Photographie / „Fictitious location spotting for a non-existing movie“: Les films de Véronique Kolber
La photographe Véronique Kolber superpose les photos de ses voyages américains aux scripts de réalisateurs qui aiment comme elle les lieux et ambiances mystérieuses.
Il est des projets qui prennent leur temps: des émotions qui naissent d’abord, des intuitions qui résonnent ensuite et des idées enfin qui font tenir soudainement l’ensemble. Entre le hasard d’une rencontre faite au début des années 90 et l’exposition „Fictitious location spotting for a non-existing movie“ que le Cercle Cité héberge dans le cadre et jusqu’à la fin du Luxembourg Film Festival, il y a désormais 300 mètres. Qui ne disent pas le long cheminement d’une attraction.
Véronique Kolber se voit encore, jeune adolescente, quitter son village de Steinsel, montant à bord de la ligne 10, grimper vers la capitale, entrer dans la bibliothèque et voir son regard happé par la rougeur d’un livre: „It“ de Stephen King. Elle regagne ses pénates et sur la remorque du tracteur de son père, elle se jette à corps perdu dans la lecture. Elle se souvient des odeurs de fer, de la chaleur qui la rattrape à l’ombre, la solitude et ce voyage vers l’Amérique, dans les pas de sept personnages, terrorisés durant leur enfance et rattrapés à l’âge adulte par leurs peurs enfouies et la banalité de la cruauté.
Quelques années plus tard, elle entame l’exploration de ces Etats du Midwest, à la recherche des atmosphères mystérieuses, lourdes de non-dits. Elle y retournera pendant huit ans, appareil en bandoulière. Il en sortira un premier projet American Diorama, un dyptique, fortement inspiré par le travail de William Egglestone et Shore, deux coloristes aux origines de l’invention de la photo couleur moderne. Le travail présente d’une part des rues animées où c’est le passant qui capte son attention. L’autre partie présente des lieux non-identifiables, sans présence humaine.
Une idée sur un plateau
Dans cette seconde partie, elle cultive l’attente de ces temps suspendus où l’on ne sait plus si c’est la chose advenue ou à venir qui nous saisit. Des portes ouvertes suggèrent un départ abrupt ou une intrusion prochaine. Même les espaces sans portes ni fenêtres semblent trop immobiles pour ne pas cacher quelque chose. Ce sont des photos de police judiciaire sans crime apparent. Il n’y a pas d’âme qui vive sur ces clichés. Comme si les lieux soudain portaient un lourd secret.
Véronique Kolber avait laissé ces clichés sur un goût d’inachevé, avec l’impression tenace mais floue qu’il restait encore une touche à leur apporter, comme si elle avait elle-même à remplir la page blanche qu’elle pensait laisser à celui qui scrute. Avec les années, elle a continué à cultiver ces ambiances qu’elle dit avoir été en elle depuis toujours, en s’intéressant aux films et intrigues qui jouent avec ces codes. Elle y a d’ailleurs rencontré des réalisateurs admiratifs du travail d’Eggleston, comme les frères Cohen et David Lynch.
Lorsque sa nouvelle carrière de photographe de plateau l’amène à lire des scripts, elle s’éprend pour ce genre et commence la lecture des scripts de ses films préférés. Le premier d’une longue liste à venir est „Lost Highway“ de David Lynch. A la lecture de la première scène, elle a une impression de déjà-vu. Le texte semble décrire une de ses photos. Elle se met à sa recherche et le souvenir se confirme. C’est le déclic, elle se prend au jeu de piste et se met à lire les scripts des films et à en sélectionner des extraits, pour suggérer une explication à ses images hantées ce que les endroits déserts peuvent abriter de mystères et engendrer d’êtres.
Plongé entre jour et nuit
La commissaire de l’exposition que le Cercle Cité consacre à ces montages, Anouk Wies, y voit le travail inverse du photographe de décor. Il ne s’agit plus de photographier ce qui est créé par le script, mais de coller le script sur une photo tirée du réel. Le spectateur est libre de lire le script ou de se laisser bercer par l’ambiance d’une photo, ou à se baigner dans l’ambiance d’étrangeté de l’espace d’exposition. Les photos grand format y côtoient les plus petites. Une table en formica sur laquelle trône une machine à écrire semblable à celle de „Shining“ présente des reconstitutions de polaroids qui se présentent comme des indices.
Une vidéo présente un montage de ses photos, agrémenté de la lecture du script – en langue et accent originaux – et une musique que Daniel Balthasar, son mari qui l’a accompagnée dans toutes ses virées, n’a pas eu de mal à composer. „On est plutôt dans des ambiances d’un quotidien ordinaire, ce n’est pas l’idée du cinéma hollywoodien. On est plongés entre jour et nuit, entre le passé et aujourd’hui“, résume Anouk Wies
A l’entrée de la salle où elle réinvente ses séjours par l’apport des scripts de film, Véronique Kolber accueille le passant avec un rappel „Toute mémoire est fiction“. Kolber attribuerait volontiers à l’art de son père de raconter et d’exagérer les histoires, cette idée que tout n’est pas exactement comme on le voit et le perçoit. Et les nombreux ouvrages de Stephen King que la photographe a lus depuis „It“ et qu’elle met à disposition de ceux qui voudraient entamer le voyage n’ont pu que la conforter dans cette vision.
Expo
Jusqu’au 14 mars 2020
Tous les jours 11-19 h, entrée libre
Espace d’exposition Ratskeller, rue du Curé, Luxembourg-ville
Visite guidée gratuite tous les samedis à 15 h: le 15 février (anglais), le 22 février (luxembourgeois/allemand), le 29 février (français), le 7 mars (anglais) et le 14 mars (luxembourgeois/allemand)
Le 3 mars à 19 h: LxScript vol. 4 avec Véronique Kolber
Le 4 mars à 18 h: intervention musicale „Temp Tracks“
Publication
L’exposition donne aussi naissance à une publication tirée à 100 exemplaires. Elle apporte la preuve que les droits d’auteurs ne sont pas un frein à la création. Contrainte par ceux-ci à renoncer à l’usage d’extraits de scripts, Véronique Kolber a écrit elle-même des scripts pour accompagner ses photos. Elle s’est servi d’éléments autobiographiques et y multiplie les clins d’œil au cinéma. Soit une autre démonstration que la mémoire est fiction.
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