Son talent enfin reconnu / Gaston Rollinger, le poète anachronique
Professeur d’allemand et homme de cinéma, natif de la Hiehl où il vit encore à 77 ans, Gaston Rollinger a aussi écrit, dans les années 90, des poèmes saisissants qui décrivent la vie de son territoire minier collé à la frontière. Le musicien et réalisateur, Fränz Hausemer lui rend un double hommage, sous forme musicale d’abord par un concert ce 26 mars au Centre national de littérature à Mersch et un disque. En attendant la sortie d’un documentaire en 2025.
Du chemin de fer aérien au Ellergronn, en passant par le Kazebierg et le plateau Barbourg. Le territoire de Gaston Rollinger est une longue et étroite bande qui ne s’éloigne jamais beaucoup de la frontière française. Ce coin de terre rouge est marqué par une forêt vallonnée, accidentée, peuplée d’êtres mystiques et d’installations – devenues vestiges – sidérurgiques. Gaston Rollinger a commencé à le filmer au début des années 60, empruntant la caméra de son père, fonctionnaire à l’Arbed, pour tourner des films avec ses copains d’enfance sur leur terrain de jeu et de rites initiatiques.
A l’époque, l’adolescent avait demandé à ses parents la permission ne plus partir en vacances avec eux durant l’été. Il voulait profiter de son quartier durant les quatre saisons. 60 ans plus tard, dans sa maison natale qu’il n’a jamais quittée, trône une affiche avec un texte de Gottfried Benn: „Du musst alles aus deiner Gegend holen, / denn auch von Reisen gehst du leer zurück.“ Ce pourrait être son slogan. Gaston Rollinger n’a jamais voyagé loin, autrement qu’en se plongeant dans les livres. „Il avait l’impression qu’il avait tout à découvrir sur place. S’il a pu le faire, c’est parce qu’il porte un regard poétique sur ce qui l’entoure. Sans ce regard, on peut s’ennuyer ici“, observe le réalisateur, comédien et musicien Fränz Hausemer. „Il profitait pleinement des quatre saisons pour faire ses observations dont découlerait un travail d’écriture ou un film.“
La poésie pour matériau
Jusque dans les années 90, il a surtout filmé son quartier et sa ville, pour lui, pour le Lycée de garçons où il enseignait l’allemand comme pour la télévision nationale. A plusieurs reprises, il a mis en image les textes de poètes. Le travail qu’il a réalisé sur le poème „Mon pays“ de la poétesse d’Audun-le-Tiche, Anne Blanchot-Philippi, lui a par exemple valu en 1982 le Premier Prix de poésie des télévisions francophones à Montréal. Au début des années 80, Gaston Rollinger avait souvent carte blanche pour remplir le créneau libre qui coupait l’émission d’information „Hei elei, kuck elei“ en deux. Une semaine, il eut l’idée d’aller filmer dans sa maison de Bettembourg, son collègue professeur de philosophie, qui partageait avec lui le recours au poème comme matière première de création. Hubert Hausemer, lui, les mettait en musique. C’est lors de ce reportage qu’est né l’intérêt du fils, le jeune Fränz, âgé alors de moins de dix ans, pour la technique cinématographique.
Dans les années 90, Gaston Rollinger s’est tout naturellement mis à son tour à écrire ses propres poèmes, une quarantaine au total, documentant l’évolution de son territoire. Hubert Hausemer eut tout aussi naturellement l’idée d’en mettre plusieurs en musique à l’époque. Et c’est lui qui dans les années 2000 a prié Gaston Rollinger de mettre ces trésors au propre. Le poète est allé plus loin. Il s’est aussi filmé en train de les lire et les a déposés au Centre natonal de littérature. A l’époque, le professeur avait décidé de se retirer dans sa maison natale et de ne plus apparaître en public. C’est à la faveur de recherches pour ses documentaires „De schwaarze Mann“ et sur les 75 ans des CFL, que Fränz Hausemer est retombé sur les travaux de cette vieille connaissance. Par l’entremise de son père, il est entré dans l’intimité de Gaston Rollinger en 2018. Il a commencé à le filmer sans trop savoir dans quelle direction il irait.
Se limiter à si peu d’espaces, s’en contenter, de l’explorer dans le moindre détail et s’en réjouir; c’est une forme de radicalité qui m’intéresse
Une chose est sûre. Sa poésie autant que le personnage ont subjugué le réalisateur. „Je trouve cela anachronique, un gars qui vit dans sa maison, entouré de films, de livres, qui voyage dans sa tête. On dirait que sa mission est de connaître tout sur ses alentours, et de prendre cela comme unique source d’inspiration“, confie Fränz Hausemer. „Se limiter à si peu d’espaces, s’en contenter, de l’explorer dans le moindre détail et s’en réjouir; c’est une forme de radicalité qui m’intéresse.“ Dernière l’anachronisme se cache peut-être aussi la future parade aux défis climatiques, une relocalisation de la poésie et de l’art à opérer aussi nécessaire que la relocalisation de l’économie …
Gaston Rollinger a observé les saisons passer très finement, s’est intéressé aux moindres détails. Il a trouvé de la vie, du sens et de la profondeur dans ce qui l’entoure, en a tiré un intérêt et une fierté pour ce territoire interlope. Il s’est façonné un monde où même les mouches éphémères (Schielmécken) sont un spectacle à côté duquel ses contemporains passent en partant en vacances (poème „August“). L’éphémère est d’ailleurs un thème central chez cet amateur de Maria Rilke et d’Arno Schmidt. „Même dans les paysages les plus beaux, l’été le plus chaud, il voit une fin qui s’annonce derrière“, dit Fränz Hausemer. „Il parle beaucoup de la mort, de façon subtile, de sa propre mort qu’il voit venir. C’est jamais larmoyant. Il a créé quelque chose qui lui est propre. Dans sa langue, il a réussi à trouver un ton juste, mais plein d’émotions.“
Gaston Rollinger peuple ses poèmes de personnages plus ou moins fictifs nés de ses observations des habitants et des histoires passées du quartier. Plusieurs générations d’Eschois et d’histoires cohabitent en lui, tout comme les tragédies du monde ouvrier et une cosmogonie ancestrale aux relents païens s’y entremêlent. Le lugubre y côtoie l’excitation. L’Ellergronn est un lieu obscur, peuplé de nymphes malintentionnées où affronter sa peur. La forêt est un lieu d’enchantement et une menace.
Les poèmes de Gaston Rollinger racontent la disparition des repères de son territoire. C’est le cas de la „Seelebunn“ (le funiculaire transportant le minerai d’Ottange à Differdange), du petit train qui sortait du plateau de Barbourg pour alimenter l’usine Brasseur, ou encore du pont sous lequel Gast Rollinger passait tous les jours et sur lequel le minerai était conduit dans un broyeur. „Ce sont pour lui comme des amis qui disparaissent“, constate le réalisateur. Le funiculaire n’était pas qu’une installation industrielle, mais une direction qu’avec ses amis il suivait dans l’excitation de savoir où il les mènerait. „Le regard poétique, c’est aussi cela: rêver qu’au-delà de la colline, il y a autre chose. On n’est pas obligé de le voir, cela peut se passer complètement dans la tête.“
Hommage à une génération
Le documentaire a pour titre provisoire „Topographie du poète“. Mais il pourrait très bien prendre le titre d’un des poèmes „Wou ech wunnen“. Il mêlera des images de Gast Rollinger et des scènes tournées sur son territoire (avec Marco Lorenzini notamment). Fränz Hausemer appliquera en quelque sorte à sa poésie un traitement filmique comme Rollinger le faisait pour les poètes jadis.
Pour les besoins du film, Fränz Hausemer a poursuivi l’œuvre de mise en musique des poèmes. Quand elles existaient, il a réarrangé les mélodies de son père. Pour nombre d’autres, il a tout créé. Finalement, le projet documentaire s’est dédoublé d’une œuvre musicale, concrétisée par la publication d’un disque (CD et vinyle) et un premier concert au Centre national de littérature demain. En espérant; après cette reconnaissance, un jour peut-être, de pouvoir jouer ces chansons sur son territoire, dans la maison Rosati au Ellergronn par exemple, pour boucler la boucle.
Pour Fränz Hausemer ce projet est aussi un hommage à la génération d’après-guerre, et à ceux parmi elle qui ont créé à côté de leur travail (de prof souvent). „C’était leur jardin secret. C’était sérieux et très important. Cette génération a un regard important, sain, qui me plaît bien et que j’aimerais transmettre.“
Le concert a lieu le mardi 26 mars à 19.30 h au Centre national de littérature à Mersch. Avec Fränz Hausemer (piano, voix), Marco Lorenzini (récitation), Benoît Martiny (percussions), Benoît Legot (contrebasse) et Renata van der Vyver (alto).
„Am Bongert“
Du häss net fir laang an du wëlls dech net sommen,
hues du mär am Hierscht an dem Bongert gesot.
Gepléckt waren Äppel a Biren a Prommen,
an ech stong eleng an der Sonn bei dem Drot.
Du kéims mer et soen a géifs dann nees goen …
A méi gouf am Bongert deen Dag net geschwat.
Ech wollt mat der Hand eng Harespel verjoen,
mä hannert dem Kolli hong nëmmen e Blat.
Du has net fir laang, an du bass dann och gaangen …
Den Niwwel koum iwwer den Hiwwel gekroch.
Am Bongert um Bam huet kee Blat méi gehaangen,
an ech hunn op eemol de Wanter geroch.
Gaston Rollinger
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