Succès des pétitions en ligne / Parcours croisés vers les 4.500 signatures
Pour le chercheur en sciences politiques Raphaël Kies, la pétition en ligne est un „sismographe de l’opinion publique“. Pour obtenir une réplique politique à son idée, il vaut mieux bien se préparer. Exemples avec trois campagnes de récolte de signatures aux destins différents.
Les chercheurs en sciences politiques voient dans le pétitionnement en ligne l’étalon idéal pour mesurer la promesse des nouvelles technologies d’une plus grande participation politique. Et ils sont quasiment unanimes pour constater qu’Internet a donné un sérieux coup de fouet et de jeune à cette pratique ancestrale. Sa mise en ligne l’a rendu plus facile, plus accessible qu’avant, pour les individus. Il n’y a plus besoin de temps ni de bras, ni de sortir de chez soi, pour lancer la récolte des signatures. „On peut le faire depuis sa chambre, cela a enlevé beaucoup de barrières“, observe Raphaël Kies, politologue à l’Université du Luxembourg. „Même s’il reste toujours des barrières d’éducation et de niveau social, qui font que des personnes ne se sentiront jamais à l’aise de mener une initiative publique.“
L’écriture et la signature ont beau être plus faciles, il n’empêche que quelques réflexions stratégiques ne sont pas de trop avant de se lancer. C’est ce que se dit désormais, avec le recul, Alessia Mauta. Lorsqu’elle est revenue au Luxembourg, après un séjour intermédiaire à Londres de cinq années, cette ingénieure italienne dans le domaine des satellites avait un plan en tête. Cette fois, elle n’accepterait pas les règles du marché de l’immobilier sans broncher. Et elle commencerait par s’attaquer aux frais d’agence qu’elle s’apprêtait une nouvelle fois à débourser. Ces frais sont le comble de la spéculation immobilière. Ils progressent à la même vitesse que les prix du marché, mais le retour sur l’investissement est proche du néant. „J’avais déjà rencontré de gros problèmes quand je venais d’arriver lors de mon premier séjour. J’avais fini mes études et peu d’argent en poche pour faire face à de nombreuses dépenses. Chaque fois que je bougeais, je devais donner une énorme contribution pour un service inexistant. Le seul service rendu au locataire est d’ouvrir la porte de l’appartement et de le faire visiter“, explique la jeune femme.
Pas facile pour tout le monde
Durant son séjour anglais, elle avait signé de nombreuses pétitions adressées au conseil municipal de Londres. Et l’une d’entre elles, justement, avait permis de baisser les frais d’agence qui étaient sans aucune mesure avec ceux de Luxembourg. Dans les pays voisins du Grand-Duché, la règle est désormais que le propriétaire règle les frais d’agence. En France, ils sont même plafonnés à douze euros le mètre carré. Ces informations ne figurent pas dans l’intitulé de la pétition qu’Alessia Mauta a déposée auprès de la Chambre des députés en septembre. Elle pensait qu’un libellé succinct suffirait dès lors que l’obstacle de la validation de la pétition serait passé. Mais à la vielle de sa clôture, sa pétition n’a même pas atteint les 1.000 signatures, loin des 4.500 nécessaires pour obtenir un débat public sur le sujet.
„Je pensais peut-être naïvement que les gens allaient signer, qu’il est impensable d’accepter que cet argent soit jeté dans un trou noir sans rien faire.“ Il lui aura certes fallu une semaine pour comprendre que le formulaire à imprimer envoyé par la Chambre des députés n’excluait pas que la pétition puisse se dérouler en ligne. Mais cela n’explique pas tout. Au Luxembourg où les gens comme elle bougent beaucoup, la mayonnaise devait prendre plus facilement. „J’ai été trop impulsive“, pense-t-elle aujourd’hui, en regrettant de ne pas l’avoir mieux pensé.
La pétition lui a permis de constater que la tâche était rude. Dans son entourage, beaucoup de gens se sont résolus à devenir propriétaires et se détournent d’une question qui appartient à leur passé. Alessia Mauta a tout misé sur les réseaux sociaux, en demandant de l’aide à ses proches et en ciblant les groupes de locataires en ligne. Mais elle n’a pas un instant pensé à descendre dans la rue. „Dans le monde actuel, un clic en ligne, ça prend moins de temps et c’est peut-être plus efficace.“
Je pensais peut-être naïvement que les gens allaient signer, qu’il est impensable d’accepter que cet argent soit jeté dans un trou noir sans rien fairepétitionnaire malheureuse en faveur d’un plafonnement des frais d’agence immobilière
Avec ou sans algorithme
La pétition est un moyen de s’exprimer pour les membres de la population qui n’ont pas accès au vote. C’était le cas à l’époque du suffrage censitaire pour les femmes et les non-fortunés. C’est encore le cas aujourd’hui pour les immigrés, les frontaliers et les mineurs de plus de 15 ans qui ont le droit d’initier ou signer une pétition. Mais tous n’ont pas les codes pour trouver le chemin qui mène aux réseaux locaux capables de démultiplier la visibilité de leur pétition et de la faire atteindre les quelques milliers de signatures qui lui permettront d’attirer les regards des journalistes et lui assureront un ultime coup de pouce.
La publicité, c’est le nerf de la guerre. Alors emprunter les méthodes du secteur qui s’en est fait une spécialité peut être pertinent. Le succès de la pétition n°1608 du groupe „Luxembourg under destruction“ est un cas d’école. Avant de se lancer dans le projet de pétition, les défenseurs du patrimoine qui s’étaient connus par un groupe Facebook sur internet ont tenu plusieurs réunions en chair et en os. C’est au cours de ces échanges au sein d’un noyau dur de cinq personnes qu’ont surgi l’idée de faire la pétition puis celle d’assurer son succès en allant sur le terrain à l’encontre des signataires potentiels.
Le constat de départ était que tout le monde n’était pas présent sur les réseaux sociaux. C’est ainsi que le groupe a fait confectionner à bon marché à Trêves, puis distribué à Luxembourg, 20.000 cartes postales, montrant des images de patrimoine bâti en cours de destruction, faute de protection adéquate. Il a ciblé les habitants de quartier défigurés par la spéculation. Même si après coup, il n’y avait pas de raison de zapper les quartiers nouveaux. „Ça ne veut pas toujours tout dire, on peut être amateur de vieilles maisons et finir dans un appartement au Kirchberg“, explique le fondateur néerlandais du groupe, le juriste de profession Peter Kleijnenburg. Le groupe n’a pas seulement faussé compagnie aux algorithmes dans la vie réelle, il leur a aussi forcé le calcul dans le monde virtuel, en mettant une nouvelle fois la main à la poche pour que leurs messages arrivent en bonne place dans les fils de discussion. „La simple publication est rarement suffisante. Ce qu’on a fait a coûté de l’énergie et du temps. Si on a une bonne idée et qu’on le fait tout seul, ça n’est pas suffisant“, pense le pétitionnaire.
Toutefois, un autre élément a sensiblement aidé la pétition à atteindre le seuil des 4.500 signatures. Il s’agit du relai apporté par les associations de défense du patrimoine puis d’autres cercles qui se sont identifiés à la cause. Si le passage de la pétition à l’ère d’internet a favorisé les initiatives individuelles jadis rarissimes, les associations qui n’en ont plus le monopole restent de précieuses alliées. Le pétitionnement en ligne ne semble pas être un engagement qui court-circuite la vie associative traditionnelle. Elle semble au contraire lui offrir de nouvelles opportunités de développement.
Les règles, un sujet encore tabou
Ornella Romito a soumis le 23 avril dernier sa pétition en faveur d’un congé pour les règles douloureuses. Un peu comme on poste un message Facebook: avec des objectifs de notoriété limités. „Au début je me disais que si je reçois 100 à 200 signatures, je m’en contenterais“, explique la salariée luxembourgeoise. Mais très vite elle a compris que sa pétition allait faire le buzz. „A ma grande surprise dès que la pétition était en ligne, j’ai vite remarqué les deux premiers jours que les signatures ne cessaient de monter.“
La progression ne s’est jamais démentie et la jeune citoyenne s’est retrouvée à la Chambre des députés le 6 octobre à exposer la souffrance mensuelle de nombreuses femmes. „J’étais agréablement surprise, car ceci a démontré encore une fois l’importance du sujet qui jusqu’à présent était tabou.“ Quand on lui demande quel conseil elle pourrait donner à ses semblables qui souhaiteraient connaître le même succès, Ornella Romito ne sait quoi dire. Elle a bénéficié du support de ses proches et de ses amis en partageant le lien de la pétition sur tous les réseaux possibles Puis, la plate-forme féministe Journée internationale de la femme (JIF) réunissant des associations féministes et le Planning familial l’ont contactée pour l’aider, aussi bien dans le partage de la pétition que dans la préparation du débat. C’est ainsi qu’Ornella Romito est apparue flanquée de Danielle Choucroun, docteur au Planning familial, lors du débat à la Chambre.
Le cas de cette pétition est à part aussi bien pour son succès inattendu que pour la volonté politique d’agir qui devrait en découler. Elle montre en effet qu’un thème bien choisi peut suffire au succès. Car les pétitionnaires du Luxembourg sont plutôt mieux lotis que ceux des autres pays européens. L’instrument „bénéficie d’une notoriété assez exceptionnelle“, avec des publications régulières dans les journaux, comme le note Raphaël Kies. C’est aussi ce qui explique qu’on est passé d’une moyenne annuelle de 5,5 pétitions à une moyenne mensuelle de 12,5 après l’introduction des e-pétitions. Par contre, pour ce qui est de la prise en compte de leurs doléances, la comparaison avec les autres pays n’est pas forcément favorable.
„Une source d’idée pour les politiciens“
Dans un article composé en 2020 avec Sven Seidenthal, Raphaël Kies constatait que les pétitions qui ont le plus de chance de déclencher une décision politique sont grosso modo celles qui figurent au programme du gouvernement. Le soutien médiatique ou populaire n’a aucune influence par rapport à „la compatibilité avec l’agenda du gouvernement, la compétence du gouvernement et l’accord du gouvernement avec les revendications des pétitionnaires“.
Ça permet d’évacuer des tensions qui sont présentes dans la sociétéchercheur en sciences politiques à l’Uni.lu
Le constat vaut sans aucun doute pour les pétitions qui ont atteint le quorum comme celles qui en sont restées loin. Ne pas avoir 4.500 signatures n’est pas forcément un échec. La pétition peut être „une source d’idée et d’inspiration pour les responsables politiques“. La pétition, poursuit Kies, est en effet „un sismographe de l’opinion publique“. Elle permet aux décideurs de savoir quels sont les enjeux et les questions qui occupent la population et qui ne sont pas encore thématisées politiquement. Elle a l’avantage sur le sondage qu’il n’y a personne pour limiter les thèmes et notamment ceux qui fâchent. Kies y voit un intérêt pour la paix sociale du pays. „Ça permet d’évacuer des tensions qui sont présentes dans la société.“ En 2017, la chercheuse suédoise Jeanne Berg estimait pour sa part que le pétitionnement „permettrait d’obtenir des changements politiques sans avoir besoin d’importantes ressources organisationnelles“ et qu’il „pourrait favoriser l’„empowerment“ (la „capacitation“) des individus plutôt que renforcer les organisations établies“, lit-on dans un article tout récent de Raphaël Kies et consorts.
Des résultats démotivants
Si la pétition a ces vertus démocratiques, on peut s’interroger sur les outils qui pourraient aider davantage les pétitionnaires à faire entendre leur voix. On pourrait imaginer des conseils sur le démarchage à entreprendre ou la formation d’un club d’anciens pétitionnaires qui s’en chargeraient. La Chambre des députés tient à rester neutre et ne veut pas agir à la place des pétitionnaires. Le nouveau site internet dédié aux pétitions, distinct de celui de la Chambre des députés, est plus facile d’usage et facilite le partage en ligne. Il contient également des exemples pour guider en quatre langues le pétitionnaire dans la rédaction de son texte. Il y aurait sans doute encore à faire pour corriger les fautes d’orthographes et de syntaxe, comme celles observées dans la pétition d’Alessia Mauta, lesquelles desservent le propos et peuvent décourager les initiatives.
Depuis qu’une réclamation de son groupe, la Chambre permet de plus grandes descriptions des projets de pétition, Peter Kleijnenburg ne voit plus très bien quelle aide supplémentaire on pourrait apporter aux pétitionnaires, à part l’exemple du travail réalisé pour sa pétition. „Je pense que si on arrive à intéresser quelques journalistes pour que ce soit dans la presse et à assurer que sur internet ça circule bien, qu’on envoie un lien avec un mot d’explication à tous les contacts, qu’on invite d’autres gens à faire suivre, qu’on envoie des cartes postales et qu’on paie une publicité, ça s’arrête là.“
Si dans deux ans, nous refaisons la même pétition, ce n’est pas nous qui passerons pour des imbécilesLuxembourg under destruction
Pour faire une pétition, une valeur cardinale est la motivation. Peter Kleijnenburg a un peu perdu de la sienne. Ses collègues pétitionnaires et lui ont été accueillis en fanfare à la Chambre. Ils ont été félicités quand ils s’attendaient à l’hostilité. Mais, au final, tout n’était qu’apparence. „On n’a jamais eu un succès concret, on n’a jamais sauvé un seul bâtiment, il y a toujours une raison pour dire que c’est dommage. Les gens puissants arrivent toujours à avoir ce qu’ils veulent“, déplore-t-il. Alors, lorsque „Luxembourg under destruction“ a appris la démolition prochaine de la gare d’Ettelbruck, le groupe a renoncé à lancer une pétition sur le site de la Chambre des députés comme il l’avait envisagé. Le temps comme l’énergie à employer n’en valait pas la chandelle, même s’ils auraient obtenu les 4.500 signatures. Peter Kleijnenburg n’a plus de rêves de pétitions. Il pense désormais à utiliser cet outil uniquement pour exposer au grand jour, à espace régulier de deux ans (celui autorisé pour représenter une pétition semblable), l’immobilisme politique sur le marché de l’immobilier. „Si dans deux ans, on refait la même pétition, ce n’est pas nous qui passerons pour des imbéciles“, promet-il.
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Unter « Succès des Pétitions » verstehe ich was ganz ANDERES als
nur um den Brei herum SCHWADRONIEREN, oder ?
Et gett den Dokter an et gett Krankschreiwung fir dei‘ di Probleemer hun !
Nancy heißt nur Arendt, wir behalten unseren Namen ein Leben lang, wir sind hier nicht in Deutschland.
Das ist genau wie die angebliche ‚Großherzogin‘.