/ Santé: L’histoire sans fin d’une discrimination indirecte liée à la nationalité
Un arrêt rendu le 30 avril par le tribunal de l’Union européenne juge que la surtarification telle qu’elle est pratiquée depuis 1999 est une discrimination indirecte liée à la nationalité. La Commission européenne et la Fédération des hôpitaux luxembourgeois doivent désormais trouver une voie de sortie.
En mars 2016, Francis Wattiau, fonctionnaire du Parlement européen à la retraite, reçoit une première facture pour neuf séances d’oxygénothérapie en caisson hyperbare suivies au Centre hospitalier Emile Mayrisch (CHEM). Etablie par le cabinet médical, elle s’élève à 815 euros. Deux mois plus tard, c’est l’hôpital, cette fois, qui lui envoie une facture de 5.620,10 euros, pour ces mêmes neuf séances et deux séances d’audiométrie (à 500 euros les deux).
Estomaqué par la somme astronomique qu’il doit débourser, le patient demande à la caisse de santé des fonctionnaires européens, la RCAM, de contester la deuxième facture. Sa caisse lui rétorque qu’elle est conforme à la convention signée en 1996 entre les Communautés européennes, la Banque européenne d’investissement, la Fédération des hôpitaux luxembourgeois (FHL) et l’Etat luxembourgeois. Elle exige donc qu’il paie la part de l’assuré en pareil cas, et notamment les 15% de la facture établie par l’hôpital, soit 843 euros. Le fonctionnaire s’y refuse et porte l’affaire devant le tribunal de l’Union européenne.
La convention de 1996
Dans son arrêt du 30 avril dernier, le tribunal de l’Union européenne considère que cette pratique constitue une discrimination indirecte liée à la nationalité, puisqu’elle affecte davantage les ressortissants d’autres Etats membres que les ressortissants nationaux. L’argument selon lequel les surfacturés n’acquittent pas d’impôts sur leur traitement à la caisse nationale ni ne cotisent au régime national de sécurité sociale est jugé sans pertinence. Pour cause, il ne s’agit pas d’exiger le bénéfice de prestations de sécurité sociale, mais l’application de tarifs non discriminatoires pour les soins médicaux. Le tribunal poursuit son raisonnement en expliquant qu’„il convient d’accueillir l’exception d’illégalité de la convention de 1996 et, en conséquence, d’annuler la décision attaquée, dès lors qu’elle fait application de la grille tarifaire appliquée par le bureau liquidateur, telle qu’elle ressort du régime mis en place par la convention de 1996“.
La convention signée en 1996 devait donner un cadre légal viable à une pratique déjà épinglée dans l’arrêt Ferlini de 2000 du fait qu’elle ne respectait pas le principe de l’égalité de traitement. Alors que la CNS donne un budget annuel prévisionnel aux hôpitaux, en début d’année, calculée en fonction de frais fixes et frais variables, cette convention prévoit que la RCAM paie une semblable participation au budget global des hôpitaux luxembourgeois par le biais de la facturation. Et ainsi, pour tous les actes qui ne sont pas remboursés à 100% et pris en charge en amont, les assurés de la RCAM doivent régler à la fois l’intervention médicale qu’ils reçoivent en hôpital mais aussi participer au financement de l’hôpital en payant un forfait tenant compte des moyens techniques et appareillages employés, le tout majoré de 15%.
Un débat à la Chambre en 2017
Cette pratique avait connu une exposition médiatique inédite, après le succès d’une pétition lancée au printemps 2017. L’audience publique à la Chambre des députés tenue le 19 octobre suivant, deux semaines avant que Francis Wattiau ne dépose son recours, avait permis à la classe politique, et notamment à l’ancien ministre de la Santé et alors président de la Chambre des députés, Mars di Bartolomeo, et son successeur au ministère, Romain Schneider, de manifester leur compréhension, teintée d’embarras, aux pétitionnaires.
La pétition aura eu pour conséquence la fin, en octobre 2018, de la majoration de 15% sur les actes médicaux perçue par les médecins et des médecins-dentistes en vertu d’une convention signée en 2005 avec la Commission européenne.
Ses initiateurs espèrent désormais que l’arrêt Wattiau mettra fin au plus gros morceau, les frais hospitaliers. Le principal d’entre eux, le conseiller à la Banque européenne d’investissement Patrick Vanhoudt espère la disparition des frais supplémentaires mis à charge des assurés, sans que ceux-ci ne dussent par ailleurs le payer par une hausse de leurs propres cotisations. Pour ce dernier, il est aussi dans l’intérêt de la médecine luxembourgeoise de redevenir plus accessibles aux fonctionnaires européens, mais aussi internationaux (comme ceux de l’OTAN), concernés eux aussi par le sujet. Elle permettrait un plus grand turn-over et une médecine davantage exercée et donc meilleure. Dans la situation actuelle, au contraire, plusieurs institutions recommandent à leurs affiliés de se faire soigner à l’étranger, pour éviter la surtarification.
Un jugement qui sème la confusion
Du côté des hôpitaux luxembourgeois, l’heure est à la concertation. Les factures envoyées aux assurés RCAM restent les mêmes, malgré l’arrêt. Directeur administratif et financier du Centre hospitalier de Luxembourg, Jean-Paul Freichel concède une différence de traitement entre les affiliés de la CNS et ceux de la RCAM. Il la limite à la „marge d’ajustement du budget“, à savoir une majoration de 15% appliquée sur le calcul des unités d’oeuvre et justifiée du fait qu’il n’y a pas de correction faite en fin d’année avec le RCAM comme c’est le cas avec la CNS. Pour le reste, Jean-Paul Freichel est d’avis que la tarification est la même entre les assurés RCAM et CNS.
„Ce jugement fait l’amalgame à notre avis entre ce qui est dénommé participation statutaire du patient RCAM et cette notion de marge d’ajustement du tarif prévu dan la convention de base. Cette confusion d’interprétation ne permet pas vraiment de rendre ce système plus transparent. Ce jugement rend la discussion encore un peu plus confuse“, observe-t-il encore. Les hôpitaux tiendront toutefois compte de cet arrêt dans les discussions qui ne manqueront pas d’émerger dans la commission technique qui réunit les partis. Mais tant qu’il n’y aura pas de nouveau modèle de calcul, c’est la convention qui primera. L’enjeu n’est pas négligeable. Les assurés RCAM représentent 5 à 8% des activités d’un hôpital comme le CHL. Les recettes apportées par les 40.000 assurés de la RCAM au budget des hôpitaux s’ajoutent au budget apporté par la CNS. Mais, le bénéfice total n’est pas connu.
La Commission, qui par le passé avait estimé à deux millions d’euros par an, le poids de ce système sur la RCAM, doit désormais décider ce qu’elle veut faire. Rien n’est ressorti d’une réunion du comité de gestion de l’assurance maladie européenne réuni la semaine dernière à Bruxelles, dont c’était l’un des sujets principaux. „La Commission européenne a analyse les conséquences de cet arrêt et les mesures nécessaires pour en tenir compte“, se contente de déclarer un porte-parole de la Commission.
Les eurodéputés aux aguets
Par le passé, la Commission ne s’est pas montrée pressée d’agir. En 2015, la commissaire Kristalina Georgieva expliquait aux représentants du personnel „craindre qu’une éventuelle réouverture des conventions conclues dans le cadre luxembourgeois induirait sans nul doute un risque très important de perdre l’acquis des plafonnements appliqués à l’heure actuelle, (…) et d’aboutir à des surtarifications encore supérieures à celles pratiquées“.
L’arrêt Wattiau devrait changer la donne. La surveillance des eurodéputés également. Ces derniers, deux années de suite, se sont alarmés de la situation, dans le cadre de leurs décisions concernant la décharge sur l’exécution du budget général de l’Union européenne. En avril 2018, ils demandaient à la Commission d’envisager une procédure en infraction contre le Luxembourg. Et dans son texte adopté le 26 mars dernier (quatre eurodéputés luxembourgeois ont voté pour, deux n’étaient pas présents lors du vote), le Parlement européen dénonçait une convention qui enfreint la directive 2011/24/UE concernant l’égalité de traitement des patients européens.
„Il y aura de plus en plus de contestations devant la Cour“
Patrick Vanhoudt est d’avis que la Commission européenne devrait aussi chercher à récupérer les millions d’euros acquis à son goût de manière illégale, sur une période qui reste à définir en fonction des délais de prescription. Il souhaite également une transparence totale sur le calcul de la participation. „Il y aura de plus en plus de contestations devant la Cour“, parie-t-il. C’est aussi l’attraction du site du Luxembourg qui est en cause, ajoute-t-il.
La surtarification participe aux différences de pouvoir d’achat de 12 à 15% entre fonctionnaires européens en poste à Luxembourg par rapport à ceux de Bruxelles, telle qu’une récente étude de la Commission européenne l’a chiffrée. Le 7 octobre, le syndicat européen USL tiendra une conférence de presse pour exiger du gouvernement luxembourgeois qu’il demande à la Commission de respecter les traités et de déclencher l’instrument de rééquilibrage prévu en pareil cas.
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