/ Sauver la planète ou le système?
Tout en faisant la part des ringards, des propagandistes, journaleux ou députés payés, corrompus, recrutés ou subjugués par les très puissants et omniprésents lobbies – pétrolier et nucléaire – une question demeure: pourquoi le climato-scepticisme, malgré la faiblesse de son argumentation, trouve-t-il un terrain si favorable à sa prolifération?
Parmi moult explications, une paraît décisive. Dès que l’on prend conscience de la gravité du problème écologique, une conclusion finit par s’imposer: pour empêcher le désastre, il faut drastiquement remettre en cause un système qui repose sur une croissance continue et forcée – par le profit – de la production matérielle. Changer de système et bousculer, aussi, nombre de situations acquises. Refuser d’admettre ce qu’annoncent les climatologues permet de croire que rien ne changera, que rien ne sera bousculé. C’est pourquoi derrière le climato-scepticisme se décrypte à livre ouvert l’idéologie la plus platement réactionnaire.
En 2009 plus de 500 scientifiques constituant le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (le fameux GIEC nobélisé) concluaient dans un rapport devenu célèbre que le réchauffement du système climatique – „engendré par l’homme“ – est „sans équivoques“ tordant ainsi le cou aux derniers négationnistes sérieux qui le mettaient en doute et contestaient le rôle déterminant des „activités humaines“ sur le bouleversement du climat de la planète. Les vrais responsables du désastre ne sont pas pour autant désignés.
Que signifient les vagues expressions „engendré par l’homme“ ou „par les activités humaines“? Ce flou ne peut que stigmatiser l’humanité dans son ensemble. Or qui détermine souverainement les activités productives depuis plus d’un siècle? Qui prêche le développement marchand, la croissance, le productivisme à tout crin? Qui détermine les priorités des besoins et les ressources à exploiter? Quel système produit des valeurs d’échange et non d’usage?
Incapacité des gouvernements
Les catastrophes nucléaires, la crise énergétique et climatique ne sont nullement provoquées par les „activités humaines“. „Ce désastre est mis en œuvre par un système de pouvoir qui n’a plus pour fin que le maintien des privilèges des classes dirigeantes“ ainsi, „crise écologique et crise sociale sont les deux facettes d’un même désastre“ (Hervé Kempf, ancien journaliste du Monde). Pourfendre la „responsabilité des hommes“ sans autre précision c’est nier les conséquences du productivisme capitaliste, refuser les lois de la (re)production du capital, et finalement prôner la continuité d’un système de profit, d’exploitation et de catastrophes.
L’incapacité des gouvernements à prendre les mesures nécessaires pour sauver le climat est ancrée structurellement dans les lois fondamentales du capitalisme. La concurrence pousse chaque propriétaire de capitaux à remplacer les travailleurs par des machines qui, en augmentant la productivité du travail, permettent de dégager un surprofit en plus du profit moyen, et de gagner ainsi un avantage compétitif.
Cette course à la rente technologique, qui s’accélère au fil du développement, accentue la tendance du système à la surproduction, et par conséquent à la surconsommation. Surproduction et surconsommation impliquent inévitablement un élargissement du volume de la production matérielle. Celui-ci à son tour nécessite des prélèvements accrus de ressources (notamment énergétiques), d’une part, et des rejets plus importants de déchets, d’autre part.
La tendance à la dématérialisation, à l’efficience dans l’utilisation des ressources et à la transformation des déchets en matières premières peut freiner ce mouvement d’ensemble, pas l’empêcher. Un capitalisme stationnaire constitue une contradiction dans les termes: l’économie capitaliste ayant pour but la production de valeur, c’est-à-dire d’une forme générale et abstraite des valeurs d’échange, il en découle que le capitalisme, selon la formule de Marx, ne connaît d’autre limite que le capital lui-même. C’est dans ce cadre qu’il convient d’analyser le changement climatique.
Lors de ces 50 dernières années, la vitesse moyenne du réchauffement climatique a doublé par rapport aux vitesses observées au cours de ces derniers siècles. Cette situation qui a commencé au XXe siècle, est donc directement liée à l’activité humaine, au travers des rejets de gaz de l’industrie, de l’agriculture et des transports.
L’évolution vient de la teneur en gaz à effet de serre présents dans l’atmosphère, liée à la combustion massive de carbone fossilisé (charbon, pétrole par exemple) qui entraîne une hausse de la concentration de ces dits gaz, et par conséquent une augmentation de la température. Pourtant, ce ne sont pas les salariés, les chômeurs, ni les jeunes qui décident de comment fonctionne cette société. Ce sont les capitalistes qui contrôlent les moyens de productions, et c’est leur système qui est responsable de la situation.
Les conséquences du réchauffement
Les conséquences de ce réchauffement sont visibles à l’œil nu: fonte des glaces, de la banquise, élévation du niveau de la mer, augmentation de la sécheresse ou des précipitations en fonction des endroits du globe. La multiplication des épisodes de précipitations diluviennes ou des ouragans a un lien direct avec le changement climatique.
Dans ces catastrophes, il y a bien entendu des différences de classes. Les plus précaires n’ont pas les moyens d’habiter dans des logements sécurisés pour ces événements, et parfois sont même obligés de vivre dans des zones qui sont connues pour être sujettes à ces catastrophes. Les budgets publics sont plus appliqués à l’armée ou à sauver les grandes entreprises plutôt que de permettre la construction de logement sécurisé, ou au déplacement massif des habitants de ces zones. L’exemple des inondations de la Nouvelle-Orléans aux Etats-Unis en 2005 par l’ouragan Katrina en est un bon révélateur.
Au cœur de la plus grande puissance mondiale, les autorités ont laissé pourrir la situation dans les quartiers les plus pauvres en n’apportant aucune aide aux dizaines de milliers de sinistrés, trop pauvres pour fuir la ville avec leurs affaires. Au même moment des hélicoptères avec les dernières avancées technologiques envahissaient l’Irak. Imaginons maintenant le sort qui est réservé aux populations du Bangladesh qui, avec le réchauffement climatique, seront complètement submergées par la montée des eaux.
Casser la spirale d’accumulation incompatible avec le sauvetage du climat n’est possible qu’en substituant la production de valeurs d’usage pour la satisfaction des besoins réels (forcément limités) à la production de marchandises pour l’accumulation de valeur (potentiellement illimitée). Le système capitaliste est certes inséparable de la croissance de la production et de la consommation matérielles, mais celle-ci constitue un effet, pas une cause. C’est la production de valeur, en tant que forme abstraite des valeurs d’échange, qui entraîne la tendance permanente à l’accumulation sans limites de la richesse à un pôle, et provoque en même temps l’accumulation ininterrompue de misère à l’autre.
Cela fait plus d’une dizaine d’années donc que nous connaissons les raisons du réchauffement climatique et la nécessité de réagir rapidement pour ne pas arriver au point de non-retour qui s’approche dangereusement. Les gouvernements et les grandes entreprises multiplient les décisions, les protocoles, à l’image du sommet qui se déroule à Paris en décembre 2015.
Pourtant rien n’a jamais émergé de ces sommets hormis du vent ou des moyens de se faire encore plus d’argent pour les grandes entreprises. Lors d’une de ces conférences, ils ont ouvert le marché du „droit à polluer: c’est- à-dire que les entreprises peuvent racheter des bons d’émissions de gaz à effet de serre pour continuer à produire et polluer plus!
La cause de ce changement ne fait aucun doute *: c’est le réchauffement de l’atmosphère provoqué par les émissions de gaz à effet de serre, principalement le CO2 provenant de la combustion du pétrole, du charbon et du gaz naturel. La Terre s’est réchauffée de 0,8°C depuis deux siècles. Cela suffira à faire monter le niveau des océans de près de deux mètres dans les siècles qui viennent. Personne ne pourra l’empêcher. Des centaines de millions de gens seront contraints de déménager, des millions d’hectares agricoles seront perdus, des zones urbaines devront être évacuées. Les peuples du Sud seront les plus touchés alors qu’ils sont les moins responsables. Les gouvernements ont ignoré les avertissements.
Les multinationales se frottent les mains
Vingt-trois ans après le Sommet de Rio, les émissions annuelles mondiales de gaz à effet de serre augmentent deux fois plus vite que dans la décennie 90. Malgré la crise économique! A ce rythme, le réchauffement à la fin du siècle ne serait pas de 2°C mais de 6°C. Il en découlerait des catastrophes terribles, totalement inimaginables.
L’urgence est maximum parce que les mesures à prendre sont repoussées depuis des décennies. Les pays „développés“ doivent commencer tout de suite à réduire les émissions d’au moins 10% par an et les éliminer complètement d’ici 2050.
Les grands pays émergents doivent suivre rapidement. Les autres pays ont encore une marge, mais elle se réduit à vive allure. Si rien ne change, la quantité de pétrole, de charbon et de gaz naturel que l’on peut encore brûler sans dépasser 2°C de réchauffement sera épuisée en 2030. La 21e conférence des Nations Unies sur le climat (COP21) aura lieu à Paris en décembre 2015. Les responsables politiques tentent de nous endormir en disant que, cette fois, ils concluront un accord „ambitieux“. Ils concluront peut-être un accord, oui, pour sauver la face. Mais ce qui est certain, c’est que cet accord sera totalement insuffisant du point de vue écologique et très injuste du point de vue social. Son contenu est déjà déterminé à l’avance par les engagements des grands pollueurs: États-Unis, Union européenne, Chine, Japon, Australie, Canada. Sur cette base, le réchauffement de la Terre sera au moins de 3,6 à 4°C d’ici la fin du siècle.
Tous ces engagements ont été négociés avec les lobbies industriels et financiers. Ils sont taillés sur mesure pour leurs intérêts. Les multinationales se frottent les mains à la perspective des nouveaux marchés qui leur sont offerts: nouveaux marchés du carbone, des technologies „vertes“, de la compensation forestière, de la capture-séquestration, de l’adaptation aux effets du réchauffement, etc.
Mais un réchauffement de 4°C, cela signifie une hausse du niveau des mers de 10 mètres à long terme. Sans compter les impacts plus immédiats: déclin accéléré de la biodiversité; plus de tempêtes, de cyclones, de sécheresses, d’inondations, de canicules; diminution de la productivité agricole, etc. La vérité est établie depuis des décennies. Le GIEC est un organisme intergouvernemental, les résumés de ses rapports engagent les Etats. Les solutions techniques existent, les moyens financiers aussi.
Alors, pourquoi les gouvernements ne prennent-ils pas les mesures nécessaires? Pourquoi préconisent-ils des „solutions fausses ou dangereuses telles que le gaz de schiste, les agrocarburants, le nucléaire, la géoingénierie, etc.?
Sauver le capitalisme ou le climat?
La réponse est simple: parce que les gouvernements sont au service des multinationales et des banques qui se livrent une guerre de concurrence pour le profit maximum, que cette guerre pousse les entreprises à produire toujours plus (donc à consommer plus de ressources), et que l’énergie est fournie à plus de 80% par le charbon, le pétrole et le gaz naturel.
Pour sauver le climat: 1°) Plus de 4/5e des réserves connues de combustibles fossiles doivent rester sous terre; 2°) le système énergétique basé sur ces sources fossiles (et sur le nucléaire) doit être détruit au plus vite, avant amortissement; 3°) les productions inutiles, nuisibles ou à obsolescence programmée doivent être abandonnées, afin de réduire la consommation d’énergie et d’autres ressources; 4°) le système despotique productiviste/consumériste et inégalitaire doit être remplacé par un système renouvelable, économe, décentralisé, social et démocratique. Il est possible d’arrêter la catastrophe climatique tout en garantissant une vie digne à tous et toutes. A une condition: prendre des mesures anticapitalistes. Les gouvernements préfèrent détruire la planète, mettre en danger la vie des centaines de millions de pauvres, de travailleurs, de paysans, de femmes et de jeunes qui sont déjà victimes des changements climatiques, et menacer l’humanité d’un chaos barbare où les marchands d’armes feront beaucoup de profit.
Le capital considère la nature et le travail comme sa propriété. Il n’y a pas à choisir entre urgence climatique et justice sociale, c’est un seul et même combat.
* Parmi les très nombreux ouvrages sérieux sur la question il y en a deux qui émergent particulièrement, celui de Naomi Klein: „Tout peut changer“ (Actes Sud, 2014) et les écrits de l’écosocialiste belge Daniel Tanuro, dont notamment: „L’impossible capitalisme vert“ (La découverte, 2010). Voir aussi Robert Mertzig „14 thèses écosocialistes“ (Tageblatt, juillet 2013), qu’on peut retrouver sur facebook: www.facebook.com/robert.mertzig.3
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