Mudam / Zoe Leonard le long du Rio Bravo
La photographe Zoe Leonard suit sur 2.000 kilomètres la trace du fleuve là où il fait frontière entre Mexique et Etats-Unis. En traquant le non-spectaculaire, elle brise les images stéréotypées de la frontière et rappelle son fort degré de mouvance.
Zoe Leonard s’était rendue célèbre du grand public, en 1992, à Kassel, où cette féministe, alors trentenaire, avait remplacé des œuvres d’hommes par des photos en gros plans de sexe féminin, pour dénoncer la femme vue uniquement comme objet de contemplation et non comme être agissant. Entre 1998 et 2009, elle signait ce qui reste alors sa grande œuvre: le projet Analogue. Celui-ci consistait à documenter la disparition des petites boutiques d’un quartier new-yorkais en cours de gentrification. Elle y suivait également les produits vendus dans les grandes chaînes de magasin qui les supplantaient, depuis leur lieu de production jusqu’à leurs lieux de vente, puis de revente, et dessinait ainsi un portrait de la globalisation en cours comme de ses effets sur le lien social. Ce faisant, elle s’inspirait notamment du travail d’Eugène Atget qui, à la fin du XIXe siècle, avait réalisé un inventaire du Paris menacé par l’urbanisme.
Le travail qui est donné à voir jusqu’au 6 juin 2022 au Mudam est la deuxième œuvre la plus importante de la carrière de l’artiste new-yorkaise désormais âgée de 61 ans. À partir de 2016, et l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, elle a entrepris de documenter une des obsessions du candidat populiste, à savoir la frontière avec le Mexique, le long des 2.000 kilomètres durant lesquels le fleuve Rio Bravo (Rio Grande pour les Américains) fait „oeuvre“ de frontière, souvent doublée de barrières: entre la ville mexicaine de Ciudad Juárez (et sa jumelle El Paso, de l’autre côté de la frontière) jusqu’au golfe du Mexique.
„Non-spectaculaire“
De cette aventure, Zoe Leonard a tiré 450 clichés. Pour l’exposition „Al Rio/To the river“ au Mudam, elle en a sélectionné 295. Le parcours qui va en serpentant à travers les deux grandes salles du premier étage a été créé sur mesure. La hauteur des photos et des murs blancs sur lesquelles elles sont accrochées, comme leur espacement, ont été pensés en collaboration entre un designer de Madrid et l’artiste.
Ce qui ressort de ce travail, c’est l’impossibilité à dresser un mur étanche à proximité d’un fleuve. D’abord parce qu’il y a des réalités économiques. Et la liberté de circulation des marchandises autorise ce que l’objectif de limiter la circulation des personnes ne devrait pas permettre. C’est la surveillance policière qui doit conjuguer les deux. Les séquences de photos qui continuent l’exposition sont jalonnées des passages et des contrôles opérés par la „border patrol“, de ses techniques de repérage des traces laissées par les migrants, de ses institutions de rétention et de tous les moyens de transport qu’ils utilisent pour empêcher les passages clandestins.
Une frontière, c’est aussi une distance à couvrir, une géologie et un tracé variables. „La nature changeante du fleuve – qui déborde périodiquement, change de cours et creuse de nouveaux sillons –, va à l’encontre de la fonction politique qu’il est censé remplir“, commente l’artiste. Là où le Rio Bravo se resserre et que sa vallée s’encaisse, Zoe Leonard saisit de magnifiques paysages d’un cavalier et son cheval pataugeant dans le fleuve, une image de liberté, un souffle dans l’exposition. L’artiste brise ainsi les stéréotypes en prenant à rebours l’art de la photographie tel que la majorité de ses collègues le pratiquent. „Zoe Leonard cherche à déjouer l’idée de l’instant décisif en s’intéressant à ce qui est non-spectaculaire“, explique le curateur de l’exposition, Christophe Gallois. Elle nous montre comment les aménagements de la frontière ont créé aussi de nouveaux lieux de rencontres et de nouvelles zones de divertissement. Et elle rappelle la subjectivité du regard que l’on peut poser sur une frontière, en renonçant à couper le cadre négatif des photos qu’elle expose.
Zoe Leonard se balade ainsi de part et d’autre du fleuve, des deux pays, met du mouvement et multiplie les perspectives en laissant au visiteur le soin de faire sa propre lecture du travail qu’il a sous les yeux. À la fin de l’exposition, à l’embouchure où le fleuve se jette dans le Golfe du Mexique, elle ne le laisse toutefois pas se laisser adoucir par le calme des scènes présentées qui tranche avec la tension des clichés précédents. Elle le fait passer dans une dernière salle sous forme de rappel à l’ordre, où l’on voit des images de vidéo-surveillance surprenant des gens marchant le long de la frontière.
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