Prêt-à-penser / La collection mode du Mudam se dévoile
Pour la première fois, le Mudam consacre une exposition à ses œuvres de créateurs de la mode qu’il détient dans sa riche collection. On y découvre que le vêtement peut être, lui aussi, un moyen d’expression pertinent, particulièrement usité au tournant des années 2000.
Chaque directrice laisse son empreinte dans la collection du musée qu’elle dirige. La directrice historique du Mudam, Marie-Claude Beaud, chargée de mettre sur pied la collection du musée avant son ouverture en 2006, avait une vision forte pour l’institution qu’elle dirigeait. „Elle défendait un projet artistique qui repose sur l’idée d’un décloisonnement et d’une expérience totale“, explique la responsable de la collection du musée, Marie-Noëlle Farcy. Ainsi, le design devait être intégré à la fois dans l’expérience du visiteur et dans la collection, l’impressionnant café des frères Bouroullec qu’on admire, autant qu’on déguste sous son toit, cumulant les deux.
Avec le design, c’est aussi la mode, celle pratiquée par des créateurs à la frontière entre différents domaines qui a fait son entrée dans la collection du Mudam. L’exposition „Mirror mirror: cultural reflections in fashion“, ouverte jusqu’au 18 avril 2022, présente les plus belles des treize pièces de la collection, acquises dans les années 1999-2005, ou remises confiées plus tard par des créateurs, comme Helmut Lang en 2009 et Bernard Wilhelm en 2016, qui avaient eu vent de cette attention particulière du Mudam et exprimèrent le désir d’y voir entrer leurs créations. „Il ne s’agissait pas de créer un département propre“, poursuit Marie-Noëlle Farcy. „C’est lié à une époque, mais c’est aussi l’histoire du musée. Il n’y a pas de tabula rasa. L’ADN perdure.“
„Un moment très créatif“
Lorsque le Mudam a contacté Sarah et Georges Zigrand il y a deux ans pour mettre en valeur cette partie méconnue de la collection, il s’agissait de mêler design et mode. „Mais on a compris tout de suite que la mode était le cœur de la collection“, explique la styliste Sarah Zigrand. Elle a retenu les pièces „très importantes“ relevant principalement du tournant des années 1999-2000. „C’était un moment très particulier, avant l’explosion de la grande distribution dans la mode. C’était une mode plus conceptuelle. C’est un moment très créatif, avant que la mode ne devienne la machine géante qu’elle est actuellement.“
Ils travaillent tous de manière différente, mais ont cette envie de mélanger en commun. Il y a beaucoup de références vraiment nouvelles, qui ont été copiées par la suite.consultante en design
Toutefois, la mode étant de tous les modes d’expression, un de ceux qui connaissent les plus rapides changements, il faut faire un effort de recontextualisation pour apprécier à sa juste valeur les pièces exposées. Vingt années après, elles semblent familières. Et pourtant à leur époque ce n’était pas le cas. Sarah Zigrand s’est elle-même laissé surprendre. „La chose qui m’a frappée même si j’ai travaillé à cette époque, c’est la superposition et le mélange des choses. C’est aujourd’hui une pratique courante. Mais à l’époque, c’était assez nouveau.“ Les codes sociaux, les étoffes chères avec les moins chères, les genres, tout passe en même temps à l’essoreuse. „Ils travaillent tous de manière différente, mais ont cette envie de mélanger en commun. Il y a beaucoup de références vraiment nouvelles, qui ont été copiées par la suite.“
Le déconstructivisme japonais et le punk avaient certes déjà fait dans la superposition auparavant, mais sans jamais devenir mainstream comme cela allait être le cas notamment avec la collection de l’Autrichien Helmut Lang. Sa série de treize silhouettes semble très classique à première vue. Mais c’est loin d’être le cas. Les couleurs sombres trompent. Des chaussures se prolongent par des chaussettes. Les vêtements comportent différentes couches de matière, du caoutchouc au tissu métallisé en passant par le papier. Des matières bon marché sont subversivement mélangées à des matériaux nobles. „En mélangeant les codes de la culture populaire et celle savante, en fusionnant le style de la rue et celui du luxe, il a marqué durablement le monde de la mode et exerce, aujourd’hui encore, une influence prépondérante sur de nombreux créateurs“, note le Mudam dans sa présentation. „Quand on regarde dans le détail, il y a beaucoup de superpositions et beaucoup de références. Et ce qu’il a fait était très intelligent, car il a créé quelque chose qui est devenu un style. Les gens l’ont copié. C’est devenu très populaire et commercialement un succès. Il a réussi à croiser le conceptuel et le commercial“, s’extasie Sarah Zigrand.
Grit et Jerszy Seymour, respectivement styliste et designer de produits qui ont fondé à Berlin le label de mode T-A-P-E, ont, eux aussi, marqué la mode et l’art en substituant des rubans adhésifs aux coutures. Leur collection printemps-été 2003 forme une installation de vingt vêtements, qui par un jeu de couleurs met en avant l’aspect „coupé-collé“ de leurs vêtements. „Non seulement, on ne cache pas le ruban, l’agencement. Mais on en fait un style. La construction et le visuel sont la même chose. C’est une pensée conceptuellement très intéressante“, commente Georges Zigrand.
Meubler son apparence
Le tournant des années 2000 fut pour Sarah Zigrand le moment où elle a étudié puis commencé sa carrière à Londres. Elle a alors travaillé pour Hussein Chalayan; à l’époque où celui-ci a créé „Afterwords“, qui est sans nul doute la pièce la plus prestigieuse de la collection présentée. Devant le spectacle désolant des Kosovars partant sur les chemins avec leurs meubles, le styliste turco-chypriote, qui a lui-même quitté Chypre pour s’installer en Grande-Bretagne, eut l’idée de créer un ensemble de meubles qui peuvent se transformer en habits et se porter plus facilement. Il a dessiné une jupe-table basse, accompagnée de chaises, qui se transforment en valises, et dont les housses amovibles deviennent des robes. Cette garde-robe mobile faisait à l’origine l’objet d’une performance. On la redécouvre sur un écran, situé à côté des pièces statiques qui forment un salon.
C’est le prototype d’„une manière d’exprimer des pensées culturelles en vêtements“, explique Georges Zigrand. „C’était une époque où la mode n’était pas à porter, mais c’était un vecteur d’idées et de concepts pour certaines personnes comme Chalayan.“ L’œuvre de Chalayan, qui se situe entre art, performance, mode et musique, s’évertue à rappeler que les frontières entre disciplines sont floues. Le travail d’Hiroaki Ohya est mu par la même force. S’inspirant du film „Le Magicien d’Oz“, l’artiste japonais crée des livres qui se déplient et se déploient en vêtements. Ce faisant, il souligne l’opposition entre une mode pressée, aux idées rapidement périmées et le livre, qui incarne la transmission durable des idées.
Si l’accélération du temps est un motif bien représenté dans la collection de pièces du Mudam ici exposée, on ne trouve pas encore de référence à l’urgence écologique qui est sans aucun doute un sujet de préoccupation survenu dans la mode durant les deux premières décennies du XXIe siècle. C’est un axe possible de développement de la collection de mode du musée.
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