Critique littéraire / Le recueil poétique „La voie du large“ par Michèle Finck, tient-il ses promesses?
L’auteure Michèle Finck a été primée pour „La voie du large“, mais ce recueil de poèmes tient-il ses promesses? Et quel est le pouvoir de la poésie? Coup d’œil sur le livre.
Articulé en sept sections qui s’appellent et se complètent (de „La langue au doute“ à „Cantillation du doute et de la grâce“), le recueil „La voie du large“ de Michèle Finck présente une double dimension, à la fois „apocalyptique“ (au sens que le grec ancien donne au verbe „apokaluptomai“, „se découvrir“) et mémorielle, qui constitue une plongée dans l’âme humaine, l’auteure nous guidant à travers un voyage émotionnel à la recherche d’un sens plus profond de soi et de l’autre par le biais de représentations tournées vers l’extérieur, vers „l’autre face: le large“.
Entre promesse et désir
Le lecteur est ainsi amené à envisager la mer comme quelque chose d’insaisissable et de sublime, au sens qu’Emmanuel Kant donne à ce terme, à savoir que l’on fait face à une grandeur et qu’on éprouve notre propre vivant, ce qui correspond à la conscientisation d’une immensité. On ressent ainsi l’agitation d’une âme qui est ébranlée: la forme de sublime que propose la poésie de Michèle Finck est constituée du temps du terrible et de celui du merveilleux. Le large, concret et tangible, représente la promesse d’une unité et d’une totalité inaccessibles, dont les signes se manifestent également dans le souvenir poétique.
L’auteure, par le biais de diverses pièces poétiques, exprime le désir de regarder au-delà de l’idée que l’on se fait de soi-même. Elle suggère que les représentations extérieures, telles que le miroir et l’écriture, ne peuvent pas saisir pleinement l’essence de l’individu – l’identité étant quelque chose qui va au-delà des étiquettes et des perceptions superficielles. Ce recueil s’inscrit dans une dynamique d’écriture de soi envisagée comme une vaste entreprise de reconnaissance adressée aux proches, présents et disparus, aux poètes, à la musique considérée comme la profondeur sourde et la densité du texte poétique.
Chaque poème (souvent de forme fragmentaire) peut en effet être perçu comme un exercice d’écoute, une tentative pour pratiquer non seulement des ouvertures, mais encore des sortes de brèches mémorielles destinées à évoquer un sentiment de transcendance et de recherche de sens. L’impératif esthétique de la brièveté de la forme traduit l’intention poétique de Michèle Finck de rendre possible la coexistence du „maintenant“ et du „toujours“. Il semble donc judicieux de voir dans le choix de la forme fragmentaire un parti-pris à la fois esthétique et philosophique.
Le pouvoir de la poésie
L’auteure aborde différents aspects de la vie émotionnelle dont nous sommes tissés, dans la subjectivité des existants particuliers que nous sommes. Ainsi considérée, la section „Santa Reparata“ („sainte réparée“, mais aussi réparatrice) apparaît comme hautement symbolique dans la mesure où non seulement elle suggère l’oscillation, sensible dans nombre de poèmes, entre „prier“ et „écrire“, mais encore où elle semble poser une question fondamentale: la poésie a‑t-elle vraiment le pouvoir de réparer un monde menacé par la destruction perpétuelle? Le „doute“, motif récurrent du recueil, est peut-être aussi radical que le doute cartésien faisant de son existence même le socle d’une certitude, sorte de „cogito poétique“ par lequel Michèle Finck nous fait comprendre que la poésie, par l’alliance précisément du doute et de la certitude, constitue l’inspir et l’expir d’un même souffle.
A propos de Michèle Finck
Né en 1960, Michèle Finck est poète, essayiste et actuellement professeure de littérature comparée à l’Université de Strasbourg. Le rapport privilégié qu’elle entretient avec les arts la conduit à souhaiter que ses premiers livres de poésie publiés soient des ouvrages bibliophiliques en collaboration avec des artistes (e.g. „Midrash de la mer“ (2002), avec des photos et des peintures de Laury Aime). Après „L’Ouïe éblouie“ (2007) paru aux éditions Voix d’encre avec des gouaches de Coline Bruges-Renard, „Balbuciendo“ (livre marqué par une double épreuve, celle de la séparation en 2004 avec celui qui a été son compagnon et celle de la mort du père en 2008) paru aux éditions Arfuyen en 2012, „La Troisième main“ (Arfuyen, 2015) récompensé par le Prix Louise Labé, „Connaissance par les larmes“ (Arfuyen, 2017) né d’une perte brutale des larmes à l’origine d’une longue méditation sur ce que sont les larmes, „Sur un piano de paille / Variations Goldberg avec cri“ (Arfuyen, 2020) dicté par les „Variations Goldberg de Bach“ et reposant sur le lien entre la musique et l’autobiographie, elle revient sur le devant de la scène littéraire avec une aventure poétique engageant le poème dans une recherche de soi, qui combine les résonances notamment de l’enfance et du présent. Récipiendaire du prix Khoury-Ghata 2024 pour „La voie du large“, Michèle Finck, portée par la musique, les voix et les arts visuels, ancre sa poésie dans la vie et dans ses aléas.
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