Au Centre des arts pluriels d’Ettelbruck / Les jeux de rôles de Suzan Noesen
Avec „Labyrinth der gestischen Tropen“, Suzan Noesen poursuit sa quête artistique sur les interactions sociales, l’autodétermination et le langage corporel, dans un parcours qui allie l’instinctif au cérébral.
Dans l’imaginaire de Suzan Noesen, le Moyen Âge a pris une place à part. On avait pu s’en rendre compte avec le grand coup d’éclat que fut le film „Livres d’heures“, qui, deux ans après sa réalisation, poursuit son bonhomme de chemin. Elle y enluminait la vie de sa grand-mère, nouvelle colocataire au retour d’expériences communautaires en Allemagne, dans un écovillage et dans des maisons collectives autogérées.
Elle y documentait une manière éternelle de vivre la journée, en contact avec la nature. On peut parier que, dans le caractère immuable de la campagne de Septfontaines qui donne son cadre au film et où elle se rendait enfant, se terre la proximité avec une période historique qui est encore souvent boudée pour son apparente inertie.
De la geste au geste
Un jour, Suzan Noesen a fait du Moyen Âge une de ses lectures de chevet, trouvant dans „L’historie économique et sociale du Moyen Âge“ de l’historien belge Henri Pirenne un compagnon fidèle pour trouver le sommeil ni trop vite ni trop tard. Elle a poursuivi sa réflexion avec les travaux de la sociologue italienne Silvia Federici sur le rôle de la femme dans la transition entre la société féodale et le capitalisme. Cette dernière lecture lui a révélé l’existence et l’échec de mouvements d’émancipation du Moyen Âge tardif, qui auraient pu nous faire échapper au capitalisme.
Suzan Noesen s’intéresse à la possibilité de l’avènement d’un monde plus juste. Et sait très bien, pour l’avoir vécu dans les communautés allemandes, que même les meilleures intentions ne sont pas suffisantes. „Ce sont souvent les mêmes personnes qui structurent la conversation. C’est parfois plus compliqué, quand il n’y a pas de hiérarchie et que les responsabilités ne sont pas claires, parce que ce sont toujours les mêmes gens qui font tout“, confie-t-elle. Et c’est peut-être parce que tout ne dépend pas du cerveau. „Pour mettre des choses en pratique, cela passe toujours par le corps. Et c’est peut-être ça aussi le problème“, s’amuse-t-elle.
Le corps, qui porte en lui une expérience mais aussi un langage. Suzan Noesen le traque, dans une recherche naissante qui sera de ses prochaines aventures et par laquelle elle entend non plus considérer le geste comme une empreinte déterminante, mais plutôt comme le lieu de l’élaboration de nouveaux moyens de communicaiton.
L’exposition commence à la bien nommée station numéro zéro, par une invitation à prendre un nouveau départ. La phrase „All I used to know is all I used to know“, écrite en boucle dans une vidéo inondée de lumière, rappelle à sa manière qu’il est presque naturel de toujours tout recommencer à zéro. La suite s’occupe du corps.
Fidèle en cela à sa recherche, Suzan Noesen suit des pistes intellectuelles, mais s’échine, dans la réalisation d’un cadre pour ces dernières, à se laisser guider intuitivement. On circule dans le labyrinthe qu’elle propose au CAPE comme on veut. La sensibilité du spectateur y est intentionnellement soumise au changement perpétuel, entre la perception visuelle, la perception du contenu, le matériel, les textures, et jusqu’au sol qui se déchire comme une peau qui s’arrache sur l’une des photos qui agrémentent le parcours.
Critique de façon ludique
Ce labyrinthe est l’esquisse d’une installation vidéo qui, composée de quatre écrans et autant de personnes, laissera un cinquième écran libre, celui du spectateur qui sera doté du pouvoir de choisir le rôle à jouer et donc de faire basculer la majorité de la communauté.
Dans son installation de structures de bois, les rôles sont déjà prédéterminés et identifiés par des couleurs dont les déclinaisons reprennent les codes de couleur médiévaux. Quatre structures correspondent à quatre figures du système féodal médiéval, à laquelle est associée une couleur: le vert pour l’agriculteur, le gris pour le vassal, le rouge pour le roi et le bleu pour le clergé. „Les rôles médiévaux sont très clairs et c’est pour nous tellement loin que cela peut avoir un côté très ludique. Cela aide à mettre de la distance par rapport à nos rôles aujourd’hui et à pouvoir être critique de façon plus ludique“, observe l’artiste trentenaire. Ces structures sont un prétexte pour pouvoir travailler la matière plus intuitivement et de manière visuelle, mais elles sont aussi le support de réflexions plus abstraites, chaque structure étant associée à des chapitres des livres d’heures comme à des fonctions. Ainsi, le clergé contrôle ce symbolique, „très important pour la cohésion sociale, le fonctionnement entre les gens“, et dont on ne saurait dire aisément qui aujourd’hui en est le dépositaire.
Sur la structure du vassal, plusieurs lignes parallèles vienennt dessiner différents horizons, dont la hauteur correspond à la moitié de chacune des structures et donc des rôles possibles. C’est une autre dimension symbolique de son travail. „J’ai un truc avec les maths, je crois“, s’amuse-t-elle. Ainsi, les plus observateurs des visiteurs remarqueront que l’inclinaison entre les sommets de la position la plus élevée (le roi) et la moins élevée (l’invisible) est la même que celle de la pente du plafond du CAPE.
Et ce n’est de même pas tout à fait un hasard si l’Arlequin qui figure au centre de tout cela, et auquel chaque spectateur est libre de prêter son visage, porte le numéro 11, celui du début du carnaval. Et le carnaval, c’est aussi le moment où les rôles deviennent interchangeables.
A voir
L’exposition „Labyrinth der gestischen Tropen“ de Suzan Noesen est ouverte tous les jours, sauf le dimanche, de 14 à 20 h. Jusqu’au 20 mars 2021.
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