Centres d’art de Dudelange / Suzan Noesen et Letizia Romanini exposent
Ce sont deux manières proches de considérer la création, deux souhaits de privilégier le processus plutôt que de parier sur le résultat final, qui sont présentés aux centres d’arts de Dudelange avec les expositions „How to cut an apple“ de Suzan Noesen et „5 km/h“ de Letizia Romanini.
Il aura fallu que Suzan Noesen aille à Montréal pour se sentir confortée dans sa démarche artistique. Partie à l’automne 2022, l’artiste a même demandé et obtenu une rallonge à sa résidence à la fonderie Darling, tant elle s’y sentait bien entourée et stimulée. Elle aime la manière intime, quotidienne qu’on a là-bas de vivre l’art, qu’on préfère voir ailleurs comme un outil de distinction sociale. Surtout, Montréal fourmille d’artistes qui, comme elle, sont attachés au processus, à la recherche création, tout en se ménageant une large place à l’expérimentation. La pratique de Suzan Noesen se nourrit de questions philosophiques, elle joue avec les questions formelles pour trouver une manière de les imbriquer dans une représentation des valeurs. Elle est aussi bien intéressée par le traitement social d’un sujet, que par la réflexion sur la forme, la narrativité.
Se trouver en bonne compagnie l’a libérée d’interrogations chronophages. „Je ne dois plus questionner mon approche“, dit-elle. „Je suis très sensible aux normes qui m’entourent. J’avais toujours l’impresssion de me positionner par rapport au fait d’être plus clean.“ Elle, au contraire, aime ce qui n’est pas fini, ce qui garde un caractère improvisé, comme si on avait jamais fini de répondre à une question, sans qu’une autre ne jaillisse. Son exposition „How to cut an apple“ en fait la démonstration, notamment avec la pièce „Blind Corners“, présentée au rez-de-chaussée du Centre Dominique Lang à Dudelange. Elle fait croire au produit léché, en soignant l’emballage de son installation vidéo, par des parois couleur bronze, inspirées des baies vitrées de banques à Luxembourg, à travers lesquelles on peut voir et se voir.
C’est une installation sur l’interaction sociale, un des thèmes chers à Suzan Noesen. Elle y thématise comment notre regard se constitue à travers celui des autres – et vice-versa. À l’intérieur, trois télés représentent trois femmes qui, successivement, se toisent ou détournent le regard, tandis que deux d’entre elles manipulent une pomme, fruit hautement symbolique déjà présent dans une installation vidéo à la Triennale Jeune Création en 2021. Dans cette dernière, il s’agissait d’une discussion de groupe entre quatre personnages et autant d’écrans. Cette fois, on ne voit pas tout de la personne comme on ne voit pas tout de la scène à trois, d’où le titre.
Suzan Noesen s’était fait remarquer en 2018 avec „Livre d’heures“, une vidéo expérimentale sur sa cohabitation avec sa grand-mère à la campagne. Les recherches qu’elle présente à Dudelange peuvent être vues comme parts d’un processus d’exploration en vue d’une future fiction. La réflexion se poursuit à l’étage, avec une installation consistant en une projection mouvante sur un tissu en soie. L’œuvre est tirée d’une anxiété sociale. Elle en est le remède. Il s’agit d’un jeu d’ombres, au départ d’une vidéo d’un groupe d’amis allongés sur l’herbe. „Je voulais que le groupe ait l’air d’un paysage, que ce soit comme des collines qui se détachent“, explique-t-elle.
Une marche sur la frontière
„Serait-ce symptomatique de notre époque de préférer à l’œuvre, ce qui la fait advenir?“, écrit la critique d’art Claire Kueny dans le texte accompagnant l’exposition „5 km/h“ de Letizia Romanini. Elle imagine que cela puisse être „le signe d’une volonté de la part des artistes et de celles et ceux qui accompagnent le travail, de se détacher de l’objet matériel, commercial, potentiellement polluant, quoi qu’il en soit, saturant un monde déjà débordant.“ Letizia Romanini, dit-elle, est à considérer comme une artiste se situant au „bord du monde“, dont le travail commence par la découverte.
En 2021, l’artiste eschoise, de retour au pays, profite du programme „Neistart“ lancé durant le second confinement, pour s’embarquer dans un tour du Luxembourg à pied, en collant le plus possible à la frontière. Il s’agit de constater et de collecter les transformations du paysage. Au cours de vingt-quatre jours de marche, à une allure qui donne son nom à l’exposition, pour un total de 365 km parcourus, elle est, tous les cinq jours, ravitaillée. Et à cette occasion, elle se déleste des artefacts glanés en chemin. Elle a ramassé des amadouviers – champignons parasites facilement inflammables –, des branches de vigne séchées, des écorces d’arbres, des ardoises de Belgique, des scories vitreuses du bassin minier, mais aussi des rebus d’objets.
Cette cueillette et les 650 photos qu’elle a ramenées de son voyage, elle les a ensuite analysés dans son atelier puis transformés, par différentes techniques, jusqu’à en changer la matérialité, en recourant à la méthode de la marquetetrie de paille, par exemple. L’exposition est une ingénieuse tentative de restitution de sa pérégrination, empreinte de solastalgie, sous différentes formes et matérialités. C’est une expérience de marche et de contemplation qu’elle propose au visiteur, qui pourra aussi utilement parcourir le livre qu’elle dédie à cette expérience.
Info
Les expositions „5 km/h“ de Letizia Romanini et „How to cut an apple“ de Suzan Noesen se tiennent jusqu’au 12 novembre aux centres d’arts de Dudelange (Dominique Lang et Nei Liicht), du mercredi au dimanche de 15 h 00 à 19 h 00.
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