Luxemburgensia / „L’union des sels“ d’André Simoncini : affinités minérales
Dans un court recueil de poèmes, André Simoncini explore les différents âges de l’alliance des corps, ce que le temps fait aux sens.
Son nom a pignon sur rue, depuis qu’en 1982 il a ouvert une galerie d’art. C’est depuis là également, qu’il s’est fait connaître comme éditeur d’ouvrages mêlant ses deux passions, la poésie et l’art, prolongeant au Luxembourg une tradition fertile. Mais André Simoncini ne s’est pas fait connaître des bibliophiles par ces seuls travaux d’édition, 28 au compteur, ou parce que sa galerie accueille chaque année des lectures dans le cadre du Printemps des poètes. Il s’est aussi fait connaître par ses recueils de poésie. À 77 ans, c’est un septième recueil qu’il vient de publier aux éditions Phi.
Derrière ces sept recueils se cache une trajectoire atypique. Natif d’Esch-sur-Alzette, dans le quartier du Brill, André Simoncini est le fils d’un mineur italien syndiqué et d’une mère française issue d’un milieu éduqué, qui encourageait ses enfants à partager sa passion pour l’art. André passe une formation de serrurier et commence sa carrière dans l’hôtellerie, avant de s’intéresser aux littératures française et allemande et de collectionner des livres d’art. Dans les années 70, devenu traducteur, il fréquente le milieu littéraire et notamment la poétesse Anise Koltz. Il se signale en 1977 par un premier recueil, „Aube impalpable“. Il est reconnu par Jean Breton comme le tenant d’une „poésie pour vivre“ à hauteur d’homme, basée sur l’expérience de l’homme ordinaire, comme il la défendait dans les éditions Saint-Germain des Prés où il publie „Le versant probatoire“ (1984) et „Le manuel de l’éphémère“ (1988).
En 2017, dans „Le manuel du silence“ aux éditions Phi, cet ancien membre du parti socialiste dans les années 90 évoquait l’atrocité des temps présents. Dans „L’union des sels“, l’intention est plus introspective, mais non moins intéressante. Il reprend l’exploration du temps qui passe, un de ses thèmes de prédilection, et de ce que ce passage du temps fait aux corps promis à la vieillesse.
C’est un texte sur le désir, le plaisir, l’alchimie singulière qui fait que deux corps s’additionnent pour ouvrir ensemble une expérience qui leur serait restée inaccessible à chacun s’il n’y avait pas eu l’autre. Parler d’autre est sans doute aussi impropre, quand l’union approche de la fusion. L’union des sels, c’est aussi leur mélange, qui leur donne une nouvelle saveur, qu’André Simoncini essaie de capter par les mots, travaillant les émotions intimes.
L’ouvrage est découpé en trois parties, dans un ordre chronologique. Il y a d’abord les premiers moments, „Les horizons balbutiants“, titre de la première partie, celui du désir ascensionnel, période d’incertitudes et d’espoirs, des envies qui s’exaucent encore, au-delà des attentes parfois. L’aventure commence avec le bonheur en embuscade, mais avec déjà le temps qu’il s’agit de dompter par les corps et les sens: „Quatre pupilles/Se croisent/Les quatre feuilles/ D’un trègle/Augurent/De l’infini sensible/D’une étreinte fugace/Captive/A jamais“ …
La première partie est placée sous la protection, en exergue, d’Elsa Triolet: „le vrai rêveur est celui qui rêve de l’impossible“. Si c’est par le corps que le rêve est poursuivi, c’est aussi par la tête, et par la poésie qui fait le lien, que se goûte cette aventure guidée „par le gouvernail des mots“, d’un homme ami des arts et notamment de la musique, très présente, qui devient „spectateur enfin/de son spectacle“. Il est souvent question de lutter contre, contre le „tourbillon temporel“, contre les insatisfactions („Taire le sel délavé/Sur lequel ruisselle/La sueur minérale/Enfin prête/À juguler l’âcreté/De la faille“).
Ce traité d’alchimie des corps, „otages consentants/D’une mainmise ascendante“, est aussi hanté par „les vents contraires“, qui donnent leur titre à la troisième partie, celle d’un âge où la déchéance est promise, mais où les corps comme les mots n’en restent pas moins la solution. C’est l’art aussi qui éclaire le trajet. „Effleurer le galbe vieilli/Le faire renaître/Clair/Pur/Limpide/Le rendre ineffable.“ Il y est question d’usure charnelle, de corps qui se transforment, qu’il faut continuer à aimer, par les allers-retours avec le passé. „Des mains pâlissantes/Hier encore/Cueilleuses d’étoiles/Qu’en vieux danseur/Nos paupières tentent d’éteindre“. Le temps qui passe est parfois „méprisé“. Mais l’oubli est une plaie comme il peut être une chance. „Corps quêtant l’insondable/Pour défaire l’emmurement/D’une mémoire amnésiée“ …
C’est sans doute dans cette troisième partie qu’André Simoncini offre son expérience la plus précieuse, la moins souvent sondée. „Epiderme diaphane/Que sillonnent les frissons/Gravant ride après ride/L’innommable avilissement/De la faille existentielle“… Après l’attente, le moment présent, le troisième âge est autant celui du passé, par le souvenir, que du futur. Il y a les souvenirs ratiédis. Temps de l’amour et de la contemplation, mais aussi une promesse d’éternité qui point à l’horizon, par la transmission qui clôt le recueil. „La caresse d’une main centenaire/Offerte à l’émerveillement de l’enfant/Bouclera cette belle chaîne d’amour“ …
„L’essence de la poésie n’est pas de raconter mais de sensibiliser, de signifier par la voie des rythmes, des sonorités, des silences, des images qui jaillissent de l’usage inusité, inventif, de la langue“, souligne Myriam Watthee-Delmotte, académicienne et critique littéraire belge, dans une riche postface capable de ravir aussi bien le spécialiste de poésie que le néophyte „C’est de la sensorialité et de l’émotion dont la parole poétique est chargée que jaillit le sens, et non l’inverse.“ „L’union des sels“ est en ce sens aussi une invitation à écouter son monde intérieur.
Les autres publications des éditions Phi
L’année 2023, pour les éditions Phi, avait commencé en mars par la publication du premier recueil de poésie de Marie-Pierre Antoine, „Coquilles de noisettes“ (112 pages, 15 euros). En cette rentrée littéraire, elles se sont signalées par la première tentative romanesque de Fabienne Faust, qui avait publié deux recueils de poésie chez Phi („Tu veux danser“ – 2014) et („Hier, ein Fehlen“ – 2020). Dans „Die Häuser von Drüben“ (168 pages, 20 euros), elle poursuit son étude de l’aliénation et la marginalisation dans un monde paradoxalement connecté, mais marqué par les inégalités.
Dans „Yeshuah“, Claude Schmit imagine que Jésus n’est pas mort sur la croix, mais que, sauvé par deux amis, il a migré à Rome comme menuisier de luxe, et qu’il commençait à goûter les plaisirs de la capitale de l’Empire romain quand il fut démasqué et confronté de nouveau à son statut de fils de Dieu. (220 pages, 20 euros).
Enfin les éditions Phi ont aussi publié un recueil de haikus baptisé „Im Banne des Unendlichen“ (124 pages, 15 euros) par l’auteur luxembourgeois de 87 ans, Raymond Schaack.
Enfin, à noter que les éditions Phi ont récemment publié „Tranches de vie (Portraits de villageois)“, de Jean Portante, avec des illustrations de Pit Wagner, dans lequel sont recueillis des témoignages de villageois de plusieurs communes situées entre Mersch et Steinfort, nés, pour la plupart, un peu avant que n’éclate la Seconde Guerre mondiale, qui racontent l’expérience que fut cette dernière pour leurs parents et grands-parents.
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