Portrait de Lindingre / Grains de folie: le dessinateur et auteur en résidence d’écriture à la Kulturfabrik
Ses dessins paraissent dans „Le Canard enchaîné“ ou encore „L’Est Républicain“, il écrit des sketches pour l’émission burlesque „Groland“, … le dessinateur et auteur Yan Lindingre a passé deux semaines en résidence d’écriture à la Kulturfabrik.
Qu’il soit natif de la ville minière de Jarny aurait dû mettre la puce à l’oreille. Qu’il soit en quête d’énergumènes divers et variés aurait pu mettre sur la piste. Sous un nom alsacien, probablement francisé par mégarde dans un bureau d’état civil, Yan Lindingre trimballe bel et bien une culture italienne, héritée de grands-parents venus travailler dans ce bassin minier dont Esch-sur-Alzette formait la limite septentrionale. Et le projet qui le mène en résidence à la Kulturfabrik pourrait avoir quelque chose à voir avec ces grains de folie que la culture et le cinéma transalpins savent si bien faire germer. „Dans le cinéma italien populaire, dans ‚Le Pigeon‘ ou ‚Affreux, sales et méchants‘, il y a toujours des scènes dans des milieux très populaires avec des petits fous“, explique le dessinateur et scénariste. „Et chez les Romagnols, il y a beaucoup d’histoires sur le petit fou du village qui n’est pas forcément à son désavantage“, poursuit-il. „On aime bien les grains de folie.“
Dans le projet „Les Zaidants“, Lindingre veut partager les petites histoires de personnes borderline qu’il a récoltées aussi bien au comptoir comme auprès de personnes travaillant dans le milieu social, entre les années 90 – quand il était étudiant et qu’il sillonnait la vallée de la Fensch, découvrant des „personnages extraordinaires“ qui nourriraient ses bandes dessinées futures – et sa résidence eschoise, durant laquelle il a mené des entretiens. C’est une discussion avec une amie assistante sociale qui tenait un journal sur ses rencontres qui lui en a donné l’idée. Elle lui avait notamment raconté cette histoire d’une dame qui tient un poulailler dans la chambre de sa fille. Lindingre ne sait pas encore quelle forme prendra „Les Zaidants“. Il n’a pas encore démarché d’éditeur. L’idée d’une vidéo animée est dans l’air. Non pas qu’il tienne à illustrer ses textes. Mais pour les éditeurs, c’est une tentation de faire appel à ses talents d’illustrateur. Ce fut notamment le cas pour sa série en cours „Gros Robert“, dans laquelle il propose un dictionnaire de mots martyrisés, qu’il voit comme des „petites formes de folies“, et dont les dernières entrées sont „surentêtement“ et „acide folklorique“.
„C’est flatteur“
La résidence de deux semaines à la Kulturfabrik est une première. C’est aussi une reconnaissance. „C’est flatteur, qu’il y ait un intérêt pour mon travail“, confie Lindingre. S’il est auteur d’une trentaine de bandes dessinées comme scénariste ou scénariste-dessinateur, sa vie d’auteur de „vrais livres“, comme il le dit, „est tout nouveau“. L’écriture de textes en prose est la dernière d’une série de pratiques cultivées prudemment et dans l’ordre, les unes après les autres. L’histoire commence par un refus. À la sortie des Beaux-Arts, Lindingre a d’abord renoncé au dessin de presse et bifurqué dans le graphisme. Il est d’abord devenu son propre patron pendant quatre ans avant de partir travailler, entre 1996 et 2000, à Schifflange, où il s’occupa de la communication d’Objectif plein emploi, aux côtés de Romain Biever, sorti des Beaux-Arts comme lui.
Puis, il est parti enseigner dans l’école qu’il avait quitté huit ans plus tôt, a retrouvé son professeur qui lui avait conseillé le dessin de presse. Cette fois, il était aussi entouré d’un collègue prolifique, le dessinateur de Villerupt, Baru. Il était cerné, en somme, et n’avait plus d’autre choix que de tenter sa chance dans le dessin. Il a d’abord réalisé des images uniques, qui ont tapé dans l’œil des magazines français Fluide Glacial et L’écho des savanes. Ce dernier lui a demandé de s’essayer à la bande dessinée. Là aussi, cela a pris. „Petit à petit, je me suis mis dans les pantoufles d’un dessinateur de BD“, explique-t-il.
La prochaine étape intervient quand un dessinateur à succès, Manu Larcenet, lui demande de travailler avec lui en 2006, sur la série „Chez Francisque“. Lindingre y apprend à complexifier ses personnages et à sélectionner ses dessins. Le succès de la série l’impose comme scénariste, tandis que „Titine au bistrot“ le fait connaître encore davantage comme dessinateur-scénariste. Cette évolution le mène, en 2012, à devenir rédacteur en chef de Fluide Glacial. C’est alors au texte pur qu’il s’initie, à l’édito hebdomadaire, tandis qu’il laisse la bande dessinée de côté. La transition, là aussi, est „compliquée“.
Cette période ouvre une nouvelle organisation dans ses pratiques. A partir de 2015, il commence à dessiner pour Le Canard enchaîné, dont il a dénoncé les conditions de travail, puis pour L’Est Républicain, et à écrire des sketches pour „Groland“, parodie de journal télévisé déjantée et légendaire de la chaîne Canal +. Après son départ en 2018 du magazine, „mon travail de bande dessinée s’est séparé en deux: dessin pour la presse d’un côté et scénarios pour la télé de l’autre“, explique l’auteur. „Entre les deux, j’ai commencé à faire des bouquins de texte.“ Il y a une continuité entre bande dessinée et récit. „J’ai une manière d’écrire assez proche que pour la bande dessinée, pour ce qui est des dialogues“, dit-il. Mais, il y a aussi une différence: les éléments descriptifs, jadis dessinés, doivent désormais être écrits.
„A côté de la plaque“
Si c’est en quelque sorte le renoncement au dessin qui lui a fait découvrir Schifflange, l’abandon de la bande dessinée l’a ramené à Esch-sur-Alzette. Le contact pour une résidence s’est noué lors d’une première apparition, il y a un an. Dans le cadre de „Word in progress“, il a lu des extraits de son précédent projet. Baptisé „Mon pire client“, basé sur des entretiens avec des gens de différents corps de métier, il y documentait „l’imagination incroyable“ des clients pour enquiquiner l’artisan.
Au fil de ces expériences, Lindingre a appris à connaître le Luxembourg, ou en tout cas celui qui épouse les contours du bassin minier. À son arrivée en 1996, „ça me semblait surréaliste de voir qu’une boîte d’économie solidaire se montait au Luxembourg“, confie-t-il. „Finalement, ça ne l’était pas. J’ai commencé à découvrir l’autre Luxembourg. Je n’ai jamais bossé avec le Luxembourg du business. Je n’ai connu le Luxembourg que sous l’angle des travailleurs sociaux et d’un lieu alternatif comme la KuFa“, observe-t-il. Le Luxembourg du business, il l’a néanmoins abordé comme coscénariste, avec Denis Robert, dans „L’affaire des affaires“, qui retrace en bande dessinée l’enquête du journaliste lorrain sur Clearstream et ses conséquences. Une histoire qui n’est qu’une partie du Luxembourg et qui aurait pu se passer en Belgique comme à Jersey. „Le Luxembourg n’est pas qu’un paradis fiscal. C’est un vrai pays avec des vrais gens, et des gens à côté de la plaque, un peu largués.“ Ce sont ceux qui auront une place dans son livre made in Luxembourg.
Info
Pour la sortie de résidence de Lindingre, une soirée lecture-rencontre est organisée ce soir à 20 heures. L’auteur proposera au public des lectures de son travail d’écriture en cours et s’échangera avec Romain Biever, membre fondateur d’Objectif plein emploi. La rencontre est modérée par Serge Basso de March. Entrée libre.
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