Exposition digitale 75 ans des CFL / Fränz Hausemer en aiguilleur
Le comédien, musicien et documentariste François Hausemer a passé ces trois dernières années sur la conception de l’exposition virtuelle consacrée aux 75 ans des Chemins de fer luxembourgeois (CFL). Dans le web-documentaire „75 ans en mouvement“ qu’il en a tiré, comme dans „Schwaarze Mann“ avant cela ou dans un film sur un poète de la Hiel après, c’est toujours l’humain qu’il traque.
En confiant à Fränz Hausemer la conception de l’exposition virtuelle consacrée à ses 75 ans d’existence, les Chemins de fer luxembourgeois (CFL) n’auraient pas pu mieux tomber. Non seulement parce que le documentariste ressortait auréolé du succès de son subtil et émouvant documentaire consacré au parcours du premier Luxembourgeois noir, Jacques Leurs (1910-1968). La direction des CFL avait comme beaucoup été fascinée par ce film dédié à cet ancien cheminot syndicaliste et socialiste tombé dans l’oubli et raconté par sa femme. Cette dernière, Léonie Leurs, est entre-temps décédée à 102 ans mais continue à diffuser sa vitalité contagieuse sur les écrans. „Schwaarze Mann – Un noir parmi nous“ vient même d’être sélectionné pour le prestigieux festival du film documentaire de Biarritz.
Le film brillait par ses rencontres humaines; mais aussi par l’ambiance diffusée par les images de train et de voyages sur laquelle se posait la voix du narrateur. „L’iconographie ferroviaire est extrêmement puissante, chargée d’émotions et de souvenirs. Il y a toute une tradition cinématographique qui tourne autour de cette imagerie“, observe le cinéaste en pensant notamment au premier film de l’histoire du cinéma, „Entrée en gare de la Ciotat“ et à l’adaptation du „Crime de l’Orient Express“ par Sidney Lumet.
Mais si les CFL ont été bien aiguillés, c’est aussi parce que l’artiste de 46 ans est un véritable adepte du train. Comme moyen de transport privilégié, mais aussi comme atelier de création mobile. „Le train est un lieu clos, mais qui bouge à travers l’espace et le temps. Plusieurs choses s’y passent en même temps. Quand je prends le train, c’est forcément pour regarder par la fenêtre un paysage qui défile dans lequel je me retrouve et qui change en permanence. Tu es à la fois avec les gens et avec toi-même. Je trouve le train très stimulant par rapport à l’écriture, à la réflexion. J’ai l’impression d’avoir déjà eu plein de bonnes idées dans des trains.“
Je trouve le train très stimulant par rapport à l’écriture et à la réflexion. J’ai l’impression d’avoir déjà eu plein de bonnes idées dans des trains.
Le temps des bouleversements
Pour Fränz Hausemer, il était rapidement clair que l’exposition virtuelle devait prendre la forme d’un web-documentaire, puisqu’il était pensé pour être vu sur smartphone. Il fallait toutefois mener une réflexion sur la forme, qu diffère de celle d’un documentaire de 90 minutes destiné au cinéma. Sur internet, la façon de regarder est différente. L’internaute est réputé disposer de moins de temps que le cinéphile. „Il fallait prendre en compte cette différence. Mais si on voulait faire un travail sérieux et non superficiel, il fallait se donner des moyens de rentrer dans des sujets assez complexes comme la libéralisation des chemins de fer, qui ne s’expliquent pas en cinq secondes.“ Le résultat se décompose en 32 films, cumulant une durée totale de 3 heures 50 minutes. Les séquences sont réparties dans trois domaines (l’entreprise, le réseau et le fret), déclinés eux-mêmes par thèmes (visibles sur www.cfl75.lu).
Il y avait les figures imposées, à savoir les attentes du commanditaire. Les CFL étaient soucieux d’évoquer l’histoire la plus récente et notamment le travail accompli pour survivre à la libéralisation du rail initiée à la fin des années 90. Et puis il y a la patte de Fränz Hausemer, attentif à montrer l’humain, dans son rapport au travail et aux machines. Les 75 dernières années ont signifié de grands changements dans le monde ferroviaire. Le documentariste né au milieu des années 70 a d’ailleurs lui-même été témoin de cette transition, faite d’électrification, d’automatisation et de rationalisation. Il s’en est rendu compte au fil des interviews, réalisant que lorsqu’il prenait, garçon, le train pour aller à l’école de musique à Esch dans les années 80, il empruntait un autorail vieux d’une quarantaine d’années parce qu’on ne le remplaçait pas faute de certitude sur l’avenir. Les gares étaient encore peuplées d’employés des CFL, mais apparaissaient déjà les premières gares fantômes. Les aiguillages étaient encore mécaniques et une ligne ne pouvait être commandée d’un seul poste directeur. On retrouve toutes ces évolutions dans l’exposition en ligne, qui dessine ainsi l’histoire d’une entreprise et de ses salariés aux prises avec l’évolution technologique. „Les CFL sont une entreprise très technologique. On y observe ce qui se passe à peu près dans tous les domaines de la société.“
La période des années 80 fut aussi décisive, du fait que, malgré la concurrence destructrice que faisaient au train la voiture et, dans une bien moindre mesure, le bus, qui avait l’avantage à la campagne de passer au milieu du village, les CFL ont sous la pression de la rue (6.000 manifestants à Troisvierges le 8 juin 1980) pris la décision de maintenir la ligne du Nord puis de l’électrifier. Cette décision est avec celle prise au début des années 2000 de maintenir le fret un de ces paris sur l’avenir qui se sont révélés payants avec le temps.
Voix sacrées
Le travail de Fränz Hausemer, qui a longtemps fait du reportage radio, était aussi un travail d’archiviste et de passeur entre plusieurs générations de cheminots. „Ce qui était très important pour moi en tant que documentariste, c’était de capter des témoignages d’anciens cheminots, qui sinon, comme d’habitude, disparaîtraient“, explique-t-il. Il a ainsi tenu à documenter le travail de bénévoles qui sauvent le patrimoine ferroviaire, de filmer des anciens reprenant les commandes de leur locomotive.
Les CFL ont donné du travail à tellement de personnes, notamment peu diplômées, que le réservoir d’histoires est potentiellement sans fond. Le cinéaste réussit à en recueillir de très belles, à commencer par le trépidant témoignage d’une ancienne garde-barrière de Lellingen. En quelques minutes, cette dame de 82 ans fait mesurer tout le chemin parcouru depuis les années 50. Elle rappelle les vaches qui n’aimaient pas marcher sur les scories et leurs maîtres qui ne voulaient pas attendre malgré le danger, et à qui elle faisait entendre raison en se répétant: „Je ne vais par aller en prison pour un paysan.“ Elle évoque aussi savoureusement son mari qui chapardait un peu de combustible au passage des trains. Si on ajoute des séquences pédagogiques sur le fonctionnement du réseau ferré et de nombreux entretiens „politiques“, l’exposition des CFL propose de nombreuses portes d’entrées capables de satisfaire des sensibilités diverses. Son auteur la conçoit comme une fresque, dont chacun est libre de regarder les détails qui l’intéressent.
Avec cette expérience, Fränz Hausemer a ajouté de nouvelles cordes à son arc. Il a appris les métiers de la production. Mais il a aussi acquis de nouvelles connaissances techniques par l’usage de drones. D’abord méfiant envers cette technique à la mode et pas toujours pertinente („A force de prendre de la hauteur, on ne voit plus rien“, dit-il) il s’est toutefois rendu à l’évidence : „Les trains, les lignes font des dessins dans le paysage et c’est en prenant de la hauteur qu’on comprend vraiment ce qui se passe. Visuellement, c’est très riche aussi.“ A bien y réfléchir, le drone pourrait l’accompagner sur d’autres projets tant il se prête bien au genre documentaire toujours soucieux de varier ses prises de vue. „Ça permet de voir ce qu’on ne verrait pas autrement. Or, c’est ce qu’on essaie de faire dans un documentaire: montrer l’envers du décor.“
Travailler trois ans auprès d’une entreprise quand on est artiste indépendant depuis deux décennies, ce n’est pas banal. Fränz Hausemer s’est surpris à apprécier de se fondre dans un collectif plus grand et familial. La fin de l’expérience signifie retrouver une liberté encore plus grande. Il compte bien l’employer dans le tournage d’un nouveau film qui mêle poésie, fiction et documentaire. Le projet consiste à cartographier l’univers poétique de l’Eschois Gast Rollinger. Il restera proche du réseau ferré, puisque le poète septuagénaire habite dans une maison du quartier de la Hiel qui l’a vu naître. Et sa caméra restera cette fois à quai, puisque le territoire poétique qu’il doit documenter s’étend sur deux petits kilomètres carrés autour de sa maison.
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