Exposition au Mudam / La rage virale de David Wojnarowicz
Le Musée d’art moderne Grand-Duc Jean (Mudam) accueille la première rétrospective consacrée à David Wojnarowicz en Europe. L’activiste new-yorkais, mort à 37 ans en 1992, a traversé les années 80 comme une comète que seul le sida a pu arrêter.
Pour qui n’était pas un homme blanc, capitaliste, patriote et hétérosexuel, les années 80 aux Etats-Unis furent un rude retour de manivelle. Le coming-out artistique, par lequel débute l’exposition „History Keeps Me Awake at Night“ consacrée à David Wojnarowicz, semblerait presque léger et candide, porté par l’espoir de la décennie qui s’achève. En été 1979, l’apprenti écrivain met en scène trois amis affublés d’un visage d’Arthur Rimbaud sur les quais désaffectés de son New York. L’amour et le désir homosexuels éprouvés et assumés avant lui par le poète aux semelles de vent inondent ces anciens lieux d’espoir, ceux-là mêmes dans lesquels il s’est adonné à la prostitution et aux amours interdits. Mais déjà, les drogues et la déchéance hantent ses compositions.
Silence surcôté
Il aura fallu que David Wojnarowicz devienne groom d’une discothèque fréquentée par des artistes établis comme Nan Goldin et Paul Thek pour qu’il explore de nouveaux moyens d’expression à côté de l’écriture. La scène artistique new-yorkaise voit alors surgir des bas-fonds une voix rarement audible, et d’autant plus déterminée. Une des photos noir et blanc de cet été 79 vaut manifeste. Arthur Rimbaud pose à côté d’une phrase rappelant une performance télévisuelle de Joseph Beuys 15 ans plus tôt: „Le silence de Marcel Duchamp est surcoté.“ L’artiste dadaïste disait avec provocation que le silence est la meilleure production possible. Pour Wojnarowicz, abandonné à deux ans par ses parents puis battu par leurs successeurs, le silence est la pire des trois solutions qui se posent à lui. Et plutôt que le suicide, il préfère le danger que représente pour un homosexuel de poursuivre la voie empruntée par Joseph Beuys, d’un art qui se vit comme action politique et sociale.
Dans ce qui est une de ses œuvres les plus connues et les plus tardives, David Wojnarowicz encercle son portrait de bon garçon prépubère, des souffrances que les Etats-Unis lui feront endurer quand, deux ans plus tard, cet enfant découvrira qu’il désire mettre son corps nu sur celui d’un autre adolescent: „Un jour cet enfant va faire quelque chose qui verra des hommes portant des uniformes de prêtres et de rabbins appeler à sa mort. Un jour des politiciens vont adopter des législations contre cet enfant. Un jour des familles donneront des fausses informations à leurs enfants et chaque enfant transmettra cette information à leurs suivants et cette information sera faite pour rendre intolérable l’existence de cet enfant.“
En marge de la société
L’activisme n’aura jamais cessé d’être le vrai style de l’artiste qui multiplie les supports et les pratiques (collages, films, musique, photos, peintures) pour faire céder une société qui détruit et abandonne ceux qui ne marchent pas dans son sens. Marginaux d’ici et étrangers d’ailleurs, du Nicaragua, du Salvador, sont les victimes d’un même Etat policier, né et abreuvé de sang.
Durant la première partie des années 80, David Wojnarowicz porte la voix d’une New York horizontale, qui crée et se défonce à l’ombre des tours dans lesquelles on fête la globalisation victorieuse. Il réinvestit les quais qui servent de décors à ses écrits pour les remplir de vies et de couleurs en tant qu’artiste. En 1982, avec Mike Lodi, il invite les artistes à le rejoindre à la jetée numéro 34, désaffectée, pour y explorer toute image, tout matériel et tout support (escaliers en métal, murs en plâtre, vitres, sols), loin des contraintes des galeries. L’expérience durera deux ans.
Opposition extrême
L’art de David Wojnarowicz prend une tournure plus morbide dans la deuxième moitié de la décade, marquée par les ravages du sida. Sa croisade contre l’ordre établi se retrouve décuplée par la disparition de ses proches. Il accompagne et documente l’agonie de son pygmalion et ancien amant Peter Hujar, qui disparaît en 1987, quelques mois avant qu’il apprenne sa propre séropositivité. Les photos chocs de ses derniers instants interpellent quand elles n’accompagnent pas ses diatribes. „Je me réveille tous les jours dans cette machine à tuer que sont les Etats-Unis et je transporte cette rage comme un œuf rempli de sang et il n’y a qu’une mince ligne entre l’intérieur et l’extérieur, entre la pensée et l’action.“
La violence de ses propos renvoie à la violence du déchaînement des plus conservateurs qui trouvent dans l’épidémie de sida un nouveau terrain à leur homophobie. Quand certains d’entre eux voudraient que l’Etat n’accorde pas d’aide médicale, d’autres dénoncent le soutien financier à l’art homosexuel. En 1989, le révérend Donald Wildmon, fondateur de l’American Family Association, pervertit la technique du collage et monte un florilège de détails homosexuels récurrents dans ses œuvres pour disqualifier l’art de Wojnarowicz auprès de ses ouailles.
Quand on m’a dit que j’avais contracté le virus, il ne m’a pas fallu longtemps pour comprendre que j’avais aussi contracté une société maladeactiviste
„Quand on m’a dit que j’avais contracté le virus, il ne m’a pas fallu longtemps pour comprendre que j’avais aussi contracté une société malade“, écrit-il en réponse dans le catalogue d’une exposition organisée par la photographe Nan Goldin. Dans une lettre au tribunal, auprès duquel il réclame réparation, il explique sa démarche: „L’effet de l’épidémie de sida sur la population homosexuelle n’a pas été prise au sérieux par la société dans son ensemble, mon travail artistique est agressif et déstabilisant, et inclue, parfois, des images sexuellement explicites dans une tentative de mobiliser à la fois les émotions et l’intellect et de provoquer ainsi le visionneur à l’action.“
David Wojnarowicz meurt en 1992, à l’âge de 37 ans. Mais l’intégrisme catholique lui a survécu. Il est même peut-être devenu plus aveugle. En 2010, un court passage d’une vidéo, „Fire in the Belly“, tournée en super 8 au Mexique lors du Jour des morts, provoque l’ire de la Ligue catholique qui obtient son retrait auprès de la Smithsonian’s National Portrait Gallery. Wojnarowicz aurait eu le tort de filmer de simples fourmis rouges (motif récurrent de son travail) qui arpentent un crucifix, dans une allégorie de la confrontation entre la nature et la culture. L’été 2018 a vu la culture gagner avec l’exposition, tenue sans renoncement, au Whitney Museum of American Art de New York, à quelques encâblures de son quartier, l’East Village. C’est la même rétrospective qui est visible au Mudam.
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