Photographe et mère / Les instincts croisés de Cristina Dias De Magalhães
Dans les pas de ses filles jumelles, Cristina Dias De Magalhães a redécouvert le plaisir des petits choses, l’animalité et l’instinct. Elle leur consacre une série de diptyques par lequel elle partage sa fascination nouvelle pour la petite enfance.
Si les enfants en bas âge se passionnent tant pour les animaux, c’est sans doute parce qu’ils perçoivent dans leurs déplacements et leurs attitudes une force similaire à celle qui les gouverne. C’est l’instinct, celui qui permet la survie, dans les premières années si fragiles de la vie.
Cristina Dias De Magalhães était loin de ces considérations lorsqu’elle s’est fait connaître au début des années 2000 avec une drôle d’habitude, celle de photographier son dos. Il s’agissait d’une manière d’explorer son corps, son identité mais aussi l’histoire de l’art. Ce thème de recherche l’aura occupée longtemps. Il aura trouvé son aboutissement conceptuel dans un travail de thèse, „Vu(es) de dos“ (éditions Flammarion), dans lequel elle le présente comme le „rideau du monde où l’on se projette et que l’on habite“.
Il était encore présent en 2019 dans „Embody“, une exposition organisée durant le Mois européen de la photographie, dans laquelle elle ajoutait à ses photos de dos un nouveau niveau de lecture, autobiographique, en superposant ses clichés à des photos d’intérieurs ou de paysages qu’elle avait traversés. „C’était une manière de revaloriser ce que j’ai ressenti ou vécu à un moment donné“, dit-elle. Dans l’exposition „Instincts. Same but different“ qui se tient actuellement à la galerie Nei Liicht de Dudelange, c’est le vécu de ses deux jumelles, désormais âgées de quatre ans, qu’elle valorise.
„Histoire composée de fragments“
„Embody“ aura été une première césure, une „table rase“, qui concluait les „recherches passées d’une jeune femme adolescente qui découvre son corps, qui va vers l’autre, tombe amoureuse, explore le monde et qui, à un moment donné, devient femme, se pose pleine de questions, ne sait pas ce qui va se passer, et finalement un jour, porte la vie en soi“.
Avoir des enfants, c’est renouveler son quotidien, replonger dans un quotidien désormais lointain et redécouvrir des sentiments simples mais jamais simplistes. L’artiste devenue mère a trouvé dans la joie de vivre de ses deux petites filles, leur exploration du monde et leurs interactions entre elles de nouveaux objets d’observation. Les dessins qu’elles ont faits à partir de l’âge de deux ans et demi, comme une apparition de formes et de traits tracés de manière instinctive, l’ont fascinée.
Elle savait dès lors qu’elle allait consacrer sa prochaine exposition à ses deux filles. Le moyen d’expression qu’elle s’est choisi durant ses études, la photographie, s’y prête particulièrement bien. „Il n’y a pas d’autre medium qui soit mieux adapté pour documenter la vie familiale et créer une histoire familiale que la photographie. Les mariages, les anniversaires, les vacances, l’arrivée des enfants, leur croissance de bébé à nourrissons, à ados, à jeunes adultes emplissent les albums, cellulaires et clouds partout sur la planète. Les pratiques familiales et populaires y convergent“, explique Françoise Poos dans un beau texte qui accompagne l’exposition.
Si elle n’avait pas eu de jumelles, la photographe ne pense pas qu’elle aurait consacré une exposition qui trahit son nouveau statut de mère. Ce sont leurs interactions qui font la trame d’„Instincts. Same but different“. Il y a cinq ans, Cristina Dias De Magalhães n’aurait pas pensé un jour photographier des animaux, encore moins empaillés; mais au bout d’une énième visite du Musée d’histoire naturelle de Genève, face à l’enthousiasme de ses deux filles pour les reconstitutions de scènes de la vie sauvage que sont les dioramas, elle a trouvé son sujet. „Le lien avec le dessin, l’instinct, le rapport au monde“ lui a alors sauté aux yeux. Et c’est ainsi que l’artiste s’est retrouvée à faire faux bond à ses filles pour pouvoir travailler sans entraves au musée. „Je ne savais pas que je pouvais être moi aussi fascinée, mais c’est au moment où j’ai commencé à faire les photos que j’ai eu le déclic, de faire des prises de vue rapprochées, un cadrage qui évoque des émotions.“
Les photos de ses filles d’un côté et celles des animaux empaillés du musée de l’autre allaient former les deux corpus dans lesquelles elle puiserait pour former des diptyques, dont elle avait commencé à tester les avantages narratifs dans „Embody“. Mettre côte à côte deux photos brutes lui permet de créer une mise en scène, „une histoire composée de fragments“.
Dans cette série montrée à l’automne à l’Imago Lisboa photo Festival, on croise ainsi des écureuils d’un roux éclatant qui se partagent une branche comme les deux jeunes filles aux bouclettes parfaites semblent partager un destin entremêlé. Mais les filles toujours prises dans le feu de l’action se montrent aussi l’une sans l’autre ou l’une éloignée de l’autre. Les légendes des photos aident à saisir les émotions du monde animal que l’artiste observe par ses clichés. Les dessins des petites filles ne manquent pas non plus, non pas dans l’idée vaniteuse de les valoriser mais comme des objets observés qui renvoient eux aussi au monde animal.
Mais même si les photos sont belles et douces, que l’instinct semble partout prévaloir, les compositions ne manquent pas de complexité. La rencontre entre les enfants et les animaux n’est pas seulement physique. Elle est aussi imaginaire. Cristina Dias De Magalhães a changé de corps à observer, mais pas d’observation. C’est toujours le mouvement du corps, la mémoire et l’identité qui sont au cœur de son travail.
A voir
L’exposition de Cristina Dias De Magalhães „Instinct. Same but different“ est accessible jusqu’au 21 février 2021, du mercredi au dimanche de 15 h à 19 h, à la galerie Nei Liicht à Dudelange (25, rue Dominique Lang).
Dans le même temps et aux mêmes horaires, dans l’autre galerie communale qu’est le Centre d’art Dominique Lang (ancienne gare), Trixi Weis présente „empty.emptyness“, par laquelle elle réinvente l’espace d’exposition pour nous mettre face au vide existentiel auquel condamne la société de consommation.
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