Exposition / „After laughter comes tears“ au Mudam: Ode à la performance
Durant trois mois, les deux salles du rez-de-chaussée et le hall du Mudam accueillent une exposition consacrée à un mode de création prisée aussi bien des artistes que du public, pour les émotions qu’il exprime et fait naître, la performance.
Lorsqu’elle est arrivée à la tête du Musée d’art moderne Grand-Duc Jean (Mudam) au printemps 2022, Bettina Steinbrügge avait souligné la pertinence de s’intéresser aux performances comme avait commencé à le faire l’établissement avant son arrivée. En octobre 2021, ce mode de création avait eu droit pour la première fois à un programme de deux semaines. En consacrant une de ses expositions aux performances, soit trois mois sur le devant de la scène, le Mudam passe à la vitesse supérieure. Il faut dire qu’un tel projet avait le don de poser des questions intéressantes et de placer le Mudam à la pointe de la réflexion sur les manières diverses et variées de faire entrer ce mode de création dans le musée. D’ailleurs, le défi avait plus enthousiasmé les collaborateurs du musée que les journalistes, la visite de presse étant inhabituellement fréquentée par les collaborateurs du Mudam, rendus curieux par la réponse apportée à l’épineuse équation.
„C’est un show très spécial, un peu expérimental“, expliquait Bettina Steinbrügge, en préambule. Elle soulignait à quel point il était urgent de faire entrer les performances dans les musées, puisque c’est un mode d’expression prisé aussi bien des artistes que du public. C’est peut-être, disait-elle, parce que les performances sont plus aptes à évoquer les émotions humaines dans un monde à fleur de peau. Les performances exposées confrontent le spectateur à la profondeur de l’expérience contemporaine, à nos propres émotions et le mènent à admettre notre propre vulnérabilité. „C’est un risque pour le musée, car les gens veulent être loin de leur vie quotidienne“, observe la directrice du Mudam.
Les deux commissaires, Clémentine Proby et Joel Valabrega, ont fait le choix audacieux de lui donner le titre du tube soul des années 60 qu’est „After laughter comes tears“ de Wendi Rene. Le simple fait de pouvoir entendre ce morceau sublime et addictif retentir entre les différents actes que compte l’exposition pourrait suffire aux mélomanes à faire de cette dernière une réussite. Néanmoins, c’est pour l’ambivalence des sentiments, du rire aux larmes, exprimée dans la chanson qui fait écho aux impressions transmises par l’exposition, qu’elle a été retenue.
Ironie et drame en quatre actes
Au départ, il y a le sentiment d’inertie et de colère. „Ce phénomène se nourrit des angoisses d’une génération confrontée à la crise climatique, aux conséquences du démantèlement de l’État-providence sous la pression des politiques néolibérales et des parties d’extrême droite à travers le monde“, lit-on dans le carnet de l’exposition. Mais il y a aussi, pour évoquer la situation, un recours à l’humour, trait caractéristique de la culture internet contemporaine. „Il y a de l’ironie et du drame, de l’humour et une situation tragique. C’est l’humeur de notre génération très informée et en proie à la désillusion“, explique Joel Valabrega.
Les deux commissaires ont pensé l’exposition et sa scénographie comme des éléments eux-mêmes performatifs. Elles reprennent le langage du théâtre en proposant un prologue – qui correspond à l’arrivée dans le hall qui réunit les deux ailes d’exposition – quatre actes – aux titres empruntés à des proverbes ou chansons – et un épilogue. On découvre les œuvres de 34 artistes établis et émergents. L’acte 1, baptisé „Sick Sad World“, renvoie à l’époque des médias de masse, des fake news et des nouvelles narrations. Dans la pièce „Look!“, Dorian Sari tente de rendre attentif la caméra à un problème situé hors champ qu’il montre du doigt en disant „Look!“. Mais il reste l’unique sujet de la caméra pendant les trois minutes trente du film. On assiste au spectacle de sa fatigue, à force de répéter la même mise en garde. Ce faisant, il veut nous rendre attentifs à la hiérarchie de la douleur, concept développé par la philosophe allemande Carolin Emcke, pour dire qu’un problème social n’est pas pris au sérieux, tant que son impact sur l’économie n’est pas clairement établi.
Entre le premier et le deuxième acte, qui se déroulent dans une salle à la moquette rose, la musique de Wendy Rene est d’abord diffusée, avant que de nouvelles vidéos et installations ne s’activent. Apparaît notamment la vidéo de l’artiste Artur Zmijewski, tournée en 1995 avec son homologue Katarzyna Kozyra, dans lequel une femme et un homme explorent leurs corps, sans mouvements genrés ni sexualisés. „Le sentiment d’absurdité qu’inspirent leurs actions tient au fait que les corps deviennent des territoires inconnus dès lors qu’ils sont soustraits aux modes d’interaction normatifs“, lit-on dans la brochure qui accompagne l’exposition.
Dans l’acte 3 (Aide-toi, le ciel t’aidera), qui se déroule dans l’autre salle, à la moquette jaune, on retrouve Christian Jankowski, qui avait fait parler de lui au début des années 90 avec la vidéo „The Hunt“ dans laquelle on le voyait chasser de la nourriture dans un magasin à l’aide d’un arc et de flèches. Ici, dans „Rooftop Routine“ (2007), il a demandé à une vingtaine de personnes de faire du hula hoop sur les toits de Chinatown à New York, comme une manière de briser l’anonymat des grandes villes.
L’épilogue, pour sa part, consiste dans les bannières telles „Save the planet, kill yourself“, slogans créés dans une stratégie de transgression par l’absurde – empruntée aux dadaïstes – développée par Chris Korda dans les années 90 en fondant „l’Église de l’euthanasie“. Dans cette exposition, le rire n’est jamais loin des pleurs.
Au Mudam à Luxembourg, jusqu’au 7 janvier 2024. Programme: www.mudam.lu
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