Artistes entre Luxembourg et Berlin / Katy de Jesus et l’effet Berghain
Après avoir joué pour la première fois au légendaire Panorama Bar le 8 mars dernier, la DJane Katy de Jesus, luxembourgeoise d’origine portugaise, partage l’importance du Berghain pour son développement musical.
Quand elle n’est pas sur la route, Katy de Jesus promène tous les jours son chien, Disco, dans la jungle urbaine de Lichtenberg, un quartier de Berlin Est, où elle a emménagé il y a peu. „C’est un endroit où je me trouve chaque jour, quelle que soit mon émotion. C’est aussi là que je prends une pause lorsque je me prépare pour un set.“ Née à Luxembourg, au sein d’une famille portugaise, Katy de Jesus est arrivée à Berlin il y a huit ans.
A l’époque, elle ne connaissait pas la ville mais avait décidé, presque sur un coup de tête, de suivre son instinct, quitter son métier de professeure et déménager dans la capitale de la techno, une musique qu’elle venait tout juste de découvrir. „Mes parents sont arrivés au Luxembourg quand ils étaient très jeunes. Ce sont de gros bosseurs, très sérieux dans leur travail, leur rapport à l’argent. Ils attachaient beaucoup d’importance à mettre de côté, acheter un bien immobilier à un moment de leur vie. Ces idées étaient ancrées en moi. Mais dans ma biologie, autre chose l’était également. J’ai suivi un ,droit chemin‘ et puis d’autres choses se sont réveillées. J’ai découvert le monde de la musique électronique. Dans mon métier de prof, il y avait beaucoup de compétition, de dépressions, de burnouts. Je n’étais pas heureuse, pas épanouie. Avec mes économies, j’ai acheté un appartement et j’ai commencé à me sentir angoissée. Je me suis dit: ,Ça y est, t’as acheté un truc et ça va durer jusqu’à la fin de ta vie.‘ J’étais en train de me tromper. Bien sûr, ça faisait peur de lâcher la sécurité que j’avais, car ce n’était pas ainsi que j’avais été éduquée. Mais j’ai tout quitté pour partir avec ma copine de l’époque voyager pendant cinq mois en Amérique latine, en sac à dos. Et au retour de ce voyage, j’étais très attirée par Berlin. Ma passion pour la musique s’est aiguisée, affinée. A l’époque, j’avais une toute petite collection de vinyles qui se résumait à 20 disques que des copains m’avaient achetés. Devenir DJ n’était pas mon but lorsque je suis arrivée à Berlin. Ça s’est développé en parallèle d’un deuxième Master auquel je me suis inscrite ici pour me donner un cadre, ne pas avoir l’impression de flotter. Peu à peu, j’ai commencé à jouer dans des fêtes chez des gens — Untel m’a vue, puis un collectif, et j’ai commencé à jouer dans un premier club, Anita Berber … Ça a commencé comme ça.“
Le 8 mars dernier, Journée internationale des droits des femmes, Katy de Jesus a été choisie pour jouer au mythique Panorama Bar du Berghain — l’un des clubs les plus réputés au monde et la consécration absolue pour tout DJ ou producteur de musique électronique: „La première fois que j’y suis allée, en tant que cliente, pour danser, j’ai été submergée. Il y avait tant de choses à digérer, c’est un monde tellement différent. Il y a beaucoup d’extrêmes, de contradictions. On est confronté à des choses qui ne sont pas visibles dans notre quotidien. J’ai été choquée de ne pas être choquée. Je me suis posé des questions sur moi-même! (rires) En réalité, je me suis découverte. J’ai réalisé: ,Ah, OK, cool, ça, ça te choque pas, ça te dérange pas!‘ J’étais intriguée, curieuse et heureuse dans cet endroit. J’y suis allée seule plusieurs fois. J’y allais premièrement pour la musique, mais aussi pour être dans ce tumulte. Le fait de m’y rendre seule a renforcé ma confiance en moi. J’ai beaucoup évolué dans mon contact avec les gens, la façon dont je les lis. Dans cet endroit, les filtres tombent. Et puis le Berghain m’a permis de découvrir qui j’étais musicalement. J’ai eu des moments d’épiphanie!“
Lors de la soirée du 8 mars, Katy de Jesus était accompagnée de sa partenaire à la ville, la DJane Nathalie Robinson qui mixait également, ainsi que de toute une bande d’amis fidèles, dont certains arboraient des casquettes portant l’inscription „We Love Jesus“ en soutien à la DJane. „Pour nous, c’était symbolique. On a passé beaucoup de temps dans cet endroit à faire la fête, rencontrer des gens, se prendre dans les bras, pleurer de joie, des trucs comme ça. Alors quand j’y ai joué, c’était notre moment à tous. On a vécu ça ensemble, on était tous nerveux pareils, c’était la responsabilité de tout le monde! (rires) Le fait de me dire que c’était notre soirée à tous m’a beaucoup aidée, ça m’a permis d’en profiter. Je regardais les gens, je souriais. Bien sûr j’étais super concentrée, mais j’étais là, vraiment présente.“
Dans mon métier de prof, il y avait beaucoup de compétition, de dépressions, de burnouts. Je n’étais pas heureuse, pas épanouie.
Lorsqu’elle joue, Katy de Jesus met un point d’honneur à être attentive à son public, à capter les regards: „A un bon niveau, un set, ce n’est pas juste le DJ qui le fait. C’est une expérience dynamique. C’est une négociation entre le public et le DJ. Le public donne au DJ, qui lui rend, et inversement. Si je suis dans un endroit vide, je vais produire un certain set, mais si je suis dans ce même endroit avec l’énergie du public, c’est tout à fait autre chose qui va en sortir.“ Que ce soit pour le Berghain, en duo avec Nathalie Robinson pour Arte, ou lors des soirées plus underground que Katy de Jesus co-organise avec son collectif berlino-luxembourgeois hush.maison, la DJane se prépare toujours de la même façon: „Ma manière de travailler est ordonnée, dans un chaos pas possible. (rires) Je ne suis pas comme certaines de mes collègues qui sont prêtes deux semaines avant de jouer. Moi, je prépare jusqu’à la dernière minute, et encore, mon set ne sera jamais entièrement prêt. Ce qui est sûr, c’est que je réfléchis beaucoup au préalable. Je me laisse influencer par le quotidien. Si je suis en voyage dans un tuk-tuk ou au supermarché à faire mes courses et que j’entends une petite musique qui me plaît, j’en prends note, pour l’inclure. Ça me donne une touche d’authenticité dont j’ai besoin pour avoir la gnaque. Sinon, ce n’est pas un défi.“
Le contact était tellement direct avec la musique, c’était comme si je la touchais, comme si je l’arrêtais, puis la laissais de nouveau couler
Katy de Jesus ne joue que sur vinyle, une façon de cultiver un rapport sensuel, sensoriel et presque amoureux à la musique. „J’ai tout autant de respect pour mes collègues qui s’expriment avec des CDJs. Mais la première fois que j’ai touché un vinyle, j’ai été accro, je n’ai plus pu arrêter. Je me souviens exactement d’où et quand c’était, c’était juste avant de partir pour ce voyage en Amérique latine. Pour moi, c’était clair: ,Dès que je rentre, je m’achète le matos.‘ Et je l’ai fait, sur le Boncoin, à Montpellier. Le contact était tellement direct avec la musique, c’était comme si je la touchais, comme si je l’arrêtais, puis la laissais de nouveau couler. Pendant un an et demi, à chaque fois que j’étais chez un ami qui avait des vinyles et que je mixais un peu, j’avais le cœur qui battait, j’étais nerveuse. A chaque fois! C’est un sentiment que je n’ai pas avec le digital. Je ne suis pas à l’aise. C’est comme toucher quelque chose d’extraterrestre. Mais j’ai envie de dépasser ce blocage. Pour Arte, j’avais mis Nathalie (Robinson) au défi de jouer uniquement sur vinyle. Pour le CSD (Christopher Street Day), on va jouer à nouveau en duo à Hanovre, et Nathalie m’a dit: ,Ecoute Katy, maintenant c’est ton tour. On fait tout en digital.‘ (elle réfléchit) Merde! C’est bientôt! (rires) Ce qui me fascine avec les vinyles, c’est l’authenticité. Car avec les CDJs, il faut le vouloir pour ne pas réussir à caler un beat matching. C’est assez facile techniquement, alors qu’avec un vinyle, il y a un aspect organique. Même si tu cales deux vinyles ensemble, ce n’est pas indéfini. Ça dure une vingtaine de secondes, puis il va falloir corriger un peu, donner un petit coup de pouce, freiner … Il y a ce plaisir du travail manuel. Et à l’oreille, quand j’entends un set vinyle, j’entends le DJ faire une petite correction (elle imite le bruit langoureux de la musique qui ralentit), j’adore ça! Ça donne un charme pas possible, qu’on n’a pas en CDJ. C’est quelque chose de vivant qu’il faut constamment apprivoiser.“
Série
Cet article fait partie de la série „Artistes entre Luxembourg et Berlin“, dans laquelle notre correspondante Amélie Vrla présente des artistes luxembourgeois-es vivant à Berlin.
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