Artistes entre Luxembourg et Berlin / Filip Markiewicz révèle: „Des centres d’art à Berlin ont fermé à cause de promoteurs luxembourgeois“
De passage à Berlin, où il a vécu pendant plusieurs années, Filip Markiewicz revient sur sa dernière exposition „Phantom Power“ à Potsdam, sur l’importance du jeu et de l’expérience partagée dans la pratique artistique.
„J’aime bien être à Berlin, mais pas trop longtemps“, explique Filip Markiewicz. „Je trouve que la ville a beaucoup changé, en une dizaine, vingtaine d’années au moins. Mais j’aime bien prendre ce qui s’y passe artistiquement. J’en suis parti pour des raisons personnelles, mais aussi par sentiment d’en avoir fait le tour. Enfin, c’est difficile d’avoir fait le tour de Berlin, j’éprouvais peut-être une forme de saturation artistique. La précarité qui prévaut pour les artistes y est assez déprimante au bout d’un moment. C’est assez difficile de trouver une sorte de point de chute pour pouvoir se développer.
À Hambourg, j’ai autre chose, une sorte d’anonymat. Bon, c’est une ville plus chère aussi, donc ça n’arrange pas l’affaire, mais parfois j’ai l’impression que Berlin est un peu une parenthèse … un mirage. Hors de la réalité. C’est devenu, je ne sais pas, une forme d’idéal de culture un peu raté. Toute cette culture qui se voulait faite de bricolage et idéaliste philosophiquement, s’est finalement fait acheter par les promoteurs immobiliers. Dont des Luxembourgeois, d’ailleurs. Il y a des centres d’art, comme nGBK, à Kreuzberg, qui ont fermé à cause de promoteurs luxembourgeois.“
C’est dans son atelier à Hambourg que Filip Markiewicz a peint les toiles qui composent à présent la majorité de l’exposition „Phantom Power“, visible jusqu’au 20 octobre au centre d’art Kunstraum Potsdam. „Les sujets de mes dernières toiles sont assez mélancoliques. Il y a des natures mortes. De la solitude. De sujets qui viennent peut-être du réalisme américain, comme Edward Hopper. Peut-être en lien à ce qui se passe dans le monde … toutes ces femmes ukrainiennes qui se retrouvent seules … Je ne l’ai pas traduit comme ça, je n’ai pas fait des portraits de femmes ukrainiennes, j’ai plutôt peint des lofts hollywoodiens, mais dans une sorte de solitude. Il y avait cette idée de faire un film en peinture, c’est-à-dire une sorte de storyboard peint, inspiré par différentes périodes de l’histoire de l’art et du cinéma. J’aime bien le cinéma de David Lynch, notamment pour son côté proche de la peinture. Il s’est souvent inspiré de Bacon, Hopper et David Hockney. Ce sont des références qui m’inspirent. Ce côté un peu détaché, un peu théâtral, de mise en scène et mise en abyme. Une sorte de jeu de la peinture dans la peinture.“
Les projets s’accumulent
Markiewicz n’a pas le temps de ressentir un baby blues après l’exposition, car les projets s’accumulent, d’une forme d’art et d’expression à une autre. „J’ai souvent l’impression que je n’ai aucune idée. C’est au moment de produire, de faire, que l’idée se cristallise. En même temps que je travaillais sur l’expo à Potsdam, j’enregistrais un album pour mon projet Raftside. Je prépare une pièce aussi, je réalise des clips. Tout se fait un peu en même temps, et l’un inspire l’autre. Je n’ai pas une liste d’idées où je me dis – cette idée prendra cette forme-là, celle-ci, cette forme-ci. C’est peut-être naïf. Parfois, il me paraît très difficile de trouver un titre d’expo, par exemple, car résumer une sélection de peintures par un seul titre est compliqué. En même temps, je n’aime pas les œuvres qui s’appellent ‚Sans titre’. Ça m’énerve. J’aime bien donner un titre quelque peu tordu. Du coup, je donne souvent des noms assez génériques. ‚Phantom Power’, c’est un système qui vient de l’audiophonie, pour amplifier les micros, l’alimentation fantôme. On peut traduire ce titre métaphoriquement, comme on veut. Il y a quelque chose de poétique, mais j’aime bien l’aspect très technique aussi, et le fait de jouer sur cette dualité.“ Qu’il peigne, compose, joue, sculpte, écrive, mette en scène, filme ou expérimente avec l’intelligence artificielle, le plaisir a un rôle central dans les différentes pratiques de l’artiste multidisciplinaire.
Finalement, le plus important, c’est qu’il y ait ce jeu, que le spectateur joue également et qu’il se forme un dialogue autour de ce jeu, qu’on joue ensemble. C’est fondamental pour la structure d’une société.artiste
Produire pour le plaisir
„Je crois que je ne fais tout ça que pour le plaisir en fait. C’est vraiment très égoïste. Mais je fais ce que j’aime bien. Avant de peindre, je me demande: ‚Qu’est-ce que j’aimerais voir comme expo?’ Je suis très consommateur de culture. Je vais voir plein de concerts, plein d’expos, plein de pièces de théâtre et du coup, je suis très critique envers moi-même. Mais souvent, quand je fais quelque chose, je ne pense pas au fait que ça va être exposé ou montré. Surtout en musique et en peinture. Il y a des gens qui font du yoga. Moi, j’aime peindre. Parce que ça permet d’éviter la technologie, les écrans. Ça oblige à une rigueur de lenteur. Et je trouve ça extrêmement agréable d’avoir ce temps long et de voir des accidents se créer sur la toile. C’est frustrant, souvent. Je trouve toujours que c’est mauvais. Mais au bout d’un moment, on sait aussi appréhender le fait que la peinture ne se dévoile vraiment que vers la fin. Il faut être patient avec tout ce processus assez squelettique et par moments abstrait. Jusqu’à ce qu’il devienne ce qu’on a envie qu’il devienne.
Je n’avais pas cette patience il y a une vingtaine d’années. Je peignais à l’acrylique, qui est beaucoup plus rapide. Je me disais que je me mettrais à la peinture à l’huile quand j’aurais 40 ans. Et aujourd’hui, c’est un pur plaisir. Comme la musique. Parfois, j’ai une idée de morceau, j’en enregistre quelques bribes, ça part un peu dans tous les sens … J’ai une centaine d’esquisses de morceaux. Certains ont un peu plus de lumière, de couleurs et deviennent quelque chose d’autre. D’autres restent là pendant une dizaine d’années, je ne les touche pas. Mais au moment de commencer un nouvel album, j’écoute pas mal de ce que j’ai fait et enregistré, et ça me donne beaucoup d’idées qui se mélangent. Je suis comme un enfant qui joue aux Lego, qui essaie de prendre une pièce là, voir ce que ça peut donner. Et le tout s’écroule et il recommence. C’est du jeu. Le plaisir vient de là, du jeu. C’est une pratique qui est intellectuelle, on va dire, mais très ludique aussi. Je pense que c’est important de garder ça.
Processus inverse
Et peut-être aussi de le transmettre aux gens qui décident de la culture. Tout n’est pas un chiffre – combien de spectateurs, combien d’objets vendus … Finalement, le plus important, c’est qu’il y ait ce jeu, que le spectateur joue également et qu’il se forme un dialogue autour de ce jeu, qu’on joue ensemble. C’est fondamental pour la structure d’une société. Pour qu’on ne tombe pas dans une sorte d’absurdité, mais aussi d’autoritarisme. On a ça aussi chez nous, ce genre d’oligarchie culturelle. Même au Luxembourg. Beaucoup de structures culturelles sont basées sur une sorte de hiérarchie, de décisions très politiques et très économiques, sans qu’on sache vraiment de quoi on parle. On oublie qu’il s’agit d’œuvres d’art. Les décisions sont prises dans un processus inverse: on construit d’abord de gros bâtiments, on crée de grosses structures, qu’on cherche à remplir dans un deuxième temps. Alors on prend des listes d’artistes au hasard, sans vraiment s’intéresser à ce qui est fait. C’est assez dangereux.
On construit d’abord de gros bâtiments, on crée de grosses structures, qu’on cherche à remplir dans un deuxième tempsartiste
Je compare ça aux enfants qui jouent mal. Il y a des enfants qui arrivent à bien jouer, à construire des choses ensemble, et il y en a d’autres qui arrivent et démolissent la construction en prétendant que ce n’est pas comme ça que ça se fait. Mais un jeu, ça se fait à deux, à trois, et ça se partage! Le plaisir vient de la création en soi, mais aussi du fait de pouvoir expérimenter ce voyage créatif ensemble, et jusqu’au bout.“
Série
Cet article fait partie de la série „Artistes entre Luxembourg et Berlin“, dans laquelle notre correspondante Amélie Vrla présente des artistes luxembourgeois-es vivant à Berlin.
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