„Minuit“ / Un concert dessiné produit par les Rotondes – La nuit, tous les chats sont gris
Avec „Minuit“, la saxophoniste luxembourgeoise basée à Paris, Florence Kraus, le guitariste Grégoire Terrier et les dessinatrices Sophie Raynal et Coline Grandpierre invitent petits et grands dans une exploration multisensorielle du noir et du blanc, de l’ombre et de la beauté.
Dans „Minuit“, il y a autant à voir sur scène que sur l’écran suspendu au fond. La scénographie a été pensée de sorte que le jeune public, pour lequel le spectacle a été écrit, puisse voir les coulisses de la création en direct. À gauche, la dessinatrice, Coline Grandpierre ou Sophie Raynal, en alternance, manipule crayons et objets sous l’œil d’une caméra qui surplombe la table à dessin. Sur les images projetées sur grand écran, les techniques se suivent ou se superposent, les époques aussi, lorsque des images numériques sont projetées sur un papier noir sur lequel une main dessine en direct au feutre blanc. À droite de la scène, de part et d’autre d’une table sur laquelle sont posés des instruments et accessoires, on retrouve la multisaxophoniste Florence Kraus, qui alterne entre saxophone, clavier et trois instruments originaux comme elle a l’habitude de les bricoler à l’aide de matériaux qu’elle recueille et recycle. La manipulation et la forme de ces derniers amènent de la théâtralité à la scène, de nouveaux gestes et de nouvelles appréhensions. À ses côtés, le guitariste Grégoire Terrier glisse avec un plaisir communicatif de la guitare à la boîte à rythme. La musique s’apparente à la musique de film, sa spécialité, quand le dessin est en cours. Elle passe au jazz, à l’électro et flirte avec le rock, quand le décor est planté et que la narration se déploie.
Curieuse envie
„On voulait créer cette balade, du dessinateur à l’écran et au musicien, et brouiller les pistes, à la différence d’un ciné-concert, où l’on regarde l’écran et on entend les gens refaire le son“, explique Florence Kraus. Les deux musiciens s’étaient déjà prêté à un tel exercice en mars 2020, pour une production des Rotondes baptisée „Curieuse nature/Droleg Natur“. Ils avaient alors mis en musique et assuré le bruitage de trois courts-métrages sélectionnés dans le cadre du Luxembourg Film Festival. L’expérience les avait conquis, mais aussi frustrés du fait que les films qu’on leur avait soumis ne correspondaient pas à leurs univers. Ils ont donc eu l’idée de faire leur propre création. Ils en ont fait la proposition aux Rotondes, qui les a soutenus dans cette démarche.
Ils n’ont pas eu à aller chercher bien loin les deux dessinatrices qui les ont suivis dans l’aventure. Ce sont leurs amies et toutes deux ont une expérience dans le dessin en live, solide chez Sophie Raynal – habituée aux créations de décors pour le théâtre et de reportages dessinés pour des événements –, en plein développement chez Coline Grandpierre. À vrai dire, ce sont d’abord des contraintes de planning qui ont donné l’idée d’un dédoublement du poste de dessinatrice. Cela implique une forme d’alignement de leurs styles. „On essaie d’être les plus proches, pour les personnages, il faut être cohérent, car il y en a qui sont imprimés“, explique Coline Grandpierre. En effet, si le principe est que les visuels et la musique soient créés sur scène, les objets sont préconçus et permettent de caler le dessin avec la musique. L’un ne doit pas retarder l’autre. Cette quête est d’autant plus nécessaire que „Minuit“ est spectacle pour enfants, qu’on ne peut perdre dans des formats trop longs. Ainsi, „Minuit“ est composé de vingt-trois séquences de deux minutes, qui offrent néanmoins des plages d’improvisation potentielle, qu’une fois le spectacle lancé et maitrisé, les deux dessinatrices vont prendre un malin plaisir à exploiter.
„Au niveau créatif, être à deux nous a permis d’explorer beaucoup plus de choses“, poursuit la dessinatrice. Cette bicéphalité au dessin a permis de multiplier les audaces et de transmettre au jeune public des techniques et des représentations qu’ils ne sont pas habitués à rencontrer. Il y a des tableaux par moment abstraits, à l’encre de Chine où l’écran est balayé par le pinceau, ou l’exécution d’un dessin blanc sur fonds gris. „Ils ont l’habitude de voir des choses faciles à interpréter. Là, le champ est plus ouvert“, souligne Sophie Raynal.
En noir et blanc
Même au niveau de la narration, „Minuit“ ne prend pas les enfants pour des êtres crédules. Et ce faisant, il réussit facilement à embarquer les parents dans l’aventure. Il faut dire que les jeunes pousses expérimentent quotidiennement le thème du contraste – entre ombre et lumière, bonté et cruauté – qui est au cœur du récit et que les adultes n’ont en général pas réussi à se débarrasser de cet accompagnateur fidèle de l’expérience humaine. Grégoire Terrier avait eu l’idée de présenter un spectacle qui serait en noir et blanc, fondé sur cette notion de contraste. À partir de là, Sophie Raynal a apporté l’idée d’adapter „Le vicomte pourfendu“ d’Italo Calvino. Non pas parce qu’on fête, en 2023, les cent ans de sa naissance, mais parce que ce conte philosophique lui semblait porteur, visuellement. Il fallait néanmoins adapter aux enfants cette histoire d’un homme frappé par un obus durant la guerre qui se voit séparé en deux parties: la moins bonne, celle qui fait son retour au village, et la meilleure qui la rejoint plus tard. Toutes deux arrêteront de faire des dégâts quand elles seront réunies.
Dans „Minuit“, c’est un enfant qui se retrouve coupé en deux, suite aux réprimandes d’un adulte venu interrompre une première séquence idyllique. L’enfant se retrouve embarqué dans un tourbillon mélancolique, dans lequel il devra dompter son côté le plus obscur – qui le voient casser les jouets des enfants et faire pleurer les parents – comme le plus lumineux. Les enfants savent bien, parce qu’ils l’expérimentent quotidiennement, que l’homme est capable de comportements colériques et nocifs. Et les parents passent par tout autant d’émotions qu’eux au cours d’une journée, même si l’habitude les leur fait vivre moins intensément. „Minuit“ leur rappelle et leur fait accepter cette binarité que toutes les méthodes psychologiques dont raffolent les auteurs du spectacle cherchent à apprendre à gommer – sinon à vivre avec.
Parfois le dessin mène la danse, parfois, c’est la musique. Les artistes prennent plaisir à ce jeu du chat et de la souris. „Il y a encore plein de passerelles à trouver entre ces formes d’art“, fait remarquer Grégoire Terrier. Pour l’heure, après une semaine de présentation aux Rotondes et avant une tournée au Luxembourg et en France, c’est plutôt l’envie de faire vivre la pièce sur scène et de la prolonger sous la forme d’un livre disque, plutôt que la réalisation d’un futur spectacle qui domine. Le mieux est l’ennemi du bien. Comme du mal …
Tournée
Après une dernière séance tout public aux Rotondes aujourd’hui à 15.00 h, le spectacle „Minuit“ part en tournée. Il sera joué au Centre des arts pluriels à Ettelbruck le 21 décembre (scolaire à 10.00 h, tout public à 16.00 h). Puis au Trifolion à Echternach le 22 mars 2024 à 10.00 h (scolaire) et le 23 mars à 15.00 h (tout public). Ensuite à l’Aalt Stadhaus de Differdange le 26 mars à 9.00 h et 10.30 h (scolaire). Et enfin, à la Cité musicale de Metz, les 27 et 28 mars prochains.
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