/ 65daysofstatic: La bande-son de notre époque
Après une tournée au cours de laquelle le groupe écrivit de la musique procédurale pour des machines, 65daysofstatic prit les meilleurs fragments de ce projet pour le moins novateur et les transforma en un sombre chef-d’œuvre. „replicr, 2019“ pourrait bien être la bande-son la plus efficace pour danser sur les décombres d’un monde que nous faisons aller à vau-l’eau.
Si vous vous attendez à lire une recension objective du nouvel album de 65daysofstatic, passez votre chemin. Je suis un inconditionnel du groupe depuis 15 ans. Je les ai vus en concert un peu partout au monde. Je considère leur album „Wild Light“ comme l’un des plus grands chefs-d’œuvre musicaux des derniers temps. Quand ils passent pas loin du Luxembourg, je fais énormément chier mon entourage jusqu’à ce que tout un chacun vienne les voir en concert avec moi.
Mais bon, si on écoute le chercheur Pierre Bayard (parfois, c’est une bonne idée), il n’y a pas de relation objective à un artiste. Si nous avons des discussions passionnées autour d’une œuvre, c’est qu’une œuvre ou un artiste parfois touchent quelque chose en nous. Ce n’est qu’après, affirme Bayard, que nous essayons de justifier cette affection instinctuelle en recourant à des critères esthétiques et intellectuels.
Quoi qu’on puisse penser de 65daysofstatic, il est incontestable que le groupe n’a eu de cesse d’innover au cours des 15 dernières années. Faisant ses débuts avec „The Fall of Math“, un album qui combinait des beats électroniques qu’un Aphex Twin n’aurait pas reniés à des guitares abrasives, y ajoutant un amour pour des mélodies de piano ou de glockenspiel qui parfois faisaient penser à Yann Tiersen, le groupe continua d’explorer ce son pendant les deux albums suivants, suite à quoi il prit un tournant plus électronique avec „We Were Exploding Anyway“, ce son trouvant ensuite son apogée sur le merveilleux „Wild Light“.
Entre deux albums, le quatuor composa une nouvelle bande-son pour „Silent Running“, un film de science-fiction écologique qui gagnerait à être revu dans le contexte politique et climatique actuel. Il s’engagea aussi à créer une bande-son infinie pour accompagner „No Man’s Sky“, un jeu vidéo également infini.
Selon qu’on veuille compter ces projets comme des albums à part entière (ce qu’ils sont), „replicr, 2019“ est ou bien le sixième, ou alors le huitième album du groupe. Sa genèse ne fut pourtant pas régulière si, par le mot „régulier“, vous entendez quatre gars qui s’enferment dans un studio pour écrire leur nouvel album.
En 2017, interrogeant le processus créatif habituel qui consiste à opérer selon les codes et mécanismes établis par l’industrie musicale, 65daysofstatic mit sur pied un nouveau projet, qu’il baptisa „Decomposition Theory“. Le groupe commença à explorer le travail commencé avec la musique procédurale sur „No Man’s Sky“, programma des ordinateurs sur scène et accompagna par une instrumentation plus classique les beats, loops et bruits générés par les machines.
Recomposer
Après quelques essais, des mélodies et bribes de chansons commencèrent à émerger de ce processus créatif. Plus le groupe plongea dans sa „Decomposition Theory“, plus il réalisa qu’il lui fallait trouver un équilibre entre avant-garde et structures plus classiques, plus mélodiques.
Dans une newsletter, le groupe décrivit ce processus créatif comme un „remix à l’envers“: commençant par des fragments épars, le quatuor finit par les structurer en chansons complètes. „replicr, 2019“ est le résultat de ce cheminement – l’album prend les moments d’exploration les plus convaincants du projet et les transforme en chansons, y ajoutant en studio une ossature, des couches de mélodies et des ornements de bruits.
Si „Wild Light“ avait une sorte de beauté organique, mélangeant les éléments dansants et électros de son prédécesseur à une instrumentation plus classique pour une des œuvres phares de la musique instrumentale, „replicr, 2019“ est une bête autrement plus difficile à dompter. Si son titre vous fait penser à „Blade Runner“, vous avez déjà une petite idée de quoi il en retournera sur l’album. Les paysages sonores que vous y découvrirez ont été décrits par le groupe comme „42 minutes d’angoisse“, l’album comme „une plongée sans ciller dans les futurs abyssaux du capitalisme tardif“.
„Wild Light“ était l’œuvre créée par quatre jeunes anglais en colère contre un pays dont les choix politiques ont dégradé la qualité de vie de ses citoyens depuis l’ère thatchérienne. L’album était teinté d’une beauté qui n’émergeait pas à la surface, mais dans les entrailles mêmes des sombres paysages sonores industriels. La colère et le désespoir étaient transcendés en une œuvre qui réconciliait avec la défiguration de nos existences, la dégradation et l’humiliation émotionnelles qui sont à l’ordre du jour dans le capitalisme tardif. Le groupe était alors devenu une institution dans un genre en soi mineur – il était un grand groupe de post-rock, mais, à l’échelle de la musique commerciale, restait sans grand impact. Cette absence de notoriété, 65days ofstatic s’en foutaient comme d’une guigne.
„replicr, 2019“ sonne d’abord comme si toute cette confiance en soi avait été jetée par-dessus bord – mais dans un bon sens. C’est un album à risques, quasiment sans piste qui émergerait du lot, qui est clairement conçu pour être écouté d’une traite, la collection donnant l’impression d’une longue œuvre découpée en 14 fragments et bénéficiant d’une structuration narrative – pour faire court, „replicr, 2019“ est un lent cheminement vers la lumière à une époque où on n’en trouve plus guère de lumière.
Si l’on a pu reprocher à certains groupes de post-rock d’écrire des pistes à rallonge, les 14 morceaux de cet album peuvent d’abord paraître trop courts, finissant avant même qu’ils n’aient atteint leur apogée.
Futur annulé
Au bout d’un moment pourtant, l’on se rend compte que ces morceaux ne s’intéressent guère à s’installer dans la longueur. C’est un album qui crée une profondeur au sens physique du terme.
Les morceaux ne s’étalent pas dans la durée, dans la linéarité, mais dans les différentes couches que le groupe superpose. C’est un album qui fait beaucoup de choses – mais il les fait à la fois, non pas l’une après l’autre. A une temporalité linéaire, les titres opposent une synchronicité, commentant ainsi la vaine accélération d’une époque où l’on a parfois l’impression d’avoir atteint la fin de l’histoire et de la temporalité au sens téléologique du terme. Le batteur Rob Jones commente cette impression comme suit: „C’était censé être le futur, mais le futur a été annulé. L’histoire s’avance mais elle n’a nulle part où aller. Tout s’empile autour de nous. C’est cela dont parle cet album. L’atemporalité est une illusion, c’est la logique culturelle du capitalisme tardif, tout étant consommé de plus en plus rapidement, chaque artéfact une copie plus diluée.“
„pretext“ commence par peindre par petites touches de synthés une atmosphère d’angoisse post-apocalyptique et fait lentement monter la tension, qui éclate dans l’énergétique „stillstellung“, le morceau le plus dansant de l’album, où l’auditeur est littéralement absorbé par les couches de drones et de guitares bruitistes.
„bad age“ fait preuve d’une ambiance plus orientale et n’aurait pas détonné sur un pendant plus dansant et expérimental d’„Amnesiac“ de Radiohead . L’album paraît ensuite se replier sur lui-même avec le très sombre „sister“, une piste lente, à la tranquillité toute menaçante.
„popular beats“, premier extrait de l’album, est un bel exemple de la façon dont le groupe fait à présent utilisation des guitares, chaque instrument étant en constante défiguration, le groupe faisant fi des distinctions entre guitares et synthés, chaque membre étant désormais en charge d’à peu près tous les instruments, le quatuor formant comme un tout organique et soudé. Le titre en question commence avec des beats qui donnent l’impression de sortir d’une boîte à rythme cassée, le titre se construit ensuite comme une fugue écrite par un Bach qui aurait embrassé la musique électro.
Avec sa basse profonde sur quoi vient se poser un délicat glockenspiel, ses synthés science-fictionnels, ses beats arythmiques, sa batterie fulgurante et son déchaînement final de guitares, „five waves“ résume au mieux les idiosyncrasies du groupe dans un des titres les plus forts de l’album. „interference_1“, ruminante et tranquille, est aux antipodes du sinistre „sister“ et culmine dans une des mélodies les plus lumineuses de l’album, „z03“ est un retour aux beats glissants du début qui aboutit à un chorus de toute beauté et „trackerplatz“, avec ses synthés old-school mélancoliques d’où émergent des figures de guitare plus classiques est peut-être la meilleure façon de clôturer cet album, résumant la tristesse de ce qui précédait et faisant enfin jaillir des étincelles d’espoir que l’album, auparavant, ne s’autorisait guère. S’il donne l’impression d’être trop court, ça n’est, en vérité, qu’une invitation à être écouté en boucle.
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