Exposition / Pas sages ces images: Les lauréats du World Press Photo 2021 à Neimünster
Pour la deuxième année consécutive, le Centre culturel de rencontre – abbaye de Neumünster accueille l’exposition itinérante World Press photo qui montre les lauréats pour l’année 2020 du plus grand et prestigieux concours de photographie de presse.
Présentée pour la première du genre au Luxembourg, l’exposition du World Press 2020 donnait le tournis. Les clichés présentés au Centre culturel de rencontre – abbaye de Neumünster en 2021 (janvier), dataient de 2019 et procuraient un sentiment d’étrangeté. Les photos rappelaient l’ambiance bien lointaine des temps précédant la pandémie dans laquelle le pays était alors plongée. Le temps pris par la procédure de sélection des lauréats puis par la réalisation de l’exposition avait opéré ce décalage complet. Cette année, tout semble rentrer dans l’ordre. La pandémie traîne en longueur. Et les photos liées à la période du coronavirus primées pour cette édition 2021 du prix organisé par la World Press Photo Fondation restent d’une actualité brûlante.
Nouvelles frontières
On pourra tout de même reconnaître dans la radicalité des mesures qu’elles illustrent les premiers temps de la pandémie, déjà lointains et marqués par l’impréparation généralisée des pouvoirs publics, de la méconnaissance du virus et de l’absence de vaccins. Le reportage du photographe Roland Schmid, qui a reçu le deuxième prix dans la catégorie „Récits“, montre les frontières tout à coup dressées entre la Suisse et l’Allemagne là où on pensait ne plus les voir. Les couples et amis parviennent à se réunir malgré tout de part et d’autre d’un grillage, qui entrave le passage d’une voiture, ou d’un simple ruban qui trahit, malgré tout, le caractère éphémère et dérisoire de ces mesures de restriction.
La frontière captée par la photo „isolée“ qui a reçu le prix de Photo de l’année est de plastique. La scène, capturée par le photographe danois Mads Nissen, est celle de la première embrassade reçue de son infirmière par une octogénaire isolée depuis cinq mois dans un centre de soins brésilien. Ce qui a rendu possible cet échange, „cette histoire d’espoir et d’amour dans les temps les plus difficiles“ selon son auteur, ce n’est certainement pas l’indifférence funeste au virus du président brésilien Jair Bolsonaro. C’est plutôt la création d’un „rideau des câlins“, lequel vient s’ajouter à la longue liste de nouveaux sens que ce type de crise fait donner aux objets.
Il est aussi question de plastique et de coronavirus sur la photo de l’Indonésienne Joshua Irwandi, mais cette fois, c’est moins réjouissant. Les infirmières ont enroulé de plastique et badigeonné de désinfectant le corps d’une victime de Covid-19, privant les proches d’un rite funéraire adapté. L’Organisation mondiale de la Santé finira par bannir ces méthodes contraires à une dignité et une culture souvent bafouées dans les premiers temps de la pandémie.
Le coronavirus a rendu plus difficiles les migrations. Il ne les a pas empêchées. Le thème reste un sujet d’inspiration pour les reportages photographiques au long cours. La Russe Alisa Martynova a passé du temps avec quelques-un.e.s du million d’immigrés africains qui vivent en Italie. Elle aime se figurer ces nouveaux habitants de la péninsule comme des „étoiles éparpillées, une constellation de jeunes gens de différents pays, de différents sexes et aux traits différents“. Les modèles sont photographiés au bord de la mer qui les a portés là au bout d’un voyage périlleux, dans la forêt qu’ils ont fréquentée comme lieu de passage clandestin, à la manière des résistants d’une autre époque, ou dans les pièces où finalement commence leur nouvelle vie. Les photos sont magnifiques de profondeur et de double sens.
Résiliences
Le récit photographique sert également à mettre les projecteurs sur les manières originales dont l’humanité compose avec son environnement. Le lauréat de cette catégorie, l’Italien Antonio Faccilongo, documente la procréation à distance, à laquelle se décide, malgré le tabou religieux, des couples palestiniens dont le mari est enfermé dans les geôles israéliennes. Le photographe, qui prête à son travail „l’ambition de construire un pont culturel pour rassembler les gens“, rappelle ainsi la situation compliquée de 4.200 détenus pour des raisons de sécurité, qui n’ont pas le droit aux visites conjugales et n’ont droit à un contact physique que durant dix minutes avec les enfants de moins de dix ans. Le sperme sorti illégalement de prison est en général caché dans des tubes de stylos ou des papiers de bonbons dissimulés dans des cadeaux donnés aux enfants. 96 bébés avaient été conçus de cette manière selon des calculs du Middle East Monitor en mars 2021.
Cette résilience de l’humanité, on la retrouve également dans l’inventivité que documente le photographe slovène, avec son reportage réalisé dans le désert du Laudakh, dans le Nord de l’Inde. Là-bas, les habitants ont eu l’idée de combattre les effets du réchauffement climatique, en fabriquant leurs propres glaciers pour disposer d’eau pendant la période de plantation en avril-mai. A cette reconstitution de la nature s’oppose sa destruction, guidée par l’appât du gain, qui est un thème lui aussi toujours prisé.
La photographie est alors capable, souvent mieux que des grands discours, d’illustrer par une seule image ce que l’avarice fait aux environnements naturels et culturels. Ainsi, parmi les 74.470 photographies de 4.315 photographes envoyés au jury pour cette édition 2021, figurait le cliché pris par le photographe Hkun Lat, dans la région de Hapkant au Myanmar, de la plus grande mine de pierre de jade au monde. A gauche de la photo, les bulldozers ont déjà mangé la moitié d’une montagne. La partie de droite conserve encore sa forêt majestueuse au milieu de laquelle un temple bouddhiste oppose sa sagesse millénaire. Du travail de sensibilisation réalisé par ce type d’exposition présente actuellement au Luxembourg dépend également la future réponse à la question: Laquelle de la partie de gauche ou de celle de droite appartient au passé?
A voir
Au Centre culturel de rencontre – Abbaye de Neumünster. Agora Marcel Jullian. Tous les jours de 10 h à 18 h jusqu’au lundi 20 décembre. Entrée libre.
A noter que le concours récompense aussi le digital storytelling et que, dans cette catégorie, non présentée à Neimünster, c’est le projet „Reconstructing Seven Days of Protests in Minneapolis After George Floyd’s Death“ qui l’a emporté dans la catégorie „Interactive“. Il est visible sur le site internet du Washington Post.
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