Joël Rollinger alias Rojo / En route pour la joie
Joël Rollinger, alias Rojo, fait rire la rue aux éclats de ses couleurs pastel. Après avoir rhabillé Le Mur de la rue Bender à Luxembourg, en ces deux premiers mois de l’année, 2023 devrait être pour cet ancien graffeur l’année d’un travail intense en atelier.
Depuis deux semaines, piétons, cyclistes et usagers de bus qui empruntent la rue Bender à Luxembourg sont saisis par une fresque capable de capter le regard des plus indifférents. Depuis que le projet „Le Mur“ porté par l’association „I love graffiti“ existe au printemps dernier, l’œuvre signée Rojo est sans aucun doute celle qui est arrivée le mieux à s’imposer dans cet environnement plutôt austère et gris. Il le doit à ses couleurs vives et un style particulier, une signature, qui sait comment les faire jaillir.
L’œuvre n’a pas de nom et disparaîtra après deux mois comme toutes celles passées et à venir de ce projet qui, jusqu’en 2025, verra 19 artistes s’exprimer sur ce mur de 3×11 mètres. Avant lui, Jeroo avait impressionné par sa capacité à donner de la profondeur et du relief au mur et Ried par son art de la calligraphie. Sixième artiste en lice, Rojo a la particularité d’avoir retenu une thématique qui intègre l’environnement bâti des lieux. Cela a peut-être à voir avec ses études d’architecte, métier auquel il a préféré l’activité artistique, qui offrait bien plus vite de quoi exprimer sa créativité. Il est parti de l’idée d’exposer au grand jour, une cour d’intérieur, un de ces espaces d’intimité que les façades préservent des passants. C’est une cour intérieure d’habitants plutôt ordonnés et tournés vers la nature, ceux de sa génération, qu’il présente. On y croise un vélo, des plantes, une cage d’oiseaux, une lampe, des chaises, une table. Il a hésité à faire une scène de rue avec la bicyclette, puis s’est décidé à faire „un mix chaotique“ de toutes les idées qu’il voulait réaliser.
Poésie du quotidien
Les objets du quotidien sont un motif récurrent du travail de Joël Rollinger. Il aime leurs lignes, leurs contours. Si l’on n’en avait pas dissuadé, il en aurait mis encore davantage d’objets sur la façade. Normalement, il n’y a aucun espace vide dans ses œuvres. „À un moment donné, il faut arrêter, car il y a trop de couleur noire. On ne voit plus rien“, concède-t-il. Les détails de cette profusion pourraient faire penser de près à un art abstrait, mais à bonne distance, depuis la route, c’est le travail figuratif qui apparaît dans toute sa splendeur.
Le style de Rojo est notamment marqué par ces lignes noires, épaisses, jamais courbes, donnant de l’éclat aux couleurs pastel des objets qu’elles délimitent. L’inspiration lui vient particulièrement de l’artiste designer américain du début du siècle dernier, Louis Comfort Tiphany, et de ses fenêtres qui présentent de semblables traits noirs qui entourent les morceaux de verre. C’est d’ailleurs un des nombreux souhaits artistiques de Rojo que de pouvoir réaliser un jour une même fenêtre avec des morceaux de verre colorés.
„Je travaille très géométriquement. Je n’utilise presque jamais les formes rondes“, poursuit l’artiste. Cela lui permet de varier son style sur nombreux supports, y compris les mosaïques, et avec de nombreuses techniques diverses, jusqu’à l’usage de scotch. „J’aime aussi les inspirations architecturales. Je change toujours des motifs, mais c’est toujours figuratif.“
Rojo est attaché aussi à utiliser une couleur, sans ses nuances, par objet. Ce plaisir visuel, il le tient de ses années de graffeur, quand il sélectionnait une couleur pour le lettrage et une couleur pour le contour. Cette technique lui a valu d’ailleurs très jeune un article de presse … lorsque la police l’a arrêté parce qu’il calligraphiait sur les murs. Il peut désormais évoquer l’anecdote en rigolant. Jouer avec la loi est de l’histoire ancienne.
50 œuvres à livrer
À la différence d’amis avec lesquels il a réalisé ses premiers projets, il est le seul qui est devenu artiste professionnel, qui a ressenti la pression de créer. Et peu à peu, le travail en atelier prend le pas sur le travail dans la rue. En 2022, il a peint des façades au Cap-Vert, en Turquie et au Portugal. Cette année, un seul et même projet l’emmènera au Portugal, en France (Montpellier) et en Italie. Ces voyages, c’est beaucoup d’organisation. Mais c’est aussi sur le travail en atelier que ce jeune père entend s’investir davantage en 2023. On a vu trois de ses œuvres au dernier salon du CAL. Il en présentera de nouvelles au salon de printemps qu’organise la même organisation. Mais il se prépare surtout à une exposition monographique d’ampleur à la fin de l’année, durant laquelle il va proposer cinquante œuvres, qui composeront un vaste panorama de ses techniques, supports et motifs.
Il a toujours fait les deux, toile et façade. Longtemps, il le concevait comme deux exercices différents, jusqu’à ce qu’il trouve une ligne, et que les supports qu’il alterne serve tous un même développement artistique. Rojo peint aussi sur du bois, sur du métal, du plexiglas, des objets qu’il trouve. „Quand j’ai fait cinq toiles avec des bombes, je n’ai plus envie et je prends le pinceau. Et quand j’ai fait trop de toiles, j’ai envie de faire des façades ou des sculptures. Je dois changer toujours. Peut-être que, dans quelques années, je vais faire du nature art“, s’amuse-t-il.
Quand j’ai fait cinq toiles avec des bombes, je n’ai plus envie et je prends le pinceau. Et quand j’ai fait trop de toiles, j’ai envie de faire des façades ou des sculptures.
Joël Rollinger se laisse parfois aller à des messages politiques, comme lorsqu’il revisite „La nuit étoilée“ de Van Gogh, avec des enseignes lumineuses de marques mondialisées. Mais ce qu’il aime par-dessus tout, c’est jouer avec les matières, jouer avec les formes, détourner les perspectives, quitte à ne plus faire les objets les plus réalistes. Une œuvre comme celle qu’il a peinte sur le mur de la rue Bender, „c’est pour la joie“, dit-il. La sienne et la nôtre.
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