillent et qui disposaient jusque-là d’une offre éparpillée. Ils constituent avec les 3.000 élèves et leurs parents, les 3.500 habitants du quartier jusqu’aux 400 personnes qui pourraient ponctuellement fréquenter le centre de secours et de formation des pompiers, le groupe des clients qui viennent par contrainte, selon la typologie d’Eric Mathieu. Coiffé de 250 logements, qui ont un accès à un wellness privatif, à trois étages de cabinets médicaux et aux magasins, le centre commercial apporte aussi sa contribution démographique au quartier.
„Nous, nous sommes des exhausteurs d’expériences“
Pour attirer ceux qui, habitant plus loin, doivent „avoir envie“ de venir, il y a d’abord l’architecture. Le centre commercial cumule ainsi les meilleures pratiques du groupe aux plus de 200 centres commerciaux, pour ce qui est de la lumière naturelle et du parcours sans contrainte et tout en courbes. Ceetrus mise ensuite sur l’attrait de l’offre commerciale par la présence d’enseignes uniques, jusque-là absentes du Luxembourg, voire de la Grande Région. Ces enseignes comptent pour 55% des 125 boutiques. Les marques qui d’habitude privilégient leur développement dans des capitales à très forte population, comme Arket, marque du groupe H&M lancée en août 2017, sont particulièrement courues à la fois pour freiner l’évasion des clients locaux vers l’extérieur mais aussi attirer ceux de la Grande Région. „L’accueil du client, c’est la carte, c’est la chose sur laquelle ont doit être irréprochable“, poursuit Raphaël Boucher.
Chaque magasin apporte sa propre expérience de shopping. Le centre commercial la complète par des services de garde des enfants et de conciergerie, par la tenue de concerts et par les grands moments qui ponctuent l’année. Ainsi, pour Noël, on annonce le plus bel espace décoré de la Grande Région. „Il y a des exhausteurs de goût. Nous, nous sommes des exhausteurs d’expériences, des exhausteurs de rendez-vous habituels.“
Les loisirs sont avec l’alimentation, l’autre secteur „non dématérialisables et non substituables par l’e-commerce“, sur lesquels les centres commerciaux comptent. Pour la Cloche d’Or, ce sera un grand défi, notamment pour capter la population active alentour à la sortie du bureau et lui „donner de bonnes raisons de passer un peu de temps ici au lieu d’aller dans les bouchons en attendant que le trafic s’améliore“. Des offres de yoga dans le parc de 20 hectares qui ouvrira à côté sont en réflexion.
Retailtainment: plus que du shopping
Un nouveau complexe commercial, projeté à Junglinster à la fin de 2021, devrait pousser très loin l’association entre les loisirs et le commerce, le „retailtainment“. Le projet né il y a sept ans sous la forme d’un „retail park“ classique comme celui de Foetz s’est transformé pour prendre en compte la quête de nouveautés des clients. L’expérience est au coeur du projet, explique Laurence Brix, responsable marketing et communication de l’agence de conseil Inowai, qui accompagne le projet d’Arches Métropole, déjà concepteur du centre Wave, près de Metz. Rassembler une offre jusqu’ici éparse de loisirs sera l’argument décisif du centre.
Le projet, dont la demande de PAP sera déposée en décembre, devrait compter un haut mur d’escalade, un escape room, un bowling, un parc de trampoline et un accrobranches („Kletterpark“). Le concept est également de proposer aux entreprises des packages pour des afterworks, explique Laurence Brix. La recherche en cours d’un nom qui permette de transmettre la réalité de cet endroit hybride fait aussi de bureaux n’est pas tâche aisée. Une chose est sûre, il sera en anglais, à même de capter aussi bien les touristes néerlandais du Mullerthal tout proche que la population active cosmopolite de Luxembourg autour de l’offre de loisirs, que l’on peut coupler avec des restaurants et un hôtel aussi présents.
„Un lieu de vie dans lequel il y a du commerce“
Dans leur volonté de se diversifier, le terme de centre commercial gêne désormais ses promoteurs. Comme s’il indiquait un modèle dépassé, condamné à l’échec. Eric Mathieu parle de la Cloche d’Or comme d’un „lieu de vie dans lequel il y a du commerce“. Laurence Brix parle du projet de Junglinster comme d’“un centre de loisirs avec offre commerciale“.
Le directeur de Codic Luxembourg, Vincent Beck, a des raisons plus objectives de ne pas vouloir désigner Royal-Hamilius de centre commercial. C’est un projet d’urbanisation qui dépasse le commerce et comprend également des bureaux, résidences et parking. Et „chaque commerce dispose d’un pas de porte directement sur la ville“. Par contre, pour ce qui est du choix de la vingtaine de commerces qui doivent s’y installer, les notions de parcours et d’expérience chères aux centres commerciaux affleurent rapidement dans son discours. L’îlot Royal-Hamilius semble pouvoir être considéré comme l’aile d’un grand centre commercial à ciel ouvert. „L’ambition est de reboucler la Grand-rue et la rue Monterey autour de la rue Philippe II pour permettre non plus que les clients soient dans une démarche d’allers-retours dans la Grande-rue mais qu’ils puissent faire un parcours, celui que la rue Aldringen formera avec la Grand-rue, l’avenue Monterey et la rue Philippe II“, explique Vincent Beck.
L’îlot Royal-Hamilius: la possibilité d’un parcours urbain
„Dans l’espace du retail, il y a les centres commerciaux qui, de plus en plus, tendent à offrir des services et à s’ouvrir sur l’extérieur“, observe Vincent Beck. „Les centres-villes travaillent de plus en plus à offrir des parcours commerciaux et une vraie unification des expériences clients par des politiques concertées, des études de trafic, des cadastres commerciaux et des plates-formes web tel le LetzShop.“
Codic propose une expérience client nouvelle, de par, d’abord, la mise à disposition de volumes de commerces – des hauteur de vitrines de 7 m de haut, des largeurs de façade jusqu’à 25 m et des surfaces de 23 m à plus de 600 m2 – jusque-là inconnus dans la capitale. Il entend attirer de nouvelles enseignes soit luxembourgeoises soit internationales pas présentes sur le territoire national. L’îlot est également divisé en deux parties. Du côté des galeries Lafayettes, le prêt-à-porter, mode et beauté, regroupant cinq enseignes. Autour de la place Hamilius, „lieu de vie“ de l’îlot, une supérette Delhaize, un restaurant avec Victorine, un opérateur de téléphonie avec Tango.
Pour le reste des abords de la place, Codic a pensé développer une offre en souffrance au regard des tranches d’âge représentées dans la population luxembourgeoise: le sport et le streetwear, avec six boutiques. Là aussi, il ne s’agira pas de proposer seulement des articles mais aussi des ateliers. „On demande aux enseignes d’offrir l’expérience-client avec le produit mais aussi des services qui vont au-delà du simple service après-vente. La complémentarité produit services permet de créer l’expérience.“
Réserver en ligne, acheter sur place
Les galeries Lafayette, qui ouvriront le 30 novembre prochain. l’arrivée du grand magasin qui aura sa coupole de verre et son atrium comme son ancêtre parisien, vont offrir une expérience client unique. La FNAC, qui occupera 800 m2 en sous-sol, apportera notamment de nouvelles possibilités numériques encore indisponibles. Son service „click & collect“, capable de rivaliser avec les plate-formes de vente en ligne, permet au client de commander en ligne parmi une offre pléthorique et de retirer en magasin. „On essaie de faire la synthèse de ce qui se fait sur le web et dans les boutiques physiques“, résume Vincent Beck.
Dans l’idée aussi des magasins de luxe de la rue Philippe II, il s’agit aussi de capter les touristes qui pourraient trouver à Luxembourg ce qu’ils trouvaient jusque-là dans d’autres capitales. A ce titre, le restaurant avec jardin ouvert au public, qui coiffera le bâtiment accueillant les galeries Lafayette, doit constituer aussi un pôle d’attraction. Il s’ajoutera aux attractions touristiques d’un genre nouveau qui lui sont équidistants et que sont l’ascenseur de Pfaffenthal et le passage sous le pont Adolphe. „Avec cette offre, nous plaçons encore davantage le Luxembourg sur les points de destination shopping en Europe et dans la Grande Région.“
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