Retro 2019 / Fake Lëtzebuerg
L’année 2019 aura été celle de l’entrée du Luxembourg dans la cour des démocraties qui ont vu un genre musical, le rap, convoquer à la barre de la justice. Les intentions de Turnup Tun, en composant le morceau „Féck Lëtzebuerg“, étaient pourtant limpides. Elles constituaient un coup de gueule d’un jeune homme contre la propagande d’hommes politiques et de théoriciens d’extrême-droite. Il y signifie sur un ton provocateur ne pas appartenir au même monde que ceux qui s’approprient le pays, la langue, la monarchie et la colère des gens. Et comme le rap est l’héritier de la rue et de son langage, le „Féck“, répété 22 fois n’était bien évidemment pas une invitation aux ébats sexuels, mais le recours à un terme de la vie courante qui signifie un ras-le-bol.
Le message était d’autant plus fort que le rappeur est le fils d’un musicien bien installé qui chante en luxembourgeois. En disant qu’on pouvait être Luxembourgeois et dire „Féck Lëtzebuerg“, Tun Tonnar a rendu un grand service à la (définition de la) nation. Être Luxembourgeois, cela peut être avoir une carte d’identité luxembourgeoise. Le garçon a depuis rappelé tout le bien qu’il pense de son pays.
La haine aurait été d’autant plus grande, si c’était un enfant d’immigré, qui plus est de couleur, qui avait été l’auteur du morceau. Les Etats-Unis, et la France, en savent quelque chose. Dans le berceau du rap, la justice a pris l’habitude d’utiliser les paroles de chansons pour incarcérer des rappeurs, leur refusant tout droit à jouer de l’ambiguïté entre le fait et la fiction. Pour la sociologue américaine Andrea Dennis, le rap est la seule forme d’art fictionnel qui soit traitée ainsi. Sa thèse est que cette approche permet de dissimuler et à laisser libre cours à la force véritablement à l’oeuvre: le racisme. „Johnny Cash aurait-il dû être accusé de meurtre après avoir chanté: `J’ai tué un homme à Remo juste pour le regarder mourir’?“, demande-t-elle avec Erik Nielson dans l’ouvrage „Rap on trial“, sorti en novembre.
C’est aussi une impossibilité de la fiction dans le rap, que signifiaient des associations féministes en poursuivant le rappeur français Orelsan, pour incitation à la haine, à cause d’une chanson sur les désirs de violence d’un homme envers son ex. La Cour d’appel de Versailles, en 2016, avait toutefois affirmé que ce qui est permis au cinéma l’ait aussi au rap, à savoir la „création artistique inspirée du mal-être, du désarroi et du sentiment d’abandon d’une génération en violation du principe de la liberté d’expression“.
„Féck Lëtzebuerg“ s’inspire de la révolte d’une jeunesse contre les manipulations de politiciens aux vues étroites. La justice a heureusement relaxé Turnup Tun en première instance. Il lui reste à le confirmer en appel le 26 février.
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