Exposition / Cosima von Bonin au Mudam: le désarroi des animaux
Le Mudam consacre à l’artiste plasticienne basée à Cologne Cosima von Bonin sa première exposition au Luxembourg. Quand les personnages de dessin animé deviennent matières à réflexion.
C’est la première exposition institutionnelle d’envergure de l’artiste hors d’Allemagne depuis huit ans. Et on le doit très certainement à la directrice du Mudam, Bettina Steinbrügge, qui présidait aux destinées du Kunstverein de Hambourg de 2014 à 2022 avant de rejoindre le Luxembourg. L’exposition se fait en collaboration avec la Schirn Kunsthalle de Francfort où Cosima von Bonin a exposé au printemps dernier. Ce n’est pas toutefois une simple translation d’œuvres. L’artiste en a confectionné de nouvelles pour cette exposition et a adapté ses installations aux espaces atypiques du Mudam.
Comme au supermarché
Cosima von Bonin considère les espaces d’un musée comme les rayons d’un supermarché. Dans pareilles circonstances, l’accumulation ne peut être un frein. Dans les grandes ailes du premier étage que le Mudam lui a réservées, on ne se sent toutefois jamais submergé comme un consommateur devant des étals. Néanmoins, cette aspiration, en plus d’évoquer les travers de la société de consommation, dit quelque chose aussi de sa manière de considérer l’art, elle qui y est entrée comme par effraction. En effet, à la fin des années 80, Cosima von Bonin est serveuse au Königswasser, un bar mythique de Cologne, fréquenté par la dynamique avant-garde artistique locale, emmenée par Martin Kippenberger et Michael Krebber notamment. Elle se rapproche de ces artistes. Et ce sont eux qui la poussent à créer – son changement de statut fera d’ailleurs l’objet d’une célébration dans le bar.
Depuis lors, elle intègre ses mentors dans ses œuvres par des idées, des citations. C’est ainsi que l’on est accueilli dans le grand hall, par un réverbère recourbé sur lui-même, et flanqué d’une cigarette à la manière d’une enseigne, qui est un hommage aux réverbères pour ivrognes de Martin Kippenberger, qui figuraient des éclairages dessinés par des hommes ivres. Présenter le fait de placer une cigarette fictive dans l’espace comme un acte de subversion peut sembler anachronique. Derrière l’œuvre se cache heureusement aussi une référence au concept de „perdant radical“, concept élaboré par Hans Magnus Enzensberger pour désigner les terroristes solitaires piégés par leur masculinité toxique, bien plus stimulante.
Cosima von Bonin se moque également de la virilité avec ses fusées, désamorcées par leurs couleurs vives. Elle en a placé une sur les deux grandes tables dressées pour l’occasion qui occupent le hall. Sur l’autre, c’est le personnage de dessin animé Daffy Duck qui est représenté en pagne, comme un messie de l’égoïsme et de la fourberie qui sont ses traits de caractère. On le voit plus loin à l’étage en lutte contre son inéluctable disparition derrière l’écran noir où se déploient ses aventures. Sur un tableau, on le voit tenter de repousser l’indication „The end“ qui clôture chaque dessin animé des Looney Tunes.
En dilettante
Le grand hall nous embarque ainsi, sous la houlette de Cosima von Bonin, dans un jeu d’échelle et un voyage dans le temps. Les grandes tables redonnent au visiteur son regard d’enfant tout en faisant appel à son esprit critique adulte. Dessous, tandis que deux huîtres de la même étoffe font de l’espionnage et trois cochons semblent se défier, deux baleines en tissu s’ennuient sur des balançoires, dans ce qui est une évocation de la fatigue, un des thèmes favoris de l’artiste – avec l’échec et l’amateurisme. Elle est entourée d’artisans professionnels qui mettent en œuvre ses idées. Elle revendique le vol et cultive le dilettantisme, jouant avec l’idée de piloter ses assistants depuis son lit.
L’exposition montre des œuvres créées depuis 2014, période qui se manifeste par le recours aux personnages de dessin animé, de bande dessinée ou du monde marin, lesquels ont progressivement remplacé certaines des figures humaines qui peuplaient ses expositions. En habillant, rendant coquets, énervés ou pervers, ces animaux, elle brise le lien de subordination à l’homme de ces derniers.
La série „What if it barks“ de 2018 présente des poissons et requins – dont la majeure partie coiffaient le pavillon central de la biennale de Venise en 2022 –, faits de panneaux affichant les menus devant des restaurants de fruits de mers. Ils sont parés d’objets associés à la plage.
„Ses installations textiles, sculpturales et multimédias subvertissent les icônes de la pop culture et les emblèmes de l’industrie du luxe en mettant en scène des animaux en peluche et des objets du quotidien qui révèlent l’absurdité des rapports de pouvoir et de la consommation de masse“, explique le guide de visite.
Une œuvre carnavalesque
Le livre monographique qui accompagne l’exposition contient les premiers textes en français dédiés à l’œuvre de l’artiste allemande. On y trouve notamment l’écrit de la commissaire Clémentine Proby, qui nous donne à penser que ces créatures qu’on croise sur deux étages du Mudam sont dans un monde qui ressemble au nôtre, mais qui, „contrairement à lui, ne feint pas l’ordre: un monde qui assume le chaos, la vulnérabilité et parfois le vice qui lui sont intrinsèques“. L’experte relève une multitude de paradoxes et de tensions dans l’art de Cosima von Bonin: doux et dur, drôle et sombre, culture populaire et références obscures.
Des menottes accrochées ci et là introduisent de la violence dans un univers plutôt naïf. Des bétonnières parées de tricot rappellent l’industrie du ciment dans laquelle sa famille s’est fait un nom. Clémentine Proby note la dimension carnavalesque, au sens médiéval d’un moment d’expérimentation d’un ordre et des relations sociales différentes. „Le carnavalesque en somme“, écrit-elle, „fragmente les identités et les hiérarchies qui s’y rattachent, soulignant ainsi leur caractère arbitraire, tout en pointant notre capacité à agir pour les modifier.“ Voilà qui pour une artiste de Cologne prend tout son sens.
Info
Jusqu’au 2 mars 2025. L’exposition est accompagnée de la projection de films sélectionnés par l’artiste, une fois par mois, à partir du 27 octobre. Un concert de Moritz von Oswald se tiendra le 8 décembre dans l’auditorium du Mudam. Programme complet: www.mudam.lu.
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