Konschthal / „Green Machine – Die Dinge der Anderen“: Ben Greber fige le temps qui passe
La Konschthal consacre une rétrospective à l’artiste allemand Ben Greber. Préoccupé par le temps qui passe, il sauve de l’oubli les machines anciennes qui nous entourent comme le passé trouble de sa famille.
La Konschthal, dans ses résidences comme dans ses expositions, cherche à promouvoir des artistes dont le travail résonne avec le passé industriel de la région. Dès lors que Charles Wennig est tombé sur l’œuvre de Ben Greber, rien ne pouvait vraiment faire obstacle à une collaboration. Ben Greber est hanté par le temps qui passe, les paysages qui changent, et les objets, machines ou infrastructures qui sont encore parmi nous, mais dont l’ancienne fonction n’apparaît plus clairement. Dans une démarche proche de celle de l’archéologue, Ben Greber collecte ou reproduit ces témoins silencieux d’un passé en voie de disparation, pour en faire des symboles sacrés, à la manière de ce que l’Antiquité faisait des reliques de saints.
Dans l’exposition „Green Machine – Die Dinge der Anderen“, on découvre la manière dont ce souci personnel s’est décliné durant les différentes phases de la carrière de l’artiste originaire de Halle en Westphalie. Jusqu’en 2013, Ben Greber réalisait ce qu’il a appelé des „Prozessuale Skulpturen“, des sculptures figuratives. Il ne s’intéresse pas seulement à l’objet – un radiateur ou une caisse enregistreuse par exemple – mais aussi à son utilité, à l’invisibilité des choses, des processus, au sujet desquels on a tendance à ne pas s’interroger. „Esch est un bon exemple de ville industrielle où on voyait comment les choses se faisaient, mais on ne le voit plus“, commente Charles Wennig, commissaire de l’exposition.
Ben Greber s’est ensuite intéressé à la dématérialisation des objets, leur transformation, ou leur disparition pure et simple. Il s’est mis à retravailler d’anciennes pièces. Il a réalisé à la résine acrylique des moulages des creux d’une sculpture qu’il avait façonnée en 2007 et baptisée „Windmühle aus dem südlichen Teil des Jenseits“ pour en faire „Alles steuert der Blitz“. Il a aussi archivé, en la démontant et en la rangeant dans des rayonnages froids, les vestiges d’une sculpture représentant un train sibérien. À côté, on retrouve la reproduction d’une voie ferrée abandonnée repérée par satellite. S’il a rencontré des gens qui ont des histoires liées à cette voie – et s’il déplore la disparition des choses –, il n’a pas fixé pour autant ces mémoires.
Ben Greber s’est aussi intéressé, de concert avec l’artiste néerlandais Bram Kuypers, à des infrastructures ferroviaires obsolètes, parce qu’elles n’ont jamais servi qu’à réaliser des tests. Dans les sites du Transrapid allemand des années 70 à Lathen dans le Schleswig-Holstein, ou de l’Aérotrain français des années 50 à Châteauneuf-sur-Loire, il voit des métaphores de la croyance dans l’innovation technologique et de l’imprévisibilité de l’avenir. Par des interventions performatives et le recueil de vestiges, il entend depuis ces lieux ériger un monument pour réfléchir au futur.
Passé troublant
Quand on lit dans la présentation de l’artiste que, selon lui, le commun des mortels ignore les fonctions que les machines ont pu remplir autrefois, on pourrait prêter à Ben Greber l’idée qu’il en est aussi souvent des hommes. En effet, lorsqu’on arrive à la plus haute des deux plate-formes qu’occupe Ben Greber à la Konschthal, on cerne tout à coup différemment, voire mieux, son intérêt pour ce qui s’efface du paysage, le temps qui passe, l’encore-visible et le déjà-invisible, mais aussi pour les trains. Si le lien avec le paysage industriel, l’attrait pour les machines et leur représentation a quelque chose d’universel, ce travail est plus spécifiquement allemand. Dans deux pièces exiguës qui reproduisent l’appartement avec une chambre où a grandi son père, à la sortie de la Deuxième guerre mondiale, dans une ville de Wuppertal dévastée par les bombes, il interroge le passé de sa famille. Dans la pièce qui reprend les mesures de la cuisine paternelle, il a reproduit, à partir de photos, la maquette ferroviaire et rétractable par laquelle son grand-père symboliquement reconstruisait le monde.
Mais, cette reproduction est aussi marquée par le changement d’époque. C’est à un exercice de vérité que se livre Ben Greber. Aux lendemains qui chantent que s’imaginait le grand-père, ce sont les veilles qui déchantent qui y prennent toute la place. La maquette est si décharnée qu’on croirait une gare d’arrivée à un camp de concentration. Ben Greber y a introduit une reproduction du bunker devant lequel son arrière-grand-père est mort sous les bombardements alliés, lui qui était engagé à la fois dans les chemins de fer et le national-socialisme. Il rompt ce faisant avec le silence que ses grands-parents opposaient aux questions de son propre père sur le passé de l’aïeul nazi. Dans la pièce attenante est accroché le tableau sur lequel son père a peint ce dernier, une lampe à la main, devant le bunker qui fut son tombeau. À côté, il y a l’esquisse d’une autre œuvre plus ancienne de son père, que Ben Greber a toujours vu trôner dans la vieille ferme retapée par ses parents sans en comprendre le sens. Sa mère y est les pieds dans l’eau dans une chambre à gaz. „C’est l’histoire de ma famille et de mon pays qui m’ont amené ici“, conclut l’artiste, mélancolique, après ses explications.
À partir de 2018, Ben Greber est donc revenu à la représentation de l’objet, mais avec un souci de sa présentation. Il a appelé „évacuations“ des séries de moulages d’objets présentées sur des architectures de présentation. Et c’est une sorte de grande „évacuation“ qu’il a réalisée dans le cadre d’une résidence à la Bridderhaus qui ferme cette rétrospective. Dans „Umspannwerk – Das große Danach“, pièce coproduite avec la Konschthal – qui édite aussi un livre sur l’artiste écrit par Raimund Stecker –, Ben Greber questionne son „anhistoricité“, son impression d’être à côté de l’histoire, lui qui est né en 1979. Il dit avoir évolué dans un monde dont le fonctionnement est insaisissable, aux processus socio-économiques trop complexes. Il a vécu la pandémie comme une première césure majeure dans sa vie. Alors, dans „Das große Danach“, il invente „une machine à memento mori“, cette pensée de la finitude de l’être humain. Il s’agit d’un collage avec des socles vides pour dire la disparition et d’autres avec des objets obsolescents comme une platine vinyle. Des bougies consumées et des vestiges de fête disent le temps qui passe. Et entre les lignes, la pièce évoque aussi „la plus grande des césures historiques“, la dictature nazie.
Jusqu’au 25 février 2024
Horaires et programmes: konschthal.lu
- Un livre sur le colonialisme récompensé – Le choix de l’audace - 14. November 2024.
- Trois femmes qui peuvent toujours rêver: „La ville ouverte“ - 24. Oktober 2024.
- Une maison à la superficie inconnue: Les assises sectorielles annoncent de grands débats à venir - 24. Oktober 2024.
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