Exposition / De terre, d’eau et de feu: L’art unique d’Arthur Unger au Nationalmusée
Après avoir mis en valeur Robert Brandy et Gast Michels notamment, le „Nationalmusée um Fëschmaart“ consacre une nouvelle rétrospective à un artiste luxembourgeois, en la personne de l’artiste alchimiste Arthur Unger.
Comment ne pas faire des tableaux qui inspirent la destruction quand on travaille avec le feu? Avec „Tempest“, installée à l’entrée de l’exposition, on croit assister à une scène de guerre en rase campagne, avec des terres en proie aux flammes et un monceau de cadavres au premier plan. Mais, dès qu’on rentre dans la salle contigüe, la première des salles de l’exposition The Alchemist – Selected works by Arthur Unger, c’est plutôt aux sagesses ancestrales auxquelles on est surprenamment confronté. Là, à l’endroit où il y a peu de temps étaient suspendues des œuvres de Gast Michels qui puisaient dans l’imaginaire du Néolithique, on se croirait un instant face aux représentations ce que nos aïeux à cette époque auraient pu arracher d’artistique aux éléments s’ils avaient disposé d’un chalumeau. Les œuvres sont organiques et charnelles, inspirées d’ethnies africaines, comme les titres des œuvres le laissent transparaître. Y figure le fascinant autoportrait rouge écarlate de l’artiste intitulé Mubunga.
Entre spontanéité et précision
Le cas d’Arthur Unger aurait pu figurer dans l’exposition dédiée au colonialisme luxembourgeois en ces mêmes lieux. Car cette passion pour l’Afrique centrale et l’Afrique occidentale, c’est notamment au Congo belge que le natif de Luxembourg l’a cultivée. En 1956, à 24 ans, il fait l’école coloniale de Bruxelles, puis entre dans l’administration congolaise. Il vit au contact des tribus Lunda et Baluba aux frontières des provinces du Katanga et du Kasai. A l’indépendance en 1960, il rentre à Luxembourg avant de s’installer trois ans plus tard à Paris où il s’intéresse à l’art contemporain. Il s’adonne d’abord à la gouache et à l’encre de Chine, ce qui lui vaut une première exposition à la galerie parisienne Transposition à l’automne 1967. Le critique d’art Lucien Kayser fait le déplacement et décrit „un monde onirique qui oscille entre deux pôles“, l’innocence et l’angoisse.
Il est encore davantage question de dualités lorsqu’en 1969, il ajoute à l’encre de Chine une autre matière par laquelle s’exprimer: le cuivre électrolytique. Il a découvert, par l’intermédiaire d’un ami, sa réaction au contact du feu. Il décide de l’appliquer à l’art et va aider une entreprise de Wiltz à produire les feuilles de cuivre électrolytique dont il se servirait. La première partie de l’exposition au Musée national d’archéologie, d’histoire et d’art (MNAHA), rebaptisé depuis peu „Nationalmusée um Fëschmaart“, montre les différentes étapes du déploiement de cette technique. L’artiste s’essaie aux grands formats avec des œuvres qui semblent de prime abord spontanées, mais qui doivent en réalité aussi beaucoup au travail postérieur à l’usage du feu. Après avoir créé une peinture à l’encre sur la feuille de cuivre, plongée ensuite dans un bain d’acide ou de sel, il fait „chanter le cuivre“ comme il dit au moyen du feu qui détermine les nuances de couleur, puis il retravaille le tout avec la couleur. Quand on regarde le tableau dans le détail, on observe les coups de pinceau et touches de couleur qu’il apporte ensuite. Il ‚s’efforce de maintenir un équilibre délicat entre spontanéité et précision’, résumé la curatrice, Lis Hausemer, dans le succinct catalogue d’exposition, avant de citer les mots d’un critique d’art qui, en 1974, vit dans son œuvre ‚à la fois une explosion et une construction, une antithèse entre une structure et une libération extrême’. Des œuvres de plus petit format, plus ésotériques sinon mystiques, qui auraient pu aussi servir à illustrer La divine Comédie, ferment la première partie de l’exposition.
La découverte du cuivre électrolytique aura marqué une grande étape dans la carrière d’Arthur Unger. C’est l’année après cette découverte qu’il rencontre dans sa galerie le critique d’art français Michel Tapié, premier à avoir exposé Sidney Pollock en France. Celui-ci a d’ailleurs théorisé en 1952 „l’art informel“ que définissent trois critères: l’expressivité de l’œuvre, son ambiguïté et le travail de la matière. Les travaux d’Arthur Unger entrent dans cette catégorie. Michel Tapié est aussi bien saisi par ses premiers pyrochimiogrammes comme Unger nomme le résultat de l’interaction entre cuivre, encre et feu, que par ses psychogrammes, des dessins à l’encre de Chine qui reprennent des éléments de calligraphie et qui expriment son état intérieur. Michel Tapié lui indique la voix vers le taoïsme, voyant des liens dans les deux éléments, feu et eau, qu’Arthur Unger manipule. Désormais, l’artiste considèrera ces dessins à l’encre de Chine comme son yin et les peintures au feu comme son yang, ainsi qu’il l’a confié à la curatrice de l’exposition Lis Hausemer, dans un entretien publié dans Museomag.
Tapié et taoïsme
Tapié est donc aussi saisi par l’usage de l’art de la calligraphie, „phénomène ultra rare et isolé“ en Occident, la rareté d’un tel cas constituant une aventure exceptionnelle au sein de l’actuel devenir de l’art et de l’esthétique“, écrit-il en 1980. On lit ces mots dans un texte original proposé aux visiteurs de l’exposition, avant la découverte de la deuxième salle, qui passe justement en revue les dessins à l’encre de Chine. Ces derniers sont fortement influencés par ses voyages en Asie, tandis que le travail avec le feu est davantage lié à ses nombreux voyages en Afrique.
Au début des années 80, Michel Tapié, proche de la retraite, présente Arthur Unger au fondateur de la galerie d’art International à Paris, Ante Glibota qui prend son relais pour faire connaître l’artiste, lui consacrant deux monographies et organisant de nombreuses expositions en Chine et en Europe, dans lesquels Arthur Unger côtoiera de grands noms de l’histoire de l’art.
En consacrant des expositions monographiques à des artistes nationaux, le Nationalmusée um Fëschmaart entend soutenir la scène locale, mais aussi contribuer à l’écriture de l’histoire de l’art au Luxembourg. Ce qu’a à raconter l’œuvre d’Arthur Unger, Lis Hausemer le dit en ces termes: „A une époque où le monde de l’art contemporain est marqué par une attention croissante à la valeur commerciale et aux influences extérieures, l’engagement indéfectible d’Unger à créer des œuvres authentiques et originales est un rappel rafraîchissant du pouvoir de l’expression personnelle dans l’art.“
Infos
L’exposition „The Alchemist – Selected works by Arthur Unger“ est visible au „Nationalmusée um Fëschmaart“ jusqu’au 15 octobre 2023. Un riche programme accompagne l’exposition, à commencer par une démonstration de la technique de pyrochimiogrammes par Arthur Unger lui-même (le 20 mai à 13 h et 15 h sur le parvis du musée) et une discussion le 1er juin entre ce dernier et la curatrice Lis Hausemer. Programme complet: www.nationalmusee.lu
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