Mudam / Les rebuts du quotidien entrent au musée
Par une exposition en trois volets baptisée „A model“, le Mudam a voulu réfléchir à la fonction du musée au XXIe siècle. Pour son épilogue, Jason Dodge surprend le visiteur avec une installation d’un type nouveau.
A force de balayer devant sa porte, voilà le Mudam contraint de ne plus le faire derrière, pourrait-on oser en découvrant l’installation „Tomorrow, I walked to a dark black star“ de Jason Dodge. Ce geste artistique est en effet le troisième volet et épilogue de l’exposition „A model“, grande œuvre de la directrice des lieux, Bettina Steinbrügge, qui se veut une réflexion sur le rôle – et une remise en cause – du musée d’art contemporain aujourd’hui. Le concept d’épilogue vient défier justement les pratiques muséographiques habituelles en confrontant l’œuvre d’un artiste à des œuvres déjà en place, celles qui forment le deuxième volet et morceau central de l’exposition.
Défenseur d’une pratique poétique qui mise sur les capacités du visiteur à produire sa propre narration, l’artiste américain a essaimé aux quatre coins du musée des artefacts de petite taille, qui pourraient ressembler à des fonds de poche et autres fonds de poubelle de bureau, mélangés à des traces organiques rapportées de l’extérieur. Féru de ready-made, l’artiste ne transforme pas en œuvres d’art des objets du quotidien comme le fit Marcel Duchamp il y a plus d’un siècle et comme il a déjà pu le faire – avec un oreiller dans „The Mayor is sleeping – a pillow that has only been slept on by the mayor of Nurnberg“ par exemple. Il joue avec le format traditionnel d’une œuvre d’art, en faisant entrer aux musées ces résidus du quotidien, jamais archivés, jamais conservés, et avec eux une narration nouvelle, celle du rapport à ces objets faisant partie des êtres humains et de leurs vies.
Une autre idée du musée
Il y mêle aussi des objets extirpés des réserves du musée, manière personnelle de répondre aux „possibilités qui se présentent lorsque les collections des musées sont appréhendées comme des environnements activables, plutôt qu’une accumulation d’objets à préserver sous une forme immuable et intemporelle“, suggérées par le Mudam dans son exposition manifeste. Au milieu de ce qui ressemble à première vue à des déchets, se cachent aussi de petits actes artistiques sous forme de logos de marque ou de mots inventés. On peut ainsi voir sur un papier d’une hypothétique entreprise Elektra une évocation de l’opéra de Richard Strauss et de la revanche d’une femme sur une société patriarcale dans laquelle sont nés les musées.
L’installation rompt avec l’image du white cube, parcourue d’œuvres sacro-saintes, en dispersant dans des espaces d’habitude immaculés, des productions humaines beaucoup moins valorisées que celles qu’on vient habituellement observer en ces lieux. Cela fait aussi en quelque sorte écho avec l’œuvre „Field Trip“ qui fait partie du cœur de l’exposition triptyque „A model“ et est composée de rangées de fleurs dans des pots identiques, qui depuis l’ouverture au début du mois de février ont eu le temps de se décomposer et donnent désormais à l’aile dans laquelle ils sont alignés un aspect de désolation.
Les artistes appelés à participer à „A model“ se devaient de défier le musée. Le pari est réussi et ravit la directrice des lieux. „Un musée a un certain nombre de règles, il a ses habitudes, ses manières de se considérer. Cette installation le rend conflictuel, offre une manière généreuse de réfléchir à nous-mêmes“, estime Bettina Steinbrügge, qui avait déjà accueilli Jason Dodge à la Kunstverein de Hamburg en 2016, pour un projet dans le même esprit. „C’est très humain, très vivant. Et c’est très beau de voir comment la curiosité est développée par cette manière d’installer.“ Elle rapproche de la poésie l’art de celui qui est aussi directeur de la maison d’édition de poésie Fivehundred places. „Il ouvre des espaces pour comprendre les choses intermédiaires dont on ne parle pas.“
Le titre que Jason Dodge a donné à l’exposition est d’ailleurs tiré d’un poème d’Alfred Starr Hamilton et est à voir comme un objet retrouvé choisi pour sa capacité à ouvrir une brèche entre le futur et le passé. Lui qui considère le musée comme une sorte d’„aéroport culturel“ entre la précédente et la prochaine exposition, n’attribue pas de date à ses productions pour faire savoir que les objets dont elles sont faites se vivent au présent.
Au Mudam, jusqu’au 8 septembre.
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