Exposition / Le peintre Titus Schade à la Konschthal: La tentation de l’atemporel
La Konschthal offre au peintre allemand Titus Schade sa première exposition monographique hors de son pays. L’ancien magasin de meubles se prête particulièrement bien à accueillir les ambiances complexes et tortueuses de l’artiste de Leipzig.
Après Tina Gillen en 2023, il y a comme une évidence et une continuité dans le fait d’exposer Titus Schade en 2024 à la Konschthal. La parenté dans les démarches de ces deux artistes peintres est établie. Ils jouent tous deux avec le réel pour mieux le transformer, avec un goût prononcé pour l’architecture et les lieux déserts. Même s’il faut reconnaître au travail du second nommé une plus grande virtuosité.
Si la Konschthal a vocation à présenter les artistes luxembourgeois qui en ont l’envergure (Filip Markiewicz avait été un des premiers exposés), elle souhaite aussi participer à l’émergence et à la visibilité d’artistes des pays voisins. Le peintre de Leipzig se voit offrir ici sa première exposition monographique hors de ses frontières. C’est aussi une reconnaissance pour le rayonnement culturel constant de la ville de Leipzig, qui, comme le rappelait le directeur des lieux Christian Mosar, lors de l’ouverture de l’exposition, a une des académies d’art les plus anciennes d’Europe et a enfanté des artistes comme Max Beckmann et Neo Rauch, auprès duquel Titus Schade a étudié.
Histoires de couches
Le nom donné à l’exposition „Tektonik“, a trois sens. C’est d’abord l’art de construire en grec ancien, ce qui renvoie à l’architecture, omniprésente dans les tableaux de Titus Schade. Elle évoque aussi la géologie, la tectonique des plaques et à travers elle les dangers naturels qui souvent semblent menacer les édifices dans ses peintures. Mais c’est aussi l’évocation du couche par couche, employé non seulement dans la technique pour la réalisation des tableaux par le peintre que dans le sens des images. Titus Schade crée des ambiances, en commençant par peindre le fond de ses tableaux en noirs, sur lesquels vont s’illuminer des motifs. „Si je faisais des films, ils passeraient fait plutôt dans les programmes de nuit“, aime-t-il dire.
Ses peintures sont censées infuser dans l’espace de la Konschtal. Le caractère brut et froid des lieux colle d’ailleurs particulièrement bien, tandis que les étages permettent de multiplier les perspectives sur les différentes périodes de sa carrière artistique. 70 tableaux représentatifs de la carrière de celui que, à ses débuts, Neo Rauch comparaissait à Frantz Radziwill, sont présentés.
Sa peinture n’est pas réaliste, ni surréaliste, comme le souligne Christian Mosar. Mais c’est un entre-deux, des constructions artificielles, des paysages qui en deviennent étrangers, dont on ne sait quand ils ont été peints ni à quelle époque ils évoquent. Il faut savoir que pour Titus Schade l’atemporalité est la marque d’un bon tableau, comme il le dit dans le très bel entretien mené par Raimund Stecker dans le très beau catalogue qui accompagne l’exposition.
On n’en saura pas plus sûr quel événement a pu les vider de leurs êtres humains, dont les feux encore allumés (ceux de la voiture comme ceux d’un brasier dans un même tableau qui joue sur l’anachronisme) indiquent une présence récente. Ce pourrait être le passage de troupes durant la guerre de Trente ans, comme une révolte urbaine bien plus récente. Quand Titus Schade pose sa signature sous forme de graffiti, on pourrait se croire dans un tableau de Guillaume Bresson, dont les émeutiers auraient déserté les lieux.
Titus Schade s’inspire des logements collectifs de son Allemagne de l’Est natal (il est né en 1984), comme des vestiges de la guerre et les arrières-cours intrigantes de sa ville de Leipzig. Titus Schade ne joue pas avec la vraisemblance. Il l’indique d’ailleurs en peignant ses décors sur des tables ou sous des lumières à la manière de maquettes. De même à la manière des études du couple de photographes Bernd et Hilla Becher, il pose sur des étagères différentes typologies de ses maisons. Il s’amuse aussi à s’imaginer les dégâts causés par une étagère qui cèderait.
Caprices de Leipzig
Le motif du moulin revient très souvent dans les peintures de Titus Schade. Cela nous rappelle l’omniprésence de ce type de bâtiments dans le paysage jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. C’est un motif des peintres paysagistes du siècle d’or hollandais. Il indique non pas le contrôle de l’homme sur la nature, mais au contraire l’inverse, la fragilité face à la catastrophe imminente. Titus Schade s’avoue aussi marquer par la catastrophe de Tchernobyl et des images des lieux abandonnés à la va-vite. Il n’en dit pas beaucoup plus, préférant laisser le spectateur y voir les références qu’il veut.
Dans son introduction au catalogue de l’exposition, Christian Mosar parle d’un vocabulaire visuel qui, sous certains aspects, peut être pris pour une variation à Leipzig des capriccios vénitiens, ces combinaisons d’éléments architecturaux réels et d’autres fantaisistes, inventés par Antonio Visentini et Canaletto.
Le terme d’„unheimlich“, l’inquiétante étrangeté, d’autant plus étrange quand elle est éveillée dans un endroit familier, est le terme qui colle sans doute le mieux à ses tableaux.
A la Konschthal jusqu’au 1er septembre 2024.
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