Nouveaux essais de vidéosurveillance / Le stade, laboratoire de la répression
Les spectateurs du match de football opposant l’Etzella Ettelbruck à la Jeunesse d’Esch ont eu la surprise d’être filmés par une caméra mobile pendant toute la partie. Ils étaient les cobayes d’un test organisé de concert par Dussmann et l’Etzella Ettelbruck.
Le match qui s’est disputé le mercredi 23 septembre au stade „Am Deich“ était une grande première. Non pas parce que le gardien d’Ettelbruck local, fraîchement arrivé d’Allemagne, a égalisé à la dernière minute et a permis à son équipe d’arracher le nul. Il y avait un événement encore plus inédit ce soir-là pour un match de division nationale, l’usage d’une caméra mobile, juchée sur un robot, qui a tourné durant toute la partie sur la piste d’athlétisme qui encercle le terrain.
La caméra mobile n’aura pas immortalisé l’exploit du portier local qui doit se contenter de l’image trouble d’un GSM pour partager son exploit. Ses images haute définition étaient réservées au public de 475 spectateurs payants, qui ont découvert le dispositif à leur arrivée au stade et furent avertis à trois reprises par le speaker qu’ils allaient être filmés durant tout le match.
Le match entre Ettelbruck et la Jeunesse d’Esch ce soir-là était considéré comme un match à risque. Les ultras des deux camps sont en conflit depuis plusieurs années, avec en point d’orgue une bagarre générale impliquant 70 personnes survenue en mars 2019 et un accrochage moindre à l’occasion de la même opposition en novembre 2019. Cette rivalité dans les tribunes est venue remplacer celle qui, au début des années 2000, opposait encore les supporters eschois à ceux de Grevenmacher.
Face au risque présumé de débordements, la société Dussmann, à la fois sponsor du club d’Etzella et son partenaire pour les événements sportifs et extrasportifs, a proposé la mise en œuvre de cette nouveauté technologique; „en exclusivité pour le présenter au public et tester l’efficacité, montrer la qualité des images dans des circonstances réelles“, explique Tun Di Bari, à la fois président d’Etzella et directeur administratif de la société Dussmann. Ce dernier ne cite qu’ensuite des raisons dissuasives et signale à cet égard la réussite du dispositif à cet égard: „Il n’y a eu aucun incident à l’intérieur du stade.“
Le dispositif est constitué de caméras à 360° et d’une caméra thermique capable de détecter et de suivre tout être/objet mobile, de jour comme de nuit. Dussmann l’utilise pour la surveillance de sites et places fermés comme publics, que ce soit des aéroports, des sites industriels et des chantiers d’une part, places publiques, des parcs, des manifestations sportives et commerciales d’autre part, explique le président d’Etzella. L’engin capte et transmet les images en direct vers un centre de surveillance. Durant le match, c’est le technicien-programmateur de Dussmann qui était chargé de regarder les images du public, par ailleurs enregistrées.
Sébastien Louis est lui aussi habitué à regarder les tribunes plutôt que le terrain. Mais c’est en historien du supportérisme qu’il le fait. Ce soir-là, il était venu sans grande conviction au stade Deich. A son arrivée en tribune, il a cru d’abord voir circuler une civière mobile telle celles qui ont fait irruption depuis quelques années dans les grands stades de football européens, avant de comprendre qu’il s’agissait d’un dispositif de surveillance unique pour le championnat luxembourgeois.
La violence, un prétexte
Les progrès de l’équipe nationale et des clubs luxembourgeois en coupes d’Europe ces dernières années ont multiplié ses possibilités de poursuivre son travail de recherche dans son pays de résidence. Depuis la parution de son livre „Ultras – les autres protagonistes du football“ en 2017, Sébastien Louis est intervenu à plusieurs reprises dans les médias luxembourgeois pour dénoncer les comportements de supporters radicaux étrangers, qu’ils soient ukrainiens et fassent le salut nazi lors de l’hymne de son équipe nationale ou qu’ils soient supporters chypriotes de l’Apoel Nicosie et déploient une bannière d’extrême-droite „Defend Europe“ ornée de kalachnikovs sans que les stadiers n’interviennent.
On ne trouve pas parmi les supporters luxembourgeois de tels énergumènes, que le travail de Sébastien Louis s’attache à distinguer des ultras, ces supporters qui vont au stade pour le côté festif et pour soutenir leur équipe avant tout, sans pour autant tout à fait renoncer à la violence.
Lors du match Etzella-Jeunesse, Sébastien Louis a pu vérifier un phénomène qui jusqu’alors touchait plutôt les stades et leurs ultras italiens et français, à savoir que les stades de football sont des laboratoires de la répression. Victimes d’a priori négatifs véhiculés par les médias et des excès de violence et d’alcool de certains d’entre eux, les ultras forment „un segment de population rêvé pour tester différentes méthodes de maintien de l’ordre“, écrit-il dans son livre à la lueur des développements italiens. „La violence est un prétexte idéal pour discréditer toutes leurs actions et justifier des techniques scélérates, des mesures à la limite de la légalité, et qui vont parfois à l’encontre de la constitution.“
Cette répression s’explique aussi parce que les ultras peuvent maîtriser des techniques de bagarre, mais aussi parce qu’ils forment également des voix hostiles notamment à une commercialisation outrancière du football qui ne plaisent pas toujours aux présidents de club. La vidéo-surveillance, comme le contrôle d’identité, les interdictions de stade et de déplacement sont autant de mesures répressives mises en œuvre ces dernières décennies à l’encontre de ce que Sébastien Louis appelle une sous-culture juvénile. Régulièrement, et notamment en janvier 2018, lorsque l’ancien ministre français, Edouard Philippe, dit à la télé vouloir dupliquer la loi anti-hooligan qui interdit de stade les supporters violents, pour empêcher les gilets jaunes de manifester, sa thèse se vérifie.
Sans autorisation préalable
„Il faut lancer des ballons d’essai pour examiner la réaction des médias, de la société ou de la classe politique et le stade est un endroit idéal.“ Le ballon d’essai d’Ettelbruck est aussi rendu possible par l’entrée en vigueur en 2019 du règlement général sur la protection des données (RGPD), qui a supprimé toute autorisation préalable à l’emploi d’un tel système de vidéo-surveillance, au nom de la responsabilisation du responsable du traitement.
La commission nationale pour la protection des données (CNPD) n’est ainsi pas en mesure d’évaluer le dispositif mis en œuvre à Ettelbruck, sans connaître tous les tenants et les aboutissants et donc pouvoir mesurer la licéité, la finalité et la proportionnalité de l’outil. La CNPD ne peut donc que réagir, suite à la plainte d’une personne physique concernée par le traitement jugé litigieux. En tant qu’autorité de contrôle, elle peut aussi imposer des mesures correctrices et d’infliger des sanctions financières en cas de violation de la législation.
La CNPD a fait état par le passé de la forte attraction qu’exerce la vidéo-surveillance au niveau communal. En mai 2019, elle avait donné son avis à leur attention dans lequel elle expliquait qu’avant l’entrée en vigueur du RGPD. Elle n’autorisait pas la surveillance des places publiques, des parcs, des aires de jeux ou encore des rues „considérant que la protection des intérêts des citoyens prévalait sur la protection des biens et la sécurité des usagers“. En ce qui concerne les aires de jeux, elle jugeait la vidéo-surveillance „attentatoire à la vie privée puisqu’il s’agissait là d’espaces de vie, de loisirs et de récréation dans lesquels l’on pouvait légitimement s’attendre à ne pas être filmé et surveillé en permanence pendant le temps de présence dans ces espaces“.
Surveiller un espace privé pour identifier un éventuel auteur d’une infraction n’est pas non plus la même chose que de filmer le public d’une manifestation sportive. Même s’il ne fait aucun doute que ce n’est qu’une partie du public qui est visée. Les ultras de la Jeunesse d’Esch ne s’y sont pas trompés en montrant par des gestes d’humeur qu’ils se sentaient montrés du doigt par la caméra.
La vidéo-surveillance peut en pareil cas davantage nourrir la rancune que produire la sécurité. Elle n’était d’ailleurs pas là à l’extérieur quand des échauffourées ont eu lieu sous les yeux de policiers revêtus d’équipements anti-émeute. Pour éviter ces débordements, elle aurait été moins utile que le bon sens élémentaire qui aurait voulu que les supporters ne sortent pas en même temps du stade dans lequel ils avaient été soigneusement séparés.
Ce dernier incident n’est qu’un énième exemple de mauvaise préparation des forces de l’ordre que Sébastien Louis constate en connaisseur. „En général, au Luxembourg, on avance progressivement, à tâtons, mais sans ligne directrice dans les stades pour ce qui est de la sécurité publique. On essaie de gérer au mieux et généralement, il y a très peu de dégâts.“ Il estime que l’ouverture future du nouveau stade national, sans barrières pour contenir le public, mériterait un concept plus clair. „On est dans une situation critique, pour la question du maintien de l’ordre: quelle doctrine appliquer à des cas exceptionnels et quelles situations complexes à anticiper? Lorsqu’il faut intervenir, la doctrine est moyennement maîtrisée. A Ettelbruck Etzella, il y avait un dispositif impressionnant (près d’une trentaine de policiers dont quinze en tenue anti-émeute) au regard du faible nombre de personnes prêtes à en découdre et finalement il y a quand même eu des accidents.“
Vers la reconnaissance faciale?
On peut programmer la caméra mobile utilisée à Ettelbruck pour permettre la reconnaissance faciale. Cette application a commencé à être testée pour identifier les supporters interdits de stade. Et ce à moins de 50 km du Luxembourg, au stade Saint-Symphorien de Metz, où une société priée a été surprise en train de tester ce système sur les spectateurs entrant dans le stade.
Le robot est aussi capable de détecter le port d’un masque. Ce n’est pas forcément utile en période de pandémie. Mais l’usage du stade comme laboratoire risque bien de lui survivre. Le président d’Etzella, Tun Di Bari, envisage le robot mobile de Dussmann pour d’autres matchs à risque. „Uniquement sur demande du client et si nécessité est donnée“, précise-t-il.
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An der Ëffentlechkeet gëtt et keng Privatsphär.
@Rosie
„An der Ëffentlechkeet gëtt et keng Privatsphär.“
Genee. Wann ech den Zuch huele fir op de Match ginn ech um Quai gefilmt, am Zuch, an der Gare, wann ech Boergeld um Bankomat fir mäi Billjee huele, filmt dee mech och, virun der Gar ginn ech gefilmt an och am Bus.
Firwat sollt ech da grad am Stadion NET gefilmt ginn?
@ Rosie : OK , An der Ëffentlechkeet gëtt et keng Privatsphär.
Et muss een Alles kennen filmen, mee d’Publicatio’un dovun, (internet, Blog, Social Media, etc. ) muss strickt reglementei’ert sinn !