Racisme au Luxembourg / Une lutte qui est toujours d’actualité
En l’absence de véritable lutte institutionnelle contre le racisme et ses racines, les micro-agressions continuent de polluer le quotidien et la santé des afro-descendant-e-s.
Aux yeux de Sandrine Gashonga, les cris et insultes de singe appartiennent au racisme primaire, le plus visible, le plus condamnable et le plus condamné. Mais il est moins fréquent que les pratiques structurelles, qui guident les discriminations dans l’accès au logement, dans l’orientation des élèves ou encore le traitement hospitalier.
Si la récente mort de George Floyd aux Etats-Unis a touché de nombreux afro-descendants qui se sont réunis en nombre vendredi devant l’ambassade des Etats-Unis, c’est qu’il y a bien un rapport dans la manière de considérer les afro-descendants de part et d’autre de l’Atlantique. „C’est bien la preuve qu’il y a quelque chose qui résonne en nous et nous fait prendre conscience que la situation des Noir-e-s ici n’est pas tellement différente de celle des Noir-e-s là-bas. Les gens sentent bien qu’il y a des similitudes, que c’est la négritude, le fait d’être Noir-e qui est en cause“, explique la présidente de „Lëtz Rise Up“, l’association créée en novembre 2019.
Cela vaudrait d’autant plus pour le Luxembourg que le problème y est nié. „Ici, le racisme est amplifié parce qu’une partie de l’histoire du Luxembourg n’est pas du tout évoquée, est complètement taboue: sa participation à la colonisation belge. Le développement de commerces et industries, les expositions coloniales et leur zoos humains sur le territoire ont forgé l’image des personnes noires au Luxembourg.“
Pour expliquer l’absence d’évolution tant au niveau du racisme institutionnel que des microagressions au quotidien, Sandrine Gashonga évoque le „déni incroyable de la part des politiques“ que les réactions à l’explosive étude „Being Black in Luxembourg“ de l’Agence européenne des droits fondamentaux ont démontré. „Le principe du racisme est de donner des privilèges à des personnes qu’on enlève à d’autres personnes. C’est pour ça que c’est très difficile à combattre. Une partie de la population devrait renoncer à ces privilèges“, dit-elle. C’est pour cela qu’elle voit de l’espoir dans la prise de conscience et d’organisation des afro-descendant-e-s que l’amélioration ne pourra venir que d’elles et eux.
Un problème de santé publique
Membre de l’association d’afro-descendantes Finkapé, également récemment constituée, Aldina Ganeto, fait le même constat. Entre la situation qu’elle a vécue jeune dans les années 70 et celle qu’a vécu son fils dans les années 2000, peu de choses ont changé. „Ce qui est navrant, c’est d’être obligée à 53 ans de constater qu’il n’y a aucune évolution. On est toujours discriminés de la même façon“, dit Aldina Ganeto. „Les gens n’imaginent pas du tout ce qu’on doit surmonter chaque jour. On nous rappelle tout le temps qu’on est noire, qu’on est étrangère. J’ai grandi au Luxembourg, j’ai vécu ici, j’ai la nationalité luxembourgeoise et on me rappelle chaque jour que je suis noire étrangère. Je parle couramment le luxembourgeois et on m’adresse la parole uniquement en français. On me renvoie tout le temps à la couleur de la peau. J’ai l’impression que je ne suis que la femme noire et pas simplement Aldina Ganeto. J’achète un pain, je suis de nouveau noire, je vais à la pharmacie, je suis encore noire. On peut essayer de s’intégrer un maximum, c’est toujours insuffisant. C’est une frustration continue, quotidienne.“
Spécialiste d’hygiène sociale, Ganeto juge qu’on ne prend pas assez garde aux conséquences psychologiques et physiques de ce racisme ordinaire. Elle observe dans les populations d’origine cap-verdienne énormément de dépressions et même de suicides parmi les plus de 50 ans, que l’on peut relier à ce racisme ordinaire. „Le micro-racisme, les situations blessantes auxquelles on est tout le temps attentif, créent un stress continu auquel on doit faire face. A long terme, cela a des conséquences psychologiques.“ L’effet est décuplé par le manque d’empathie et d’écoute auprès de thérapeutes comme des institutions. „On ignore qu’il y a le racisme. Et on ignore ce que cela fait aux personnes. Si on savait ce que cela peut faire les gens feraient peut-être attention. Mais comme c’est un tabou, on continue, dans l’indifférence.“
En juin 1972, le Land, encore lui, dénonçait une circulaire ministérielle qui renonce à renouveler les autorisations de séjour de travailleurs africains et asiatiques „en raison des difficultés d’assimilation et de rapatriement éventuel“. Il avait déclenché des réactions à forte connotation colonialiste de lecteurs qui espéraient que le Luxembourg puisse faire l’économie de tensions raciales vécues ailleurs. „Nous aurons le racisme ici seulement si nous prétendons de ne pas être racistes comme vous et accueillir un gros nombre de ces gens-là à volonté“, disait l’un deux. Nier l’existence du racisme pourrait bien être la solution finalement trouvée pour maintenir les afro-descendant-e-s dans l’invisibilité.
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