France / Deux fois plus de voix pour le RN que pour les macronistes aux européennes?
L’approche des élections européennes suscite évidemment la prolifération des sondages, en France comme ailleurs dans l’UE. Mais les enseignements de ces enquêtes d’opinion, même s’il ne s’agit encore que d’une préfiguration de ce que pourrait être, dans un peu moins de huit semaines, la configuration finale de ce scrutin dans l’Hexagone, ont de quoi remplir d’espoir l’extrême droite lepéniste, et d’effroi le camp macroniste – mais aussi celui de la droite modérée.
Car jour après jour (l’expression n’est pas exagérée puisque plusieurs grands médias pratiquent ce qu’on appelle désormais le „rolling“, autrement dit le sondage quotidien, véritable supplice chinois pour la plupart des partis), se confirment deux tendances. L’une est déjà désastreuse pour la „majorité présidentielle“, étant entendu que les guillemets s’imposent plus que jamais; quant à la seconde, un peu plus subtile, elle est presque aussi préoccupante pour son avenir.
Les derniers chiffres publiés par au moins deux instituts de sondages montrent en effet que la liste conduite par Jordan Bardella, le jeune lieutenant de Marine Le Pen qui est aujourd’hui le président du Rassemblement national, obtiendrait, si le vote avait lieu demain, quelque 32% des voix, contre un maigre 16% pour la liste émanant du parti macroniste Renaissance.
Le rapprochement des deux chiffres est terrible: le score annoncé pour le RN serait exactement le double de celui du camp présidentiel, dont on aurait pu penser qu’il était pourtant assez à l’aise – plus, en tout cas, que celui de l’extrême droite nationaliste – sur le terrain européen.
Un parti „attrape-tout“?
La formation lepéniste, au-delà d’une dédiabolisation qui semble bel et bien réussie, est manifestement, désormais, dans la position d’un parti „attrape-tout“, du moins tous les mécontentements, assez indépendamment de ses propres orientations – un peu comme le fut jadis le PCF. Mais il se trouve en outre favorisé par une actualité tragique: l’accumulation de meurtres et autres violences exercées contre des jeunes, garçons et filles, au nom d’une vision radicalisée de l’islam, et qui lui permet de marteler à l’envi sa condamnation de „l’immigration sans contrôle“, comme on dit à l’extrême droite.
Mais sur ce front électoral européen, les supporters du chef de l’Etat paient sans doute aussi, au moins pour l’instant, plusieurs erreurs. A commencer par celle de placer en tête de liste une femme certes estimable, députée européenne sortante au bilan parlementaire personnel honorable, mais parfaitement inconnue du grand public, et peu rompue aux joutes politiciennes: Mme Valérie Hayer.
Un temps pressenti par l’Elysée et Matignon pour occuper cette fonction, le ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire, qui a notoirement d’autres ambitions plus élevées, a catégoriquement décliné l’offre. A quoi il faut ajouter qu’en cette mi-avril, la liste des supporters du président de la République peine toujours à se constituer, en dehors de quelques personnalités placées en position éligible … mais pas en tête de liste.
La montée en puissance de Glucksmann
Second enseignement préoccupant pour l’exécutif, même s’il est moins spectaculaire que le grand écart creusé entre le RN et le camp présidentiel: le fait que ne cesse de gagner des points dans les sondages la liste conduite par Raphaël Glucksmann, personnalité plutôt brillante de la sociale-démocratie pro-européenne, qui a fondé un mini-parti, „Place publique“. Et à laquelle le Parti socialiste a eu l’intelligence tactique de se rallier, plutôt que de rester prisonnier de son alliance circonstancielle des législatives de 2022 avec la Nupes de Jean-Luc Mélenchon et sa stratégie populiste et pro-Hamas. La liste de Glucksmann tend donc à concurrencer de manière de plus en plus serrée celle de Renaissance, avec au moins 13% des intentions de vote.
La „majorité“ présidentielle écrasée par l’extrême droite, et grignotée par la gauche modérée: il y a là, en effet, de quoi faire trembler l’Elysée et Matignon. Mais cet effroi n’épargne pas la droite elle aussi modérée: sa liste, conduite comme en 2019 par le jeune philosophe François-Xavier Bellamy, ne cesse de descendre sondage après sondage dans les intentions de vote annoncées par les électeurs interrogés. Elle se situe aujourd’hui autour de 7%, voire un peu au-dessous. Et celle des écologistes, conduite par Marie Toussaint, n’est pas dans une meilleure position, tout comme celle de La France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon, et celle de Marion Maréchal, plus marquée encore à l’extrême droite que celle de Jordan Bardella.
Reste une inconnue douloureusement ressentie, pour le coup, par tous les partis: le chiffre de l’abstention. D’un scrutin européen à l’autre, la participation électorale a eu tendance à se réduire, et cette tendance pourrait bien se confirmer le 9 juin prochain, puisque pour l’instant seuls 42% des électeurs interrogés se déclarent certains d’aller voter. Et cela alors même que jamais encore des élections européennes au suffrage universel direct n’ont eu lieu dans un climat où l’Europe, justement, se trouve confrontée à de tels enjeux, qui touchent à sa sécurité collective et à son unité politique et stratégique, donc, d’une certaine façon, à son avenir.
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