La danse est dite / Palimpsest à la Banannefabrik est une chorégraphie parlée
Avec le confinement, le projet Palimpsest lancé en 2018 par la chorégraphe Nicole Seiler a trouvé une nouvelle raison d’être. La danseuse Léa Tirabasso et la Banannefabrik se sont prêtées à cet exercice d’audio-description de gestes qui ont habité un lieu.
Comme il y a des portraits parlés qui nous permettent de décrire et d’imaginer le visage d’anciens condamnés du début du 20e siècle, on pourrait désigner le projet Palimpsest développé par la chorégraphe suisse Nicole Seiler depuis 2018 comme une chorégraphie parlée. Le public y est invité à entendre ou plutôt à voir par l’ouïe l’histoire chorégraphique d’un lieu par la restitution de gestes qui s’y sont produits par le passé, à l’occasion d’un événement, d’une danse ou bien dans la répétition des jours.
Palimpsest est une étape dans la réflexion de la chorégraphe suisse dans la manière dont le son et l’image sont liées dans notre imaginaire. C’est en explorant ce que le son seul produit dans l’imaginaire, puis en le retirant qu’elle a découvert le statut du mot qui projeté devient image, explique-t-elle. Elle s’est alors intéressée à la technique de l’audio-description et à son pouvoir évocateur.
Une impossibilité poétique
„L’audio-descripteur ne veut pas interpréter à la place du spectateur non-voyant ou aveugle quelque chose que l’œuvre ne veut pas. Et en même temps, c’est impossible de décrire de manière objective“, dit la chorégraphe. „La danse ne passe pas par la parole. Elle passe par ailleurs. Et là aussi, il y a une tension qui m’intéresse énormément. Je pense que c’est impossible de décrire le geste. Et l’effort de vouloir le faire quand même, du mieux possible, de mille manières possibles, ressort une poétique.“
En 2017, la Banannefabrik avait déjà accueilli une de ces expériences avec l’installation vidéo baptisée Amauros. Placé devant des images noires le public écoutait des descriptions audio de parties de chorégraphies célèbres, réalisées par une spécialiste française du genre, Séverine Skierski.
Palimpsest fait revivre et coexister des gestes du passé. „C’est comme mettre la timeline à la verticale et que toutes les couches existent en même temps“, résume la chorégraphe. Le public qui doit se rendre sur place avec une application pour accéder à l’audio-description rajoute une couche avec ce qu’il voit au moment où il écoute in situ. „La description rend surréel le réel, car on décrit ce qu’on voit, puis surgit une couche supplémentaire que l’on projette dans ce décor.“ Dans la première version du projet, Nicole Seiler s’est inspirée d’images, de films, mais aussi de reconstitutions. Ainsi, à Lausanne, elle raconte l’arrivée du tsunami de 563 à l’aide de films catastrophes ou narre une manifestation de la jeunesse dans les années 80 à partir de vidéos.
Palimpsest a trouvé une nouvelle signification avec la pandémie et le confinement. Après avoir vaincu l’impossibilité du lien avec le passé, le projet pourrait vaincre l’impossibilité du lien au présent, de celui qui lie l’artiste, le public et les institutions, réfléchirent Nicole Seiler et Séverine Skierski. De son côté, dans son logement de Londres, le confinement amenait la danseuse Léa Tirabasso à s’interroger sur l’accès des publics à la danse et non seulement des non-voyants.
Présence fantômatique
C’est à cette nouvelle version que la Banannefabrik prête son décor et son histoire, pour ce qui est la première sortie hors de Suisse de Palimpsest et la première réalisée complètement à distance. La danseuse, la chorégraphe, l’audio-descriptrice et un musicien ont ainsi travaillé chacun chez soi entre Suisse, France et Angleterre pour habiter un lieu culturel au Luxembourg.
Léa Tirabasso a créé des phrases chorégraphiques en résonance avec la Banannefabrik, qu’elle a connue dès son ouverture. C’est d’abord la structure architecturale qui a dirigé ses pas et notamment la passerelle en béton, avant que ce soit l’espace, les souvenirs et les expériences personnelles qui l’habitent et notamment ses trois créations chorégraphiques qui prennent le relai. D’abord venue de l’extérieur, la danse, qui laisse une grande part à l’improvisation, est ensuite venue de l’intérieur.
Un geste ou un bout de danse ne passe pas par les mêmes canaux dans le cerveau que le mot. Le mot fige, décide de quelle manière le geste est vécu. L’enjeu est d’être précis et de laisser en même temps une ouverture.chorégraphe
De l’autre côté de l’écran, Nicole Seiler et Séverine Skierski ont transplanté les danses par le texte dans le lieu. En faisant des choix. Aussi descriptif soit-il, le mot opère une interprétation, qu’il s’agit de laisser la plus ouverture possible, pour que le spectateur puisse projeter du sien à l’intérieur de cette lecture. „Le mot fige, décide de quelle manière le geste est vécu. L’enjeu est d’être précis et de laisser en même temps une ouverture. C’est assez complexe de décrire une danse, de définir le focus, le corps entier bouge et le mot peut faire un focus, sur le petit doigt par exemple.“
A cette couche de gestes tirés du confinement devenu histoire s’ajoutent les gestes exécutés à l’occasion de pièces de Léa Tirabasse – en l’occurence „Toys“ et „The ephemeral life of an octopus“ – pour conserver le caractère historique du concept.
Fidèle elle aussi au concept, la danseuse n’a pas voulu écouter à distance les audio-descriptions qui s’offriront au public muni de l’application à sept endroits de la Banannefabrik. Mais elle ne doute pas du pouvoir des mots à pallier l’absence d’images. „Je ne pense pas qu’on perde quelque chose. C’est un autre médium, qui ouvre l’imagination, tout autant que la vue ouvre l’imagination. C’est pas parce qu’on voit un spectacle qu’on le voit mieux ou qu’on le voit plus. L’audio-description est simplement une autre manière d’appréhender une pièce. Les mots ne trahiront pas. Ils seront une interprétation, une traduction, choisies.“
Ironie de l’histoire, Léa Tirabasso n’aura pas non plus la possibilité de les découvrir à l’occasion du vernissage du 25 août. Sa venue lui imposerait une quarantaine trop handicapante à son retour. Sa présence ne sera donc faite que de mots. „Dans le contexte du confinement, et dans l’état du spectacle en ce moment, il y a quelque chose de fantomatique dans ce projet pour moi. Cela restitue quelque chose du passé.“
Avec ce projet, „la danse devient muséale, reflet d’une époque, trace vivante d’une période qui marque ou aura marqué l’auditeur ou l’auditrice“, dit le 3-CL dans son invitation au public.
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