En concert / Après avoir traversé plusieurs générations, la légende du rock Kim Gordon débarque au Luxembourg
De 1981 à 2011, Kim Gordon a été la leader, avec Thurston Moore, d’une des formations rock les plus importantes de tous les temps: Sonic Youth. Depuis sa séparation avec Moore, Gordon sort en solo des chansons qui s’inscrivent dans la continuité de son groupe. En plus radicales encore, plus bruyantes, plus tumultueuses. Plus libres? Décryptage.
Pour la jeunesse 2024, le rock à guitare représente, quelque part, le monde d’avant. Il y aurait le rap, la trap, l’électro, les expérimentations, l’aventure, la soif de fraîcheur. Mais ce n’est alors pas trop du côté du rock qu’il faudrait se tourner: à avoir fait le tour de la question, le genre semble être rayé comme un trop vieux vinyle. Si, à quinze-vingt ans, vient l’envie de se prendre des décharges d’électricité classiques, alors autant piocher dans les bacs à disques des parents, car il y aura potentiellement du rock, mais aussi, justement, cet objet en voie de disparition nommé disque. En 1982, le premier CD est commercialisé („52nd Street“ de Billy Joel); la même année sort l’EP inaugural d’un groupe qui redéfinira et le rock – et la jeunesse: Sonic Youth.
Une alternative
A la guitare et au micro, Thurston Moore et Kim Gordon (complétés ensuite par d’autres membres dont Lee Ranaldo, et Steve Shelley à la batterie). Dans les années 1980, un bon paquet d’utopies s’écroule. Là où la figure du yuppie remplace celle du hippie, et face à la synth-pop conquérante, le rock, déjà vieux, est surtout déjà „autre“. Alors Sonic Youth représente l’alternatif. Le groupe américain redonne au rock une nouvelle santé. Comment? En le triturant, en le malmenant, en le poussant, violemment, dans ses retranchements. Sous la déstructuration, les dissonances et les distorsions, il y a la fragilité pop, la fluidité du songwriting, l’effet brouillon à première vue et la virtuosité à l’écoute. No wave et yes future! Il ne s’agit pas que de se positionner en marge de la musique synthétique en réhabilitant un style fatigué, mais de faire ce qu’ont fait, avant lui, Velvet Underground, Pink Floyd, Can ou Suicide: réinventer le rock. Une tâche pas évidente dans les eighties: le rock, c’est l’avant, Sonic Youth le rend, à nouveau, d’avant-garde. Expérimental. Il fera des petits, qui deviendront grands: Nirvana, Pavement ou Blonde Redhead. La scène noise-pop lui doit aussi bien plus que beaucoup.
A part cet héritage et ce statut culte, que reste-t-il de Sonic Youth? Des albums qui sont devenus, sans conteste, des classiques („Daydream Nation“, 1988) et d’autres, tout aussi essentiels, dont la pochette s’imprime chaque année sur des tee-shirts („Goo“, 1990), et qui font que ce groupe a des airs, à la fois, de „secret bien gardé“ et de machine scénique inépuisable. Grosso modo, il se situerait à la croisée d’un combo rock ultime et d’une bande arty, certes cool, mais indécryptable voire parfois inaudible. Face aux chansons absconses et peu aimables, les plus réfractaires peuvent (ré)écouter les meilleures ouvertures de leurs albums, „Schizophrenia“, „Dirty Boots“, „100%“, sinon „Superstar“, la sublime reprise des Carpenters lancée comme tube indie 2008 par sa synchro dans le film „Juno“. Ces morceaux restent gravés, sur disque, dans le temps et dans le cœur. Mais que reste-t-il de Sonic Youth aujourd’hui, à l’heure où les tendances musicales sont générées par TikTok et les algorithmes? Il reste le couple Thurston Moore et Kim Gordon. Ils font toujours de la musique, ils continuent d’expérimenter. Mais, séparés à la ville comme à la scène depuis 2011, ils font chacun de leur côté.
L’après Sonic Youth
Active depuis plus de quarante ans, Kim Gordon est devenue une référence évidente en tant que figure féminine dans le rock. Il s’agit de parler d’une grande musicienne et performeuse. Mais aussi d’un témoin, de l’intérieur, du rapport entre la musique et les femmes, qu’elle décortique avec force anecdotes dans „Girl In A Band“ (2015), son autobiographie dont le titre reprend la question redondante des journalistes à l’époque: „Ça fait quoi d’être une fille entourée de garçons?“. Au départ, Kim Gordon est elle-même influencée par Patti Smith, Siouxsie ou Lydia Lunch, avec qui le groupe collabore en 1985 sur „Death Valley ’69“, et son parcours peut se lire comme une „expérimentation“. Car oui, Gordon traverse plusieurs générations, évolutions, émancipations; et, en parallèle, elle incarne une clef de sol qui ouvre des portes aux rockeuses les plus intrépides. Sonic Youth, c’est autant Thurston que Kim, c’est autant Kim que Thurston; il n’y a pas de hiérarchie, il n’y a que de la démocratie.
Voir Gordon sur scène, à soixante-et-onze ans, avec ses ongles qui grattent la guitare et sa voix enrouée, renvoie à cette idée selon laquelle le temps, pourtant cruel, n’aurait aucune prise sur elle
Si, dans son livre, Kim Gordon écrit à propos de Thurston Moore: „A cinquante-trois ans, il était toujours le gamin maigre et hirsute du Connecticut rencontré dans un club new-yorkais quand j’avais vingt-sept ans et lui, vingt-deux“, c’est pareil pour elle. Voir Gordon sur scène, à soixante-et-onze ans, avec ses ongles qui grattent la guitare et sa voix enrouée, renvoie à cette idée selon laquelle le temps, pourtant cruel, n’aurait aucune prise sur elle. Au sens strictement musical, non plus. Ses morceaux restent reliés au présent, autant qu’ils tournent le dos à l’époque; elle pourrait se contenter de rejouer du Sonic Youth, de se reposer sur ses lauriers, et ainsi faire bâiller même les inconditionnels. Changer le rock avec un groupe, c’est déjà énorme, elle pourrait abdiquer, mais non, elle joue encore, avec les distorsions, les infrabasses, oscillant entre post-indus, art rap et „trapunk“ (mot-valise pour „trap“ et „punk“).
Par-dessus les lignes de basses pesantes, les percussions et les crépitements, Gordon s’amuse avec la texture de son timbre, l’autotune ou les vrombissements. Elle est libre. Il y aurait bien, pour décrire sa musique en solo, de quoi parler d’„anti-pop“, la matière devient de plus en plus abstraite, la chanson se dilue au profit de la défragmentation. Jusqu’au chaos? Elle n’a plus rien à prouver, alors elle n’a pas peur de ne pas plaire; il y aurait même à se demander, parfois, si elle n’aime pas déplaire. Du bruitisme, de la fureur: avec Kim Gordon, la jeunesse sonique est éternelle.
Kim Gordon au Luxembourg
Ce soir, le 22 octobre, à partir de 19 h à l’Atelier (4, rue de Hollerich, 1740 Luxembourg) à Luxembourg-ville, plus d’informations sur: atelier.lu.
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