France / En dissolvant l’Assemblée, Macron tente un dangereux coup de poker face au RN
Le président Macron, dont la liste qu’il soutenait pour les élections européennes a été sévèrement battue dimanche par celle du Rassemblement national, tout en étant talonnée par celle du PS, a créé la surprise, pour ne pas dire la stupeur, en annonçant dans la foulée de l’annonce de ces résultats – prédits par les sondages, mais calamiteux pour son parti – la dissolution de l’Assemblée nationale, avec de nouvelles élections législatives les 30 juin et 7 juillet. Et cela contre l’avis de la présidente de l’Assemblée et du premier ministre, qui aurait même proposé sa propre démission.
Deux séismes. L’un attendu, quoique déjà spectaculaire; l’autre carrément sidérant, et qui a pris, une heure à peine après le premier, toute la classe politique française de court.
Ce séisme attendu est évidemment le résultat du Rassemblement national aux élections européennes de dimanche: environ 31,5% des voix, soit certes un petit peu moins que les pronostics les plus optimistes pour sa liste, conduite par Jordan Bardella, mais clairement plus du double de celle, macroniste, de Renaissance dirigée par Valérie Hayer et qui n’obtient que 14,5%, Et est suivie de près par celle de Raphaël Glucksmann que soutenait le PS (13,9%), puis celle de La France Insoumise, qui peut se flatter, avec 9,9 % des suffrages, d’avoir démenti les prévisions moins favorables des sondages, et celle de Reconquête de Marion Maréchal, elle aussi d’extrême droite, et des Verts, l’une et l’autre dépassant de justesse la barre des 5% des voix permettant d’obtenir de sièges au Parlement européen.
La poussée lepéniste était plus qu’attendue, de même que la médiocrité du score de la liste macroniste – on se demandait même si elle n’arriverait finalement pas qu’en troisième position, derrière celle de la gauche modérée – ou encore la chute spectaculaire des écologistes, en désamour manifeste, ces derniers temps, avec l’opinion, et point seulement celle des agriculteurs. Le problème, pour le chef de l’État, était que, s’étant de plus en plus personnellement impliqué dans la campagne de Mme Hayer, y entraînant aussi son premier ministre (voir Tageblatt du 7 juin), la défaite de ses partisans aux européennes soit aussi, voire avant tout, la sienne; surtout dans de telles proportions.
Supputations
Or c’est exactement ce qui vient de se produire. Certes, le chef de l’État ne semble pas avoir envisagé une seconde de démissionner après un tel désaveu électoral, ce à quoi rien, d’ailleurs, ni dans la Constitution ni dans la tradition politique française, ne l’eût obligé. Ni même réellement incité, en dépit du précédent exemplaire, mais resté unique, du général De Gaulle quittant l’Elysée au soir d’un référendum perdu, le 27 avril 1969. Mais Emmanuel Macron – second séisme – a choisi une réplique presque aussi spectaculaire en dissolvant l’Assemblée nationale. Oubliant au passage que quelques jours plus tôt, interrogé par un hebdomadaire sur ce qu’il ferait en cas d’échec lourd, il avait exclu toute initiative de ce type en expliquant: „À scrutin européen, réponse européenne.“
Au sein d’une classe politique brusquement renvoyée à la fébrilité des campagnes électorales – et celle-ci sera particulièrement courte: trois semaines à peine, avec dépôt des candidatures dès le week-end prochain dans les 577 circonscriptions – les supputations vont bon train pour tenter de comprendre ce qui a bien pu pousser le président de la République à ce qui, en l’état actuel des rapports de force dans l’opinion, s’apparente pour beaucoup à un suicide politique.
La première hypothèse est que M. Macron fait le pari que parmi les électeurs qui ont été si nombreux à voter pour l’extrême droite, pas très loin de 40% au total, il y en aura beaucoup qui, placés devant la responsabilité de confier la direction du gouvernement à la formation lepéniste, normalement à son président Jordan Bardella, vont se ressaisir et modifier leur vote aux législatives; même si rien ne semble le laisser prévoir à ce stade. Une telle évolution lui permettrait de faire la preuve qu’il n’existe aucune majorité de rechange du côté de l’extrême droite, mais aussi qu’entre modérés – la droite de la gauche et la gauche de la droite se ralliant au centre macroniste – une issue raisonnable resterait au contraire possible.
Un coup de poker
D’autres lui prêtent cependant un plan secret beaucoup plus retors: celui d’installer en effet aux commandes, dans le cadre d’une nouvelle „cohabitation“ entre l’Élysée et Matignon, un Rassemblement national qui ne tarderait pas à faire la preuve de son incompétence, en matière économique et sociale notamment, et serait d’autre part, s’agissant du contrôle de l’immigration, contraint au même rétropédalage que Mme Meloni en Italie. Ce qui ne manquerait pas d’ouvrir les yeux de ses électeurs, escompte le chef de l’État. Dont le mandat présidentiel arrive de toute façon à son terme au printemps 2027, mais qui pourrait ainsi espérer, soit reprendre la main avant – trois ans ou presque, c’est encore long –, soit au moins faire place nette pour son successeur.
Le problème étant qu’il s’agit dans un cas ou dans l’autre d’un coup de poker, avec lequel M. Macron ne joue pas seulement son propre destin, ce qui après tout le regarde, mais aussi celui des Français. Pour l’homme qui promettait dès 2017, et encore lors de sa réélection de 2022, de chasser l’extrême droite du paysage politique de l’Hexagone, avoir cédé ainsi, en moins d’une heure dimanche soir, à l’ordre de M. Bardella de dissoudre l’Assemblée, l’écart risque d’être bien difficile à gérer. Même et surtout s’il se confirme qu’il va diriger personnellement la campagne de „ses“ candidats, ce qui ne rassure pas ces derniers au vu du succès avec lequel il l’a fait pour les européennes.
Dès hier après-midi en tout cas, le RN et Mme Maréchal pour Reconquête étaient en concertation stratégique. Cependant que la gauche, fragmentée à l’issue d’une campagne européenne où ses différentes composantes ne se sont pas épargnées, tentait de son côté de panser quelques plaies d’amour-propre, et surtout de recoller les morceaux. Sous diverses appellations possibles, dont celle de „Front populaire“, comme en 1936; mais pas, probablement, celle de la Nupes, que Jean-Luc Mélenchon ne désespère pourtant pas, à l’évidence, de ressusciter. Même s’il n’a plus, lui rappellent sans ménagement ses ex-partenaires socialistes, la prééminence à gauche.
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