Konschthal / Problèmes de liquidités: Filip Markiewicz à tous les étages
Dans une exposition monographique qui multiplie les supports et les approches, Filip Markiewicz tente d’apprivoiser et de nommer un monde marqué par son illisibilité et sa liquidité.
L’espace d’un week-end, de ce week-end, les œuvres de Filip Markiewicz seront visibles au Mudam à Luxembourg où l’exposition collective „Freigeister“ s’achève et à la „Konschthal“ d’Esch où une exposition monographique commence. Ce n’est pas une maigre reconnaissance. Pour la nouvelle institution eschoise d’art contemporain, soucieuse de lancer une exposition au moment où s’ouvre officiellement Esch2022, il était difficile de trouver meilleur ambassadeur que Filip Markiewicz, le plus créatif et pluridisciplinaire des Eschois. Son œuvre aux prises avec l’actualité apporte de surcroît la démonstration évidente d’un art ancré au cœur des problèmes de la société. Et la diversité des supports et de leur degré d’accessibilité se prête particulièrement à titiller un public large.
Baptisée „Instant comedy“, du nom d’un morceau de son dernier album „Ultra social pop“ qui renvoie davantage au tragique de la comédie de Dante qu’à la rigolade, Filip Markiewicz met en scène un monde tellement rapide et en perpétuelle transformation qu’il échappe constamment à l’entendement, comme impossible à figer. Les réseaux sociaux et l’information ininterrompue en sont les responsables désignés. Ils brouillent les cartes et compliquent sinon rendent impossible toute aspiration à décrire la réalité. C’est ce fil rouge que Filip Markiewicz tire à travers plusieurs médias: infographies, film, théâtre, peinture à l’huile, dessin, musique et sculpture.
Il eut suffi que l’artiste ait tiré le portrait à Poutine plutôt qu’à Houellebecq auquel on pourrait de loin trouver des ressemblances (et pas que physiques), la démonstration eût été parfaite. Tant la situation en Ukraine, à la veille d’une offensive indéchiffrable, semblait alors relever plutôt du spectacle qu’en font les écrans que d’une analyse rationnelle.
„Essai visuel“
Filip Markiewicz fait aussi référence au philosophe polonais Zygmunt Bauman, critique de la modernité et des médias, qui a qualifié de liquide une société dont les structures collectives ont disparu et dans laquelle les individus consommateurs se débattent. Sur les deux étages de la Konschthal, l’artiste a créé une scénographie, un „essai visuel“, dans laquelle on circule aisément et retrouve des mêmes motifs. „Tout rentre l’un dans l’autre, tout est fluide. Les thèmes et visuels, partout les uns influencent et transforment les autres, les uns instantanés et fixes, les autres en mouvement“, explique le directeur artistique de la Konschthal, Christian Mosar. L’œuvre de Markiewicz témoigne d’une volonté de mélanger les codes en confrontant des éléments de la culture pop avec ceux d’une culture plus classique. Au premier étage, la citation d’Oscar Wilde face aux impostures: „The world is a stage but the play is badly cast.“
On trouve des œuvres plus directement et esthétiquement accessibles, qui disent toutefois les mêmes contradictions. A la manière d’un Andy Warhol, l’artiste croque en couleurs vives les pop sinon post-pop stars du moment, comme Michel Houellebecq, personnage ô combien complexe, et fait revivre l’allégorie de l’impossible vérité qu’est Laura Palmer, la victime du meurtre de la série culte „Twin Peaks“.
Dans „Volk“, qui a tout pour rester l’image culte de cette exposition, Filip Markiewicz puise dans un autre trésor cinématographique, le film „Taxi Driver“, l’image de Robert De Niro arborant le badge „We are the people“, slogan d’un vétéran du Vietnam en déshérence qui fait écho aux manifs anti-vax par l’apposition du mot „Volk“ en bandeau, peint d’un rose qu’Alexander Schauss avait défini comme la couleur capable d’apaiser les âmes.
Un autre ensemble d’œuvres sous formes infographiques disent par des images étranges ou inachevables la liquidité du monde et des corps. C’est le cas de la sculpture „Future proof“ qui détourne l’homme en marche du futuriste italien Boccioni. L’allégorie de la confiance en l’avenir devient celle de la méfiance envers le présent, d’une figure indéfinissable, indescriptible qui transmet une incertitude.
Au rez-de-chaussée, dans l’arrière salle de l’ancien magasin de meuble, à l’ambiance berlinoise, c’est la pièce de théâtre „Euro Hamlet“; le dernier projet de création théâtrale mis en scène par Filip Markiewicz et présenté en août 2021 dans l’immense hall du site Telux à Weisswasser en Allemagne, en collaboration avec la dramaturge Katrin Michaels, qui est projeté. Reprenant le texte original de Hamlet, l’artiste tente d’y répondre à une question: comment faire passer les vérités du quotidien dans un contexte soumis aux codes des apparences?
Infos
Jusqu’au 22 mai 2022
Ouverture: le samedi 26 février de 11.00 h à 23.00 h.
Dimanche 27 février: ouverture de 11.00 à 18.00 h. A 14.00 h, échange entre Filip Markiewicz et Marc Wellmann (historien de l’art et directeur de la „Haus am Lützowplatz“, la plus ancienne association d’art de Berlin). DJ set les 17, 24 et 31 mars, à partir de 18.00 h. Programme complet: www.konschthal.lu.
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