Exposition / Gros plan sur les cartes-photos à La Conserverie à Metz
C’est une alternative à la destruction ou à la dispersion des albums de famille. „La Conserverie, un lieu d’archives“ à Metz accueille les photos des particuliers et mène un travail créatif et poétique pour faire vivre ses collections et le regard sur le monde qu’elles véhiculent. Incontournable.
Il est un lieu d’exposition à Metz, unique dans la Grande Région sinon en Europe. Loin de la démesure du Centre Pompidou, dans un espace qui conviendrait bien à un antiquaire, à quelques pas des arcades et des terrasses de la place Saint-Louis, cet endroit se nomme la Conserverie. Au nom est accolé sa raison d’être: „un lieu d’archives“. À ne pas confondre avec les Archives, comme il en existe des communales, départementales et nationales en France. C’est un lieu, un refuge, qui abrite un type de documents qui a la particularité de ne pas intéresser les institutions de conservation, mais d’attirer une myriade de collectionneurs – quand ils n’ont pas été jetés à la poubelle. Il s’agit des photos de famille anciennes.
Derrière cette démarche, désormais reconnue et soutenue par les autorités locales, il y a une femme, artiste photographe, Anne Delrez, qui depuis 2011, inventorie, classe et indexe en ces lieux les photos de famille qu’on lui confie. Les photos sont scannées et partagées en ligne avec les membres de l’association. Mais ce n’est pas tout. La Conserverie est devenue un lieu qui catalyse et expérimente toutes les manières qui existent d’exploiter ces documents, ces témoins d’époque, d’un point de vue artistique, pédagogique ou historique. Elle en ajoute aussi, créant notamment des exercices ludiques pour faire entrer les élèves en contact avec la matérialité de ces photos. La Conserverie est un lieu où l’on porte un regard bienveillant, doux et poétique, indépendamment de critères esthétiques, sur ces documents qui ne sont pas toujours localisés ni localisables. C’est un lieu de conservation, d’exposition, mais aussi d’édition, avec un grand soin apporté à l’objet-livre, tant dans son contenu que dans son contenant.
Un phénomène ambulant
De multiples narrations sont possibles avec ces photos qui exercent une fascination justement parce qu’on ne sait pas tout d’elles. Dans un article qu’elle a consacré à leur place dans l’histoire de l’art, la chercheuse britannique Anne McCauley remarquait en effet que „l’impossibilité absolue de revenir un jour à la signification entière de l’instant photographique reste au cœur de la fascination exercée par les épaves anonymes de la photographie“.
Anonyme est le terme que privilégie Emmanuelle Fructus pour désigner les photographies qu’elle collectionne, puis revend au compte-gouttes à des artistes ou des privés. Cela lui permet d’y intégrer aussi bien les photos d’amateurs, que de professionnels ou d’artistes qui ont pour point commun qu’on ne connaît plus leur identité. Elle leur a bâti en 2006 un refuge à Paris, baptisé „Un livre – Une image“, dans lequel toutes sont traitées sur un pied d’égalité. C’est la fréquentation quotidienne de ces photos qui lui a permis d’identifier une typologie particulière de photos anonymes, à savoir les cartes-photos, qui sont au cœur de l’exposition „Garde-corps“ que leur consacre la Conserverie (jusqu’au 4 mai). Ce sont des œuvres de photographes ambulants, qui, entre 1880 et 1930, allaient à la rencontre d’habitants des faubourgs, des banlieues et de la campagne, qui n’avaient pas d’accès direct à un studio de photographie. Ce photographe, souvent de même condition qu’eux, suscitait chez eux le désir d’être photographié. Il développait ensuite ces photos sous forme de cartes postales, que l’on conservait à la maison ou que l’on envoyait à des proches. Cette pratique est le reflet d’une époque, celle de l’explosion des services postaux (jusqu’à quatre relevés par jour), d’un tarif préférentiel pour les envois et le bas coût de l’impression de carte postale. C’est une „personnalisation de la carte postale“ qui est proposée par les photographes ambulants. Cette dernière est alors d’un usage quotidien. Elle sert à se donner des nouvelles, comme à se donner rendez-vous.
Dans son corpus, Emmanuelle Fructus a isolé un motif particulier, celui du logement, pour les besoins de l’exposition. La maison est un motif devant lequel on aime être pris en photo, comme le vélo à la même époque, comme, plus tard, la voiture ou la télévision. „Assurément, ils se mettent en scène, figés, mais vivants dans l’instant et pour le futur, afin que nous puissions les regarder“, écrit l’historien Bertrand Tillier dans le catalogue de l’exposition. „Comme s’ils savaient que ces images d’eux-mêmes leur suivraient et deviendraient in fine leur mausolée, tandis que leur identité serait perdue – surtout parce que ces images finiront par quitter les albums, les boîtes, les tiroirs ou les portefeuilles, où elles seront demeurées longtemps serrées et seulement compréhensibles des deux ou trois générations familiales qui les suivront immédiatement, avant de passer en d’autres mains …“
Emmanuelle Fructus souligne avec pertinence le rapport au collectif que racontent ces photos. „La personne paie et ce n’est pas grave pour elle si d’autres gens viennent se mettre à côté sur la photo. Aujourd’hui, ça nous serait insupportable“, relève-t-elle. „Ce rapport au collectif est un des points qui me touchent le plus dans cette collection.“
„La photographie est douée du pouvoir de rassembler les familles, les voisins ou les collègues qui, grâce à elle, vont se compter, faire communauté“, constate à son tour Bertrand Tillier. Souvent une flèche ou une croix renforcent encore cet effet de réel. La commissaire de l’exposition et directrice des lieux, Anne Delrez, relève d’ailleurs le rapport particulier et direct au quotidien qu’entretiennent ces cartes postales, quand on considère le texte qui les accompagne, qui a trait aussi bien à la santé qu’à la manière dont l’expéditeur commente son apparence au verso. Ces cartes peuvent être aussi considérées comme un „lexique de l’architecture modeste et de l’art des jardinets“, comme le décrit l’historien. On peut aussi, de manière plus ludique, considérer à quel endroit les timbres ont été collés, souvent l’endroit le moins signifiant de la carte.
„Sport de riche“
L’accrochage de l’exposition „Garde-corps“ est simple, comme les personnes qui figurent dessus. Les cartes-photos sont posées à plat sous des vitrines; on les regarde comme on consulte un album de famille. Ce n’est pas toujours le cas et ce n’est pas anodin. Cela relève d’une manière de considérer ces archives qui est chère à Emmanuelle Fructus et qu’elle voit menacée par certains collectionneurs qui font recette avec ces images, en tendant à se substituer aux auteurs. Ce faisant, ils opèrent un tri parmi les photos et délaissent celles qui n’ont pas la forme qu’ils recherchent. „La quête de l’insolite et de l’esthétique – autrement dit, le „petit“ chef-d’œuvre – constitue l’une des principales motivations, souvent au prix d’une réduction des usages à un registre formel“, déplore Emmanuelle Fructus, dans un article-manifeste sur le point d’être publié.
Emmanuelle Fructus a décidé de mettre ses photos aux enchères et de fermer boutique, pour réagir au développement similaire à l’art brut que subit la photo anonyme. „Cette photographie dite ‚pauvre’ est devenue, pour reprendre les termes d’un marchand de photographies anciennes, un ‚sport de riche’“, déplore-t-elle. Visiter et soutenir La Conserverie, c’est une manière de résister à cette tendance.
La Conserverie, un lieu d’archives: 8, rue de la petite boucherie à Metz. Ouvert du mercredi au samedi de 14.00 h à 18.00 h.
Participatif
Parmi les nombreuses idées autour de la photo anonyme développées par la Conserverie, il y a une exposition collective – généralement accompagnée d’une publication – qui chaque année fait appel au public pour rassembler des photos autour d’un thème. Cette année, pour la dixième du genre, le thème est „De l’air“. La Conserverie collecte des images indiquant la présence de l’air, qu’il fasse frémir une robe, pousse à porter la main au visage pour repousser des cheveux ou fasse vaciller les arbres et l’herbe. Les photos sont collectées jusqu’au 30 juin 2024 et l’exposition sera présentée à La Conserverie à partir du mois de novembre 2024.
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