Exposition „Vu Gäert a Bicher“ / La BnL cultive notre jardin
Avec une exposition dédiée aux jardins dans leurs rapports aux livres, la Bibliothèque nationale du Luxembourg fait butiner le visiteur d’illustration en illustration.
Vu Gäert a Bicher. Le titre que la Bibliothèque nationale du Luxembourg (BnL) a donné à son exposition consacrée aux jardins est volontairement équivoque. Il faut le comprendre à la fois comme „des jardins et des livres“ et „des jardins dans des livres“, et y voir donc le reflet d’une thématique potentiellement large. C’est aussi toute la richesse des fonds qui transparaît aussi autour de cette thématique. Plans, cartes, journaux, magazines, cartes postales, partitions et documents éphémères sont mobilisés pour les besoins de l’exposition.
Ce sont les jardins au sens large, bien plus large que celui qu’on lui donne aujourd’hui, qu’il faut considérer, pour y inclure les espaces boisés, les jardins d’agrément, les terres cultivées, les vergers, les potagers, comme ceux que recense Jean Baptiste Liesch, dans sa carte de la forteresse réalisée en 1864, quelques années avant le début du démantèlement de la forteresse et qui nous accueille à l’entrée de l’espace d’exposition de la BnL. „Le plan Liesch véhicule l’image d’une ville haute plutôt minérale, comptant une trentaine de jardins, par opposition à la ville basse des faubourgs, très verdoyante avec ses jardins méticuleusement dessinés“, note Isabelle Becker, dans le dense et instructif catalogue qui accompagne l’exposition. Si la proportion des espaces verts est juste, les types de jardin représentés, à la française et à l’anglaise, relèvent de choix esthétiques du dessinateur. Le jardin exploré par l’exposition peut être aussi bien le parc public, que le jardin de couvent ou le jardin pédagogique comme celui de l’Erziehungs- und Lehrlingsanstalt du Grund dont une photo tirée des Archives nationales nous montre des élèves étonnamment jeunes à l’oeuvre.
L’exposition commence donc en évoquant les principaux parcs emblématiques du pays sous un aspect historique. Il y a bien évidemment les incontournables, les jardins qu ont pris place sur les vestiges des fortifications à Luxembourg, et de la sidérurgie à ciel ouvert à Esch-sur-Alzette (Galgenberg), mais aussi l’Orangerie de l’abbaye d’Echternach ou encore le parc de Mondorf-les-Bains, „perle de l’horticulture“, où fourmillaient 300 ouvriers à la fin du XIXe siècle.
La fête d’inauguration du parc d’Esch en septembre 1912 fut commémorée par une vignette réalisée par l’employeur dessinateur d’Arbed, Edmond Siegel. Ce document, qui appartient à la collection des documents éphémères de la BnL ne mesure que 4,3 x 6,3 centimètres. C’est assez pour qu’y figurent les nouvelles plantations et des citoyens assis sur les nouveaux bancs du parc, sous des guirlandes lumineuses, comme le relève Philippe Majeres dans un article rédigé au départ de cette vignette. Sa taille empêche de renseigner le corso fleuri qui a traversé les rues d’Esch, comme une carte postale de la collection de la BnL le rappelle.
En lignes
La scénographie retenue transforme l’espace d’exposition en un jardin agréable et coloré où l’on butine d’une information à l’autre, parmi les cinq grandes sections de l’exposition (que l’on retrouve d’ailleurs dans le catalogue): récits de jardins, lectures de jardins, mélodies florales, éducation au jardinage, floralies et florilèges. Le mobilier de la précédente exposition dédiée à Johnny Fritz a été intelligemment repris. Dans l’alcôve reproduisant jadis la chambre d’Erik Satie, on peut désormais s’asseoir et lire un ouvrage de Guy Rewenig ou les exercices de nature writing de Bernd M. Gonner. Dans un box où l’on pouvait écouter la musique expérimentale de Johny Fritz, on peut désormais faire résonner des chansons dédiées à la nature. On retrouve parmi ces dernières, en bonne place Lou Koster. Dans le pays où sa production avait atteint un niveau industriel, la rose est souvent présente dans les chansons, comme le montre le musicologue Georges Urwald, dans sa contribution au catalogue.
„Dans l’histoire culturelle, le jardin est considéré comme symbole de l’ordre du monde, du savoir et de l’éducation“, lit-on dans cette exposition qui souligne aussi la prise en considération sociopolitique et pédagogique du jardin, quand le sens, le but et l’aménagement du potager privé ne relèvent plus de la seule responsabilité du propriétaire, mais qu’ils deviennent objets de pédagogie.
On doit au directeur, Claude D. Conter, co-curateur, la mention de la transformation des jardins, à des fins d’autosuffisance, durant l’occupation nazie de la ville, sous l’impulsion de l’officier Ernst Jünger. Cet épisode intrigant fait partie, avec les pénuries de la Première Guerre mondiale racontées à travers l’histoire de la pomme de terre, des histoires moins rieuses ici racontées, dans la section éducation au jardinage.
En images
La dernière section est consacrée à l l’illustration botanique, qui a connu son âge d’or aux 18 et 19e siècles quand elle était le seul moyen de représenter visuellement les espèces végétales du monde. On y scrute certains de ces livres spécifiques que sont les „flores“, dont le premier exemplaire luxembourgeois est celui de François Auguste Tinant publié en 1836 et recensant 1.462 différentes espèces végétales. Le travail de Pierre-Joseph Redouté est mentionné ici comme c’est déjà le cas d’ailleurs dans l’exposition que consacre le MNAHA sur la peinture au Luxembourg au XVIIIe siècle.
La BnL fait aussi usage du périodique „L’Illustration horticole (1854-1896)“ édité à Bruxelles, dont elle a acquis la collection complète en 2019 aux Pays-Bas. C’est l’explorateur luxembourgeois Jean Jules Linden, qui en prit la direction en 1869, quand il racheta à Bruxelles la pépinière de son fondateur. Il se fit épauler par le concepteur des parcs municipaux de Luxembourg, Edouard André (1840-1911) pour sa rédaction.
Au fond de l’exposition, on se retrouve face à une splendide paroi reprenant des illustrations de plantes publiées dans ce magazine. Comme le notent Patrizia E. Ganci et Marc Biver dans leur riche article consacré à la revue, on y est invité „à se laisser envoûter par ces illustrations, qui, vieilles pourtant de bientôt deux siècles, n’ont rien perdu de leur charme et sophistication, témoins de l’énorme effort consenti à la compréhension et à la beauté du règne du végétal.“ L’endroit se prête à une méditation sur notre attention bien moindre à la nature aujourd’hui et à l’image approximative que nous en donnent les images circulant sur les réseaux sociaux.
Info
Jusqu’au 13 janvier 2024. Entrée gratuite. Ouvert du mardi au vendredi de 10 h à 19 h, le samedi de 10 h à 18 h. Visites guidées les 19/8 à 11 h, le 7/9 à 18 h et 30/9 à 12 h. L’ouvrage accompagnant l’exposition, de 560 pages, est en vente au prix de 35 euros.
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