Les affres du délit de faciès / Entrée sélective dans les bars et discothèques
Dans un commentaire sur les réseaux sociaux, le rappeur Turnup Tun dénonce avec courage la ségrégation qui serait pratiquée à l’entrée d’une discothèque de Hollerich. Ce faisant, il met le doigt sur une pratique répandue et ancienne, que rien ne semble vouloir arrêter.
Même si le problème est désespérément fréquent, la mobilisation d’un artiste luxembourgeois sur le sujet est rare. En se plaignant publiquement du tri qu’opèrerait une discothèque prisée de la jeunesse luxembourgeoise à Hollerich, le rappeur Turnup Tun brise le train-train quotidien. A l’origine de ce cri de colère poussé sur les réseaux sociaux le 6 octobre, il y a un premier conflit survenu il y a un an. A l’époque, la discothèque connue pour accueillir des artistes hip-hop pense pouvoir apporter son soutien au mouvement Black Lives Matter. Sauf que l’initiative provoque des réactions outrées sur les réseaux sociaux au vu d’une politique d’entrée qui exclurait régulièrement les personnes afro-descendantes. La discothèque (dont le gérant n’a pas donné suite à notre demande d’interview) aurait alors préféré effacer les commentaires que d’y répondre.
Le jeune rappeur, qui compte parmi ses propres amis des personnes qui se seraient vu refuser l’entrée de la discothèque pour la couleur de leur peau, utilise le terme qui l’a amené à la barre du tribunal avec sa chanson „Féck Lëtzebuerg“, pour dénoncer une „politique à l’entrée ségrégative et raciste“ et promettre de ne jamais y remettre les pieds. Son post déclenche notamment un énième témoignage, celui d’une jeune fille blanche de peau qui dit avoir eu honte d’être Luxembourgeoise, lorsque des amis venus de l’étranger se sont vu refuser l’entrée.
Une honte partagée
Le représentant de la communauté allemande au Conseil national pour étrangers, David Foka, a déjà connu une honte similaire. „Quand on invite des gens de l’étranger pour faire découvrir le Luxembourg by night, qu’on arrive devant la porte et qu’on vous fait cela, c’est une gifle terrible. On te dit: ‚C’est comme ça qu’on fait dans ton pays que tu vantes tellement.‘ On est désarmés.“ Quand une personne vient le trouver à la maison de l’Afrique dont il est l’administrateur pour lui parler d’un tel délit de faciès, David Foka commence toutefois toujours par mettre le holà. Il lui demande si elle est bien sûre que c’est la couleur de la peau qui en est la raison. Lui n’a aucun doute sur les raisons du traitement qui lui est réservé. Toujours tiré à quatre épingles comme les congénères qui l’accompagnent, le quinquagénaire ne laisse aucune place au doute. C’est comme ça, propre sur lui, qu’il se fait refouler devant certains établissements, notamment à Clausen. Et c’est auprès du portier, qui partage souvent avec lui, de semblables origines africaines („Quand ils ne veulent pas de Noir dans le bar, ils en mettent un à l’entrée“, dit-il), qu’il obtient des confidences sur les pratiques de la maison.
David Foka évite les endroits où il sait qu’il n’est pas le bienvenu, pour limiter ces situations difficiles à vivre. Cette stratégie d’évitement explique que le nombre de cas de discriminations reporté ne soit pas encore plus important. C’est celle à laquelle Djamel (prénom d’emprunt) a fini lui aussi par se résoudre „En gros je peux dire que la période où je sortais régulièrement, de l’âge de 17 ans à 30 ans, ma jeunesse a été marquée, entre autres, par le refoulement répétitif devant plusieurs discothèques“, dit-il en citant des établissements du Limpertsberg et de Hollerich. „Parmi mes amis qui sortaient avec moi avant, j’étais quasi toujours le seul Arabe et le seul qu’on arrête à l’entrée, les autres, étant plutôt de type européen, n’avaient pas de soucis.“ Il a dû encaisser „la honte“ d’être rejeté alors qu’il était accompagné d’une ravissante femme. Sa solution aura été de trouver un prétexte pour rentrer à la maison quand ses amis s’en allaient dans une discothèque ou un bar auquel il savait ne pas pouvoir accéder. Il voulait „éviter la scène du refoulement et des discussions de victime“.
„C’était extrêmement vexant à l’époque“, mais aujourd’hui ces histoires font plutôt rire le père de famille. „Je considère ces expériences désormais comme du vécu qui ont contribué à me forger un certain caractère et me permettent aujourd’hui de comprendre et d’être en empathie avec les gens qui se sentent discriminés.“ Mais il rira jaune si ses enfants venaient à connaître le même sort. „Alors je compte bien m’y rendre aussi pour faire un scandale …“
Comme beaucoup de personnes qui ont vécu les mêmes discriminations, Djamel a en tête une cartographie des lieux dans lesquels il ne faisait pas bon être arabe ou, au contraire, ceux dans lesquels on était les bienvenus. L’Apoteca fait partie de ces derniers. On peut désormais facilement vérifier les réputations avec les avis laissés par les clients sur internet. Et lorsque des personnes ont accusé la discothèque d’être raciste, le gérant Marc Grandjean a réagi tout de suite. Il n’a pas eu de mal à contrer les commentaires en faisant remarquer qu’ils avaient été rédigés à l’époque où les discothèques étaient encore fermées pour cause de Covid. „Je ne vois pas où il y aurait une forme de racisme au sein de notre entité. (…) Tout le monde rentre chez nous, sauf celui qui est ivre ou crache au visage de quelqu’un. Quelqu’un qui veut s’amuser, peu importe sa couleur de peau, homme ou femme, ça m’est égal, je veux juste qu’on s’amuse. “ Marc Grandjean se dit choqué qu’il y ait des endroits qui ne fonctionnent pas comme ça.
Le Centre pour l’égalité de traitement (CET) n’est pas surpris. L’organe créé en 2008 à l’issue de la transposition (avec beaucoup de retard) de la directive sur l’égalité de traitement signalait dans son rapport d’activités 2020 recevoir „régulièrement“ des plaintes dues à des refus d’accès à des bars et discothèques. Sa directrice, Nathalie Morgenthaler, ne cache pas que la quasi-totalité des cas concerne un refus d’entrer lié à la couleur de la peau. Elle ne cache pas non plus son peu de pouvoir en la matière. Le CET n’a pas de pouvoir d’enquête. Et lorsque la personne plaignante l’accepte, elle adresse une recommandation à l’établissement visé par la plainte. Lequel ne prend en général pas la peine de répondre à cette démarche initiée en 2010.
L’entrée d’un bar ou d’une discothèque peut devenir une zone d’exception où il est possible de limiter la liberté de circulation d’une manière qui serait difficilement acceptée en d’autres lieux. Dans la recommandation qu’elle adresse aux établissements, la CET concède qu’il est possible de limiter l’accès sous certaines conditions. Les termes employés rappellent ceux usités pour le système des vidéo-surveillances. Ils laissent une large place à l’interprétation. „Les propriétaires peuvent également veiller à ce que la mixité soit assurée, mais toujours en respectant des critères objectivement justifiés par un but légitime. En même temps, les moyens pour y parvenir doivent rester appropriés et nécessaires“, prévenait-elle dans son rapport d’activités de 2020. Si la tenue vestimentaire ou l’état d’ébriété ne peuvent vraisemblablement pas être retenus, il n’est en théorie pas même possible de refuser l’entrée d’un groupe d’hommes. Ce qui gêne également le CET, c’est le manque de transparence dans les critères d’entrée et dans les raisons qui président à un éventuel refus. Ainsi, il recommande que l’établissement communique en amont les conditions d’entrée, qu’il les affiche à l’entrée de l’établissement, qu’il les fasse connaître au personnel chargé de filtrer les entrées et qu’il s’y tienne.
Du dancing au testing
Pour la présidente de l’association féministe et antiraciste „Lëtz rise up“, Sandrine Gashonga, le traitement réservé aux afro-descendants à l’entrée des bars et discothèques est typique d’un pays qui n’est pas en paix avec son passé colonial. Elle le compare avec les violences policières: „Les personnes racisées sont identifiées comme violentes, incontrôlables, devant être assignées à une certaine place et ne pas être mélangées avec le reste de la population en fait. La source est la même: une histoire coloniale pas du tout digérée, que ce soit au Luxembourg ou ailleurs. C’est peut-être pire au Luxembourg parce que cette histoire est complètement niée.“ D’ailleurs, dans les années 1950/60, les travailleurs maghrébins du bassin minier lorrain n’étaient pas les bienvenus dans les bars du Luxembourg, comme notre photo et l’expérience d’Amar (87 ans) et de ses camarades algériens l’indiquent. Ils ont gardé de ce traitement hostile, qui tranche avec le meilleur accueil qu’ils recevaient en Belgique, une rancœur telle qu’ils n’ont jamais plus mis les pieds au Luxembourg.
Si ce sont surtout les hommes qui sont ainsi discriminés, Sandrine Gashonga peut témoigner elle-même que les femmes ne sont pas à l’abri d’être refoulées. La discrimination de l’entrée en discothèque ne lui semble toutefois pas aussi cruciale que celle qui a lieu dans l’accès au logement ou à l’emploi. Mais elle participe à une même charge raciale: „L’accumulation des refus, non seulement à l’entrée des discothèques, mais aussi dans la recherche d’un travail, d’un logement, à l’école, a un impact réel sur la santé mentale des personnes et peut conduire à des problèmes physiologiques.“ Le meilleur moyen d’y remédier serait, selon elle, de procéder à des testings qui mettent à nu ces pratiques discriminatoires et forcent à un changement des pratiques par peur pour sa réputation. Il manque un organisme pour le faire. „Lëtz rise up“ ne fonctionne qu’avec des bénévoles et n’en a pas les moyens. Le CET avait imaginé le faire pour l’emploi. Mais l’université de Metz avec laquelle elle était en contact avait des doutes sur la légalité de l’opération au Luxembourg.
Dans un séminaire organisé par le CET en 2012, l’avocat François Moyse rappelait que le droit de la discrimination prévoit un partage de la charge de la preuve, entre le plaignant qui rapporte une présomption de discrimination et l’accusé qui doit apporter des éléments contraires montrant qu’il n’y a pas eu discrimination. Comme élément de preuve, „le test de discrimination à des fins probatoires risque toutefois de se heurter au principe de loyauté de la preuve“, avertissait-il. Il fallait donc „espérer qu’un tribunal luxembourgeois tranche en faveur de l’admissibilité de ce procédé comme mode de preuve, car l’effectivité de la lutte contre les discriminations est étroitement liée aux règles de preuve en la matière“. Mais huit ans plus tard, aucun jugement n’est encore tombé en la matière.
- Un livre sur le colonialisme récompensé – Le choix de l’audace - 14. November 2024.
- Trois femmes qui peuvent toujours rêver: „La ville ouverte“ - 24. Oktober 2024.
- Une maison à la superficie inconnue: Les assises sectorielles annoncent de grands débats à venir - 24. Oktober 2024.
turnup tun ass jo den tun tonnar ; dén mat „fuck Lëtzebuerg“ Geriichtsaffair…! dén hällt se am beschten fir emmer, fir säi langage ze gebrauchen…
1 Kommentar, a gläich een deen sech op d’Säit vun de Rassiste stellt! Méi bleift net ze soen.
@Luxo
Deen tonnar…kee wonner dass se deen net eralossen
Carlo: Was genau ist denn rassistisch am Kommentar von „Luxo“? Offensichtlich goutiert er Herrn Tonnars Kunst nicht, aber macht einen das schon zum Rassisten?
Der Club-Betreiber hat Hausrecht und kann insofern entscheiden, wen er hereinlässt und wen nicht. Meine Disco-Ausgehzeit ist zwar schon etwas her, aber ich denke, dass die Türsteher über genug Menschenkenntnis verfügen, um zu wissen, wem sie den Eintritt verweigern müssen, um Stunk zu vermeiden. Den Eintritt aber allein von einer Hautfarbe oder Ethnie abhängig zu machen wäre in einem Land, dessen Ausländeranteil sich der 50%-Marke nähert, sicher kein tragbares Geschäftskonzept. Davon abgesehen: Wie tief muss man denn gesunken sein, um sich den Eintritt in ein Etablissement erbitten oder gar erzwingen zu wollen, in dem man, egal ob zu recht oder unrecht und aus welchen Gründen auch immer, nicht willkommen ist? Wenn ich irgendwo abgewiesen werde, drehe ich stante pede um und gebe mein Geld woanders aus. Clubs, Lounges und Discos gibt es selbst im provinziellen Luxemburg genug.
Ech sinn zu mengen „Club-Joeren“ oft vun den Türsteher refouleiert ginn well mer en Grupp vun 3 Jongen woren an keen Meedchen dobai wor. An d’Dammen hatten oft nach gratis entrée.