Exposition au Schlassgoart / Marc Henri Reckinger ou la peinture du réel
À la galerie Schlassgoart à Esch-sur-Alzette, l’artiste peintre Marc Henri Reckinger, disparu à la fin du mois d’août, alors qu’il était promis à recevoir le „Lëtzebuerger Konschtpräis“, nous livre ses dernières visions de notre monde, dans une veine réaliste et critique qui aura traversée son œuvre.
Quand on entre dans l’espace d’exposition du Schlassgoart, l’œil même non avisé ne met pas longtemps à identifier les tableaux de Marc Henri Reckinger, pour peu qu’il ait en tête les mots qu’avait repris en 2002 le bourgmestre de Dudelange d’alors, Alex Bodry, de son administré auquel la ville venait de remettre le prix du mérite culturel. À l’occasion d’une rétrospective, l’édile avait écrit que Marc Henri Reckinger était un „adversaire déclaré de l’art pour l’art“. Or, des cinq artistes présentés en ces lieux depuis le 1ᵉʳ décembre – Marc Henri Reckinger figure aux côtés de Claire Weides-Coos, Hubert Wurth, Rol Steimes et Henri Goergen –, il est bien le plus clairement, sinon le seul, engagé. On le retrouve en partisan d’un art coup de poing, qui met le talent au service d’un contenu qui se veut accessible au plus grand nombre.
Dans les treize œuvres exposées, Marc Henri Reckinger est bien loin de l’abstraction à laquelle il s’était adonné durant trois années, de 1964 à 1967, à la sortie de l’Ecole nationale supérieure des Beaux Arts de Paris, où il avait étudié auprès de Roger Castel. Il lui avait rapidement tourné le dos parce qu’il le considérait comme un art purement formel, devenu art d’Etat, tant il plaisait aux dominants par son absence de contenu et donc de contestation. Lui, au contraire, voulait être un artiste dans la mêlée, qui s’inspire de la société et qui l’influence. C’est la raison qui l’avait poussée à cofonder les mythiques granges de Consdorf en 1967, qui se voulaient une alternative populaire aux institutions muséales, puis, à créer l’année suivante l’Initiative 69, qui mettrait l’art dans l’espace public. Pour Marc Henri Reckinger, „la peinture n’est pas un moyen de décoration ou de divertissement“, c’est un instrument de communication, un moyen d’influence, au service de la prise de conscience.
Fidèle à sa trajectoire
Ces dernières années, Marc Henri Reckinger était visiblement retourné au réalisme critique de la fin des années 70, quand après un intermède politique de sept ans, au service d’un engagement politique au sein de la Ligue communiste révolutionnaire, il avait décidé de continuer la lutte par la peinture. Il s’agissait de proposer un art qui dévoile. „Realismus muss die Hintergründe und Zusammenhänge der Wirklichkeit sichtbar machen, er muss die Verantwortlichen, die Drahtzieher, die Nutznießer der herrschenden Zustände ins Licht setzen“, expliquait-il en 1980.
A l’époque, il dénonçait les coups d’Etat et les régimes dictatoriaux qui s’en suivaient en Amérique du Sud, la situation politique en Espagne, mais aussi la mort que faisait régner sur les villages la perspective de la future centrale nucléaire de Cattenom. Dans la période 2018-2023, que couvrent les onze tableaux visibles à Esch, les thèmes ont changé, mais l’indignation est la même. Ces dernières années, Marc Henri Reckinger était agacé par la virtualisation de l’expérience humaine et son éloignement de la nature, la guerre faite au vivant et aux cultures indigènes, la mort des candidats à l’exil dans la Mediterranée, transformée en cimetière du rêve européen, la technologie au service de la répression et de progrès douteux, plutôt que du bien-être. „Il nous confronte à un quotidien affreux fait de guerre, de misère, d’exploitation, de soif de pouvoir et de mépris des humains, qui n’offre que peu de moments de replis“, avait remarqué à son sujet Paul Bertemes lors de son discours d’ouverture de cette même exposition à Saarbrücken en juin dernier. En bref, rien de bien réjouissant dans les yeux de Marc Henri Reckinger, ou tout du moins dans les toiles sélectionnées pour cette exposition.
L’espoir qui l’avait fait emprunter la voie cubiste dans les années 80 et 90 semble évanoui, à moins qu’il demeure dans son obstination à vouloir faire passer des messages. Marc Henri Reckinger avait eu le souci de préserver de l’oubli ce mouvement qui incarnait au mieux, selon lui, l’utopie. Il en reste un peu de cet esprit dans l’impressionnant mobile „Jazz“, par le jeu avec les dimensions et la profondeur, appliqué à un thème récurrent et transversal de son œuvre, la musique.
Alors, on ressort de cette exposition en constatant que jusqu’au bout, Marc Henri Reckinger sera resté fidèle à sa trajectoire, celle qui se fiche des modes et de la pensée mainstream. D’ailleurs, cela restera comme un sacré pied-de-nez qu’il soit décédé quatre jours après que, le lundi 28 août, le ministère de la Culture publiait un communiqué de presse annonçant qu’il serait le lauréat du „Lëtzebuerger Konschtpräis“, deuxième du genre – après son accolyte Berthe Theis. Le prix devait honorer un des artistes „à l’origine d’un renouveau de la vie artistique au Luxembourg pendant les années 60“. Quatre jours plus tard, on apprenait la mort de l’artiste à 83 ans. L’exposition collective de Saarbrücken, reprise au Schlassgoart, n’avait pas été, tout comme cette reconnaissance, pensée pour être posthume. Elle s’offre en tout cas comme le testament artistique d’„un homme et un artiste passionné, qui n’a cessé d’innover et de lutter, grâce à son art, pour un monde meilleur“, comme l’avait souligné le ministère de la Culture dans un nouveau communiqué de presse à son décès.
Info
L’exposition „Positions“, avec des œuvres de Marc Henri Reckinger, Claire Weides-Coos, Hubert Wurth, Rol Steimes et Henri Goergen, est visible jusqu’au 22 décembre, du mardi au samedi de 14h à 18h, à la galerie Schlassgoart, boulevard Grande-Duchesse Charlotte à Esch-sur-Alzette.
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