Dinosaur Senior / A l’Atelier, les Pixies montrent qu’ils sont encore très loin de l’extinction
Devant un Atelier plein à craquer, les Pixies ont démontré, en deux heures et presque 40 morceaux, que leurs classiques de „Doolittle“ ou „Surfer Rosa“ n’ont pas pris beaucoup de rides – et que les morceaux des albums enregistrés depuis leur reformation gagnent en qualité au fur et à mesure que le groupe trouve une nouvelle cohésion.
Pour mesurer l’importance des Pixies dans le paysage du rock indépendant, il ne suffit pas de dire à quel point, quand le groupe s’est dissout en 1993, leurs albums avaient marqué les esprits de quelques-uns parmi les musiciens les plus mythiques de l’époque – l’on sait depuis longtemps que le côté punk, abrasif, railleur et mélodique à la fois, que l’alternance entre douceur et violence sont des traits stylistiques des Pixies qui ont fortement influencé, à côté de groupes comme Dinosaur Jr. ou de Sonic Youth, Kurt Cobain et Nirvana.
Il ne suffit pas non plus de dire que vers la fin des années 90, après que le grunge eut pour ainsi dire cessé d’exister, une nouvelle génération de musiciens s’inclina devant le quatuor mythique, comme en témoigne le fameux album de reprises de Placebo, sur lequel figure, outre leur très belle version de „Running Up That Hill“, un „Where Is My Mind?“ qui permettait alors à toute une génération passée à côté des Pixies de les découvrir pour soi.
Pour vraiment mesurer l’influence des Pixies sur la musique alternative encore aujourd’hui, il faut retourner à l’Arc TanGent, ce festival de noise, de math- et de postrock qui s’est tenu le weekend dernier en Angleterre, où l’on pouvait voir Andy Falkous brailler dans son micro lors du concert des (eux aussi reformés) Mcluskey – et où on ne pouvait que les paroles à la fois absurdes et révoltées, les guitares dissonantes, que tout dans ce groupe lui aussi devenu culte faisait penser à ce que les Pixies seraient devenus s’ils n’étaient pas des Américains influencés partiellement par le surfer rock, mais des Anglais inspirés par ce dont souffre la working class depuis les années thatchériennes.
Quelques jours plus tard, on pouvait vérifier, à l’Atelier cette fois-ci, à quel point Black Francis et ses acolytes demeuraient, malgré les années qui se sont écoulées et en dépit de nouveaux albums pas toujours à la hauteur de la réputation du groupe, les maîtres incontestés du rock indé un peu décalé.
Car si d’un point de vue musical, le Luxembourg était servi ce mardi soir avec pas moins de trois concerts qui pouvaient en valoir la peine (à côté du concert rue d’Hollerich, Toto jouait à la Rockhal et les Congés annulés clôturaient une première édition véritablement postpandémique au bout d’un mois de concerts quotidiens), il était clair, à voir un Atelier qui affichait complet, que nombreux étaient ceux qui n’avaient pas hésité quand il s’agissait de décider entre ces trois invitations musicales concomitantes.
C’est d’ailleurs un des avantages de ce petit pays souvent trop cher et un peu chiant que de disposer d’une salle de concert accueillant encore régulièrement des groupes qui, ailleurs, jamais ne joueraient dans des salles aussi petites – qui se rappelle les Queens of the Stone Age ou des concerts des Foals dans un Atelier plein à craquer sait de quoi je parle.
Du coup, les Pixies s’en sont donnés à cœur joie, qui jouaient quasiment une quarantaine de morceaux au cours d’un set qui excédait presque les deux heures sans manifester le moindre signe d’épuisement (c’est à peine si on détectait quelques gouttes de sueur sur le crâne luisant de sieur Black), proposant un set qui gardait en réserve bon nombre de tubes pour la toute fin du concert – ainsi, ce n’est que lors des dernières vingt minutes qu’on a pu entendre des classiques comme „Debaser“, „Gigantic“, une version longue de „Wave of Mutilation“, qui répondait à celle, courte, du début du show, „Bone Machine“ (pour l’encore) ou, bien entendu, „Where Is My Mind?“, que toute une génération marquée par „Fight Club“ de David Fincher a contribué à rendre immortelle.
Loin de l’extinction
Avant, malgré une setlist qui commençait par des pistes moins connues – l’instrumental très surf-rock „Cecilia Ann“ (une reprise des Surftones à laquelle allait faire écho la fin officielle de la setlist, qui se clôturait sur „Winterlong“, une reprise Neil Young), suivi de „St. Nazaire“ de leur dernier album „Beneath the Eyrie“ –, il était d’entrée de jeu une partie de plaisir de voir Black Francis et ses co-musiciens enchaîner les premiers titres abrasifs, dont donc un très court „Wave of Mutilation“, un „Caribou“ et un „Planet of Sound“ joués à une vitesse record: l’on se sentait un peu comme pendant un concert de Converge, tant on avait l’impression que ces morceaux initiaux ne duraient qu’à peine deux minutes, que le groupe enchaînait sans le moindre répit.
A côté d’un Black Francis joyeusement railleur envers ses co-musiciens et qui avec l’âge commence à ressembler à un demi-frère de Bruce Willis ou au cousin américain de Gast Waltzing, on retrouvait l’infatigable Joey Santiago et son jeu de guitare précieux, David Lovering et sa précision tantôt punk et tantôt relâchée à la batterie, auxquels s’ajoute une Paz Lenchantin qui, si elle ne fait pas oublier la légendaire Kim Deal, a suffisamment marqué le groupe de ses lignes de basse élégantes et de son chant à la fois éthérique et énergique pour avoir largement contribué au devenir de cette version 2.0 des Pixies qui, depuis leur reformation, sont sur le point de sortir leur quatrième album.
D’ailleurs, force est de constater, à réécouter certains titres de „Head Carrier“ et de „Beneath the Eyrie“ et, surtout, à découvrir en live de nouveaux extraits de „Doggerel“, leur nouvel album à paraître fin septembre, l’on se dit que le groupe, s’il n’atteindra plus les sommets de leurs chefs-d’œuvre comme „Doolittle“, „Surfer Rosa“ et „Come On Pilgrim“, dont il servait d’ailleurs de nombreux titres lors du concert, a fini, après les pas hésitants et un peu ratés d’„Indie Cindy“, à trouver une nouvelle identité, qui s’exprime notamment sur „Vault of Heaven“ et „There’s a Moon On“, les deux singles déjà sortis: plus calmes, plus mélodiques, mais très travaillés et entraînants, les deux extraits montrent que les Pixies ne révolutionneront plus le rock indé mais réussissent encore à écrire des titres qui ne laissent pas indifférents.
Alors, si l’on peut déplorer que l’intégralité des groupes des années 90 relayait toujours leur seule et unique musicienne à la basse, comme si la gent féminine ne savait pas faire autre chose, si on peut aussi se demander si le dadaïsme lyrique parfois un peu machiste de Black Francis ne partage pas les esprits à l’ère du politiquement plus-que-correct, l’on peut surtout se réjouir que ces vieux dinosaures sur deux pattes que sont trois-quarts des Pixies semblent encore très loin de l’extinction.
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