En résidence à la KuFa pour achever son second roman / Quitte ou double pour Sofia Aouine
Encensée et multiprimée pour son premier roman „Rhapsodie des oubliés“, rédigé en grande partie au château de Bourglinster, l’écrivaine parisienne Sofia Aouine est en résidence à la „Kulturfabrik“ pour mettre un point final à son deuxième roman. C’est à la prochaine rentrée littéraire que tombera le couperet. Au deuxième roman, „soit on vous flingue, soit vous transformez l’essai“, dit-elle.
„Ne laisse personne censurer ce que t’as envie de dire.“ Ce matin-là, Sofia Aouine s’est répété cette phrase à voix haute, comme pour mieux se prendre au mot, dans la chambre d’hôtel qu’elle occupe en face de la „Kulturfabrik“. L’écrivaine française de 43 ans ne veut surtout pas céder aux sirènes de ce qui consume à petit feu son pays: „l’hystérie identitaire“ et „cette bonne conscience, schizophrène, où il faudrait être gentille tout en détestant la gentillesse“. Ne vouloir entrer dans aucune case en constitue la parade. Elle en est convaincue depuis la sortie de son premier roman „Rhapsodie des oubliés“, dans lequel elle se glissait dans la peau d’un adolescent de 13 ans exilé, en pleine explosion des sens, pour jeter un regard cru sur son quartier pauvre et populaire du XVIIIe arrondissement de Paris.
„Mon travail d’écriture continuera à mûrir, plus je me donnerai la liberté d’être qui je suis et qui je veux. Là aussi pour moi réside la réussite de mon premier roman: pouvoir être qui je désire à l’heure de la cancel culture.“ La nuit porte conseil. Et la critique d’une jeune femme postée la veille sur les réseaux sociaux qui se plaignait que son premier livre ne présente un jeune musulman que par ses désirs sexuels et son quartier que par ses toxicomanes, prostituées et sans abris ne l’aura pas fait douter longtemps. „Pourquoi devrais-je faire la Reine des neiges dans le XVIIIe?“, résume-t-elle.
Une quête d’universel
La critique est souvent injuste. Et celle-là passait à côté du propos de ce roman d’apprentissage qui, au contraire de détourner le regard, voulait „faire ressortir l’humanité de la crasse“, de celle qu’elle a vu de près dans ce quartier qu’elle habite encore et qui était dans „L’assomoir“ d’Emile Zola la commune de la Goutte d’or. Sofia Aouine cite d’ailleurs „Affreux sales et méchants“ comme son film préféré. „C’est dégueulasse, mais il y a de l’humanité chez ces gens-là.“ Comme le spectateur du film d’Ettore Scola, le lecteur du roman de Sofia Aouine a un accès privilégié à un univers autre que le sien. Mais tous deux font le constat de l’universalisme des émotions humaines, travaillées et retravaillées par les artistes depuis la nuit des temps. „En littérature, on ne fait que dérouler un fil dans les grands thèmes, l’amour, la mort, la jalousie, etc. déjà écrits depuis ,L’odyssée‘ d’Homère“, constate l’écrivaine.
Et cette aspiration à l’universalisme, c’est au château de Bourglinster qu’elle l’a fortifiée. Sofia Aouine y avait passé six mois en résidence pour la création de son premier roman. „ C’est dans l’écriture que se joue le travail de l’écrivain contemporain aujourd’hui“, explique-t-elle. „Du coup, avoir une vie qui ne ressemble pas à celle que j’ai l’habitude d’avoir m’a donné envie d’une écriture et d’un univers suffisamment universels pour être compris ailleurs.“ Installée dans les écuries réaménagées du château, elle voyait la vie défiler sous ses fenêtres en contrebas. Y sont passés des mariages, des voitures de luxe et même Emmanuel Macron. Y remontaient les odeurs de gaufres et de saucisses d’une foire à l’art local avec les cris des enfants. „Je me disais, en voyant les gens passer: ‚Écris les choses les plus simples et les plus sincères possibles avec les émotions les plus brutes possibles, pour que même ces gens-là te comprennent.’“
Je me disais, en voyant les gens passer: „Ecris les choses les plus simples et les plus sincères possibles avec les émotions les plus brutes possibles, pour que même ces gens-là te comprennent.’
Son livre sorti à l’automne 2019 a réussi le bel exploit de réunir autour de lui des lecteurs de tous les âges, couleurs de peau et classes sociales. Et le destin de l’ouvrage reflète cette capacité à franchir les frontières. Rédigée dans un château luxembourgeois, au sujet d’un quartier populaire parisien, il a remporté le prix littéraire le plus „snob“, le prix de Flore, du nom d’un célèbre café d’artiste parisien, situé sur la rive gauche dans le quartier désormais huppé de Saint-Germain. Par cette occasion, la jeune fille au passé difficile du XVIIIe a gagné le droit de boire pendant un an un grand crû dans un verre gravé à son nom de l’autre côté de la Seine. Tout un symbole.
„Couper la fiction de la réalité“
Mais l’ivresse du succès a désormais fait place à la pression. La journaliste en stand-by est à un tournant de la carrière d’écrivaine qu’elle espère poursuivre. Son premier roman a dépassé allègrement les 5.000 exemplaires qui en font un best-seller et les 15.000 qui en font un carton éditorial. Il faut dorénavant confirmer: „Le premier roman, c’est le baptême du feu. Et le deuxième a un rôle encore plus pernicieux. Soit on vous flingue, soit vous transformez l’essai.“
Décidée en dernière minute, sur invitation du centre culturel eschois, sa résidence à la KuFa est bien plus courte (du 10 au 28 janvier) que celle qu’elle avait connue à Bourglinster. Cette fois, Sofia Aouine est venue au Luxembourg mettre un point final à un livre rédigé pendant un an en Bretagne. Les résidences pour elle, c’est toujours s’offrir le luxe, impayable à Paris, de disposer d’un espace de travail à l’extérieur de son domicile, qui lui permet de „couper la fiction de la réalité, le monde du travail de la vie privée“. A Esch, elle n’en perd ni le cadre urbain ni l’épaisseur historique qui fertilisent son imagination. „J’arrive à écrire dans les villes, dans les endroits où il y a eu des histoires, souvent assez mouvementées comme dans ces anciens abattoirs. Je trouve cela passionnant d’être dans des lieux qui ne sont pas forcément proches de la fiction dans laquelle je suis en train de baigner, mais dans lesquels il y a eu des remous de l’histoire.“
Certes, Esch-sur-Alzette pourrait être au Luxembourg, ce que la Goutte d’or est à Paris en termes de problèmes sociaux et des résiliences auxquels ceux-ci permettent d’éclore. „On est dans un endroit qui a vu défiler toutes les classes populaires d’une ville, qui a assisté à son déclassement, à sa désindustrialisation, et où en même temps se mélangent les cultures et les langues.“ Mais pour son deuxième roman, elle a décidé de s’éloigner de son quartier d’origine, pour se plonger dans une autre ville française. Elle quitte la peau d’un adolescent de 13 ans pour celle d’un narrateur omniscient, sans religion, ni sexe, ni couleur de peau. Le thème qu’elle a décidé d’aborder était cependant déjà présent dans „Rhapsodie des oubliés“, sous la forme d’un texte sensuel publié anonymement en ligne par une fille voilée. Il s’agit de sonder ce qu’internet et les réseaux sociaux font aux personnes. Elle n’en aura pas dit beaucoup plus.
Ce livre contiendra moins d’Esch que le premier contenait de Bourglinster. Par contre, si sa carrière venait à prendre un nouveau tour avec l’ouvrage achevé à la KuFa et qu’elle en arrivait un jour à se prêter à l’exercice purement autobiographique, elle ne manquerait pas d’évoquer ce Luxembourg dont elle est désormais bonne connaisseuse et où elle aura écrit et lu ses deux premières œuvres. „Le Luxembourg fait partie de la genèse de mes bouquins.“
- Un livre sur le colonialisme récompensé – Le choix de l’audace - 14. November 2024.
- Trois femmes qui peuvent toujours rêver: „La ville ouverte“ - 24. Oktober 2024.
- Une maison à la superficie inconnue: Les assises sectorielles annoncent de grands débats à venir - 24. Oktober 2024.
Sie müssen angemeldet sein um kommentieren zu können.
Melden sie sich an
Registrieren Sie sich kostenlos