Classement de la chapelle d’Oberschlinder / Un symbole fort de l’émigration
Deux jeunes hommes se cachent derrière le classement de la chapelle d’Oberschlinder. Ils y voient une première et nécessaire étape afin de pouvoir faire du village abandonné un lieu de mémoire de l’émigration.
En ce matin d’un mois de février pluvieux, l’on comprend aisément l’intérêt qu’ont pu avoir ses premiers habitants à s’installer dans cet endroit encaissé de la vallée de la Schlinder pour les populations. L’eau ruisselle par toutes les pentes, les torrents galopent et couvrent les chants des oiseaux. Toute cette force hydraulique ne pouvait que rendre évidente l’idée d’y faire tourner des moulins. Aujourd’hui, elle renforce le caractère sauvage de la contrée qu’apprécient tant les marcheurs. Mais elle n’aide pas à comprendre quelle fut la vie de la communauté qui, jusqu’au début du XXe siècle, a vécu blottie contre ces moulins dont on aperçoit encore des vestiges sous l’humus.
Dernier témoin de l’existence de ce village, avec deux autres maisons, la chapelle Saint-Michel continue à souffrir de ce milieu hostile. „Des traces d’humidité et de moisissures laissent à penser que des mesures devraient être envisagées pour la façade, mais aussi pour l’intérieur.“ C’est ce qu’a noté la Commission des sites et monuments nationaux (Cosimo) dans son rapport du 4 décembre dernier approuvant le classement de la chapelle comme monument national. La commune de Bourscheid dont dépend la chapelle va devoir lui refaire une santé.
La Cosimo a trouvé un intérêt „historique, architectural et esthétique“ au classement de cette chapelle, aussi modeste soit-elle. „La sobriété et la simplicité de l’architecture reflètent parfaitement son contexte historique (ère des moulins luxembourgeois, émigrations)“. Ses petites dimensions (8 mètres de long et 5,50 mètres de largeur) renvoient à la modestie du village et de ses habitants. Et cette petite taille dit à sa manière la résignation, au moment de son érection en 1874, quant aux chances de voir le village grandir. Oberschlinder était alors à égale distance entre son pic d’habitations (20) et d’habitants (69) atteint en 1827 et le départ de ses derniers habitants dans les années 1930-40.
Construite dix ans plus tôt, l’école qui lui était adjacente, et dont on devine encore les fondements, aurait pu parler le même langage, si la pipe mal éteinte de l’enseignant Schaack ne l’avait pas réduite en cendres en 1878. La parcelle sur laquelle on remarque encore ses fondations a elle aussi été classée par la Cosimo. Elle porte d’ailleurs encore une des dernières traces légales de ses propriétaires, de ceux qui ont voulu son érection: et de ceux qui intéressent par-dessus tous les deux presque trentenaires qui sont à l’origine du classement: les habitants d’Oberschlinder.
Plus qu’un édifice religieux
Lorsqu’il prend ce matin-là la pose devant la chapelle d’Oberschlinder, Charly Muller a le sourire aux lèvres. Il est fier d’avoir obtenu son classement à la fin du mois de décembre, un an et demi après avoir créé une initiative pour sa protection avec son compère de longue date, Max Pletschette. Mais il est aussi amusé d’être ainsi immortalisé devant un bâtiment auquel il ne voudrait surtout pas qu’on réduise son propre intérêt pour Oberschlinder.
La force symbolique de cette chapelle dépasse pour lui très largement la dimension mystique. „C’est un monument religieux mais c’est aussi un monument pour notre histoire, un témoin de l’épisode de l’émigration, dans le sens où c’est la dernière trace de l’ancien village“, explique-t-il dans la foulée. „Elle pourrait constituer un lieu de réconciliation entre ceux qui veulent prioritairement sauver une église et ceux qui veulent protéger l’histoire. Ce ne doit pas être une source de conflit, mais un lieu où l’on peut concilier les deux aspects.“
La propension locale à ne vouloir en retenir que la dimension religieuse est d’ailleurs une ironie de l’histoire. Un document de 1927 déniché dans les archives diocésaines, montre le peu d’intérêt de l’Eglise d’alors pour ce bâtiment. Dans son état des lieux, l’abbé Wennmacher ne sait dire si la chapelle a déjà accueilli la messe sainte. A l’époque, le toit de la chapelle est percé, les murs faiblissent. Et l’abbé cache mal son désintérêt pour Oberschlinder où ne vivent plus que trois foyers. „Oberschlinder zählte in dem Jahre 1850 noch 18 Feuerstellen. Aber alles wanderte aus der Wildnis aus.“ Il faudra l’intervention quatre ans plus tard de descendants d’habitants du village pour sauver la chapelle.
Charly Muller porte la mémoire de ces habitants depuis qu’enfant, il vient dans la cabane que son grand-père dudelangeois avait dans la toute proche Friedbusch et y écoute les histoires teintées de mystères qui entourent l’histoire de ce village abandonné. En créant l’associaiton „Frënn vun der Schlënner“ en 2013 lorsqu’il était étudiant, l’actuel enseignant a voulu redonner de l’épaisseur aux vies oubliées des villageois. L’association a commencé à raconter l’histoire du village et de ses habitants sur internet, mais aussi sur place avec un panneau d’information et par la tenue de visites guidées. Pour partager avec le plus grand nombre la vie des habitants trop souvent négligés. „Le problème d’Oberschlinder, c’est que ce n’est pas spectaculaire. Ce sont des vies très simples; on a l’impression que les gens ont été oubliés tout au long de l’histoire.“
Le problème d’Oberschlinder, c’est que ce n’est pas spectaculaire. Ce sont des vies très simples; on a l’impression que les gens ont été oubliés tout au long de l’histoire.fondateur de l’association Frënn vun der Schlënner
Et pourtant, ces vies ont des choses à nous dire. „Nous aussi nous avons été des immigrés quelque part et avons vécu le même destin que ces gens-là. Il faut se rendre compte que personne ne s’est intéressé à ces gens qui vivaient ici une vie assez précaire“, observe celui qui est aussi conseiller communal de Parc Hosingen. „Lorsqu’on pense à l’histoire du pays, on a tendance à oublier ces aspects.“ Alors, le classement de la chapelle est dans sa tête et celle de son ami une étape qui doit permettre de faire d’Oberschlinder un lieu de mémoire de l’émigration. Le thème est d’autant plus pertinent que le pont qui traverse l’ancien village est l’oeuvre d’un cantonnier de Wiltz ouvert sur le monde, connu pour son ouvrage le Rénert, dont le personnage principal vit dans un château dans cette vallée.
L’idée d’un monument
L’institutionnalisation d’un tel lieu de mémoire pourrait par exemple permettre de repeupler le village des silhouettes de ses habitants de jadis. Charly Muller a découvert récemment un monument de Dublin, baptisé le Famine Memorial, dressé sur le quai d’où sont partis les premiers bateaux d’émigrés irlandais fuyant la famine dans les années 1840. Il verrait bien un artiste comme Lofy sculpter des visages pareillement désespérés et amaigris. Mais il est aussi toutefois permis d’imaginer d’autres initiatives mémorielles et culturelles sur le thème de l’émigration, dans cette zone classée Natura 2000. L’outil existe déjà. C’est un comité de suivi réunissant communes, Etat et „Frënn vun der Schlënner“, mis en place sous l’impulsion de Camille Gira (mort en 2018), mais encore inactif.
Les possibilités sont multiples. Il suffit de retrouver les destinations des habitants qui ont quitté cette vallée trop encaissée dans l’espoir de récolter les promesses de la modernité (les Wiltgen à Nova Petrópolis au Brésil, les Kirtz à Rose Creek aux Etats-Unis ou encore les Schlim à Paris), pour se dire qu’une histoire mondiale peut s’écrire au départ d’Oberschlinder.
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Do hun ech virun +60 Joor mol eng Zäit gewunnt ( natiirlech nët an der Kapell)